Marche ou rêve (2)[1]
C’est au cours de la Longue marche que Mao Zédong s’imposa comme le leader des communistes chinois, qui les conduisit à la victoire finale. La marche fut mortelle pour beaucoup.
Il y a peu, un encart tout ce qu’il y a de plus anodin dans le quotidien Libération rapportait un fait dénoncé par une étude de l’ONG Oxfam, à savoir que, dans un secteur de production donné (le secteur avicole), les travailleurs « luttent pour s’adapter à ce déni d’un besoin humain de base », celui des pauses toilettes. « Ils urinent et défèquent debout face à la ligne d’assemblage », en portant des couches, et ils « réduisent leurs prises de liquides à des niveaux dangereux »[2].
Pendant ce temps, les « cars Macron » roulent et oublient des passagers sur les aires d’autoroutes. Un besoin pressant sans doute…
Emmanuel Macron croit à la capacité de son pays « à réussir dans la mondialisation ». Il faut croire que l’art des bonnes formules peut aider à la réussite des stéréotypes idéologiques que le ministre français de l’économie continue de dispenser : ne dit-il pas que, « à force de vouloir prendre des mesures protectrices pour les jeunes, on ne les protège pas au travail mais on les protège du travail » ? Comme les meilleurs titres l’ont rapporté, du travail, justement, Emmanuel Macron invita il y a peu un interlocuteur anonyme à en trouver, dans le seul but apparent d’acquérir lui aussi un « costard ».
Si une certaine prédisposition d’esprit pousse à estimer cet épisode ridicule, certains faits rappellent à la réalité. Il y a peu aussi, dans le métro parisien, je me suis retrouvée assise à côté d’un tout jeune couple qui bavardait. Ce couple était, si on peut dire, « assez bien mis » : lui en costard, elle très maquillée, façon hôtesse d’accueil. Je m’apprêtais à entrer dans la lecture d’un document, stylo à la main, mais la mission fut impossible car mon esprit fut complètement parasité et absorbé par la conversation de mes voisins. Il faut dire que les enjeux semblaient de « taille » : la marque et la qualité de leurs vêtements, celles de leurs copains aussi. Lui promettait à sa dulcinée que, bientôt, elle n’aurait plus à s’habiller chez Zara. Il la faisait rêver en somme, à moins que ça ne fût l’inverse.
Ce qui importe chez Emmanuel Macron ce n’est pas Emmanuel Macron, c’est ce qui prend corps à travers lui : la vulgarité élevée au rang de valeur première, sous les « habits » de la distinction, et même de la pensée. C’est ainsi que, si l’on s’en tient à la lecture des quotidiens d’information, il est important de savoir quelles sont les différences existantes entre Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron[3]. Ce simple constat et la mise en scène des portraits-photos qui accompagnent lesdites informations me conduisent alors, par un étonnant et tout personnel enchaînement d’idées, à la question de Jean Bouise dans le film Subway : « et vous m’laissez qui ce soir M’sieur Roland ? ». Michel Galabru répond sur un ton assuré et profond duquel on comprend l’ironie de son propos, « Batman et Robin[4]… (pause imperceptible)… les meilleurs ». Fermant les yeux et avec l’inspiration et l’affliction qui s’imposent, et comme pour se le dire à lui-même, Jean Bouise lâche un « très dur… »[5].
On a dit de ce film qu’il s’agissait d’un conte ou même d’un rêve, comme celui que formulait mon voisin de métro et que traduit chaque nouvel épisode macronesque. Très dur…
L.F. 19 juin 2016
[1] Voyez Marche ou rêve (1)
[2] L’information ne fit pas les choux gras des titres des grands quotidiens mais elle fut tout de même assez largement diffusée.
[3] A en croire les journaux, ces deux figures politiques paraissent constituer aujourd’hui le sommet d’une vague opposition idéologique qui traverserait une partie de la classe politique en matière d’économie.
[4] Entendez Jean-Pierre Bacri et Jean-Claude Lecas.
[5] Pour ceux qui souhaiteraient « animer » ces paroles, elles se trouvent environ à la dixième minute du film.