Marche ou (c)rève
(3/3)
Eh bien voilà c’est la fin : l’homme en marche a pris ses jambes à son cou, pour mieux sans doute y pendre les bras de sa dulcinée, toute découverte à la faveur des plages estivales. Tandis que je réfléchissais à cette dernière brève, j’appris la très attendue démission du ministre de l’économie : fidèle à ma volonté de ne pas m’accrocher à l’actualité, je décidais moi aussi de suspendre un peu mes derniers mots. Puisque je vois du « droit partout», ou ce qui parfois voudrait s’y apparenter, j’avais lâché il y a quelques semaines à mon compagnon qui comparait la tenue d’Emmanuel Macron dans l’eau sur une plage (en polo et short long de bain, tandis que sa compagne arbore elle un maillot de bain une pièce), à celle du tant discuté Burkini, que, comme ministre en exercice (il en était encore), il ne doit pas être vu dans des tenues équivoques (entendez il ne doit pas trop dévoiler de son derme naturel), de peur de provoquer des polémiques sur l’effectivité de son travail. Je ne me rendais pas compte sur le champ mais seulement quelques instants plus tard, que j’entérinais pas là l’identité de propos entre le port récent du Burkini sur les plages françaises et la pratique ministérielle s’appuyant sur une sorte de « droit » informel. Cette « mêmeté » comme aurait pu dire Ricoeur (celui-là oui dont enfin, maintenant que le monde éditorial s’estime délivré de sa parole du fait de la démission, celui-là donc enfin, dont il est dit qu’il n’a pas été le mentor de Macron, ni même le professeur, mais bien, à un moment donné, un simple « gagne-pain »), ne peut évidemment pas être réduite à une évidente coïncidence. Alors que je suis en pleine réflexion sur la manière d’envisager comment le droit est l’expression des évolutions humaines, il m’apparaît que l’homme distille ses représentations dans chaque chose et que l’on s’accroche à des cloisonnements qui n’ont pour objet que de ventiler par petits bouts (« façon puzzle » aurait dit Blier) ce qui peut-être, pris « en bloc », serait insupportable. De cette manière, on demande au droit de régler différemment ce qui pourtant relève d’une parfaite même logique, aboutissant à des pratiques dont on peut apprécier les bénéfices : 1. Certaines questions sont présentées comme plus « problématiques » que d’autres, ces autres étant donc soustraites en grande partie à la discussion ; 2. Ce qui n’est pas considéré du même coup comme problématique, étant ainsi soustrait à la discussion, n’est pas l’objet du droit proprement dit et ouvre un espace à la dérégulation éventuellement, à l’auto-régulation ensuite ; et 3 ; last but not least, les difficultés qui en découlent sont imputées à ce qui a été avancé comme problématique (en 1.) : le tour est joué.
J’ai cité le film Subway dans Marche ou rêve (2), et je m’apprête à citer MC Solaar, mais pour l’heure j’ « accroche » mon propos à ceux de deux éminents juristes, Dieter Grimm et Alain Supiot : « Au début, dit le premier, l’Etat intervint par des correctifs là où on abusait de la liberté individuelle au détriment d’un tiers et où la régulation par le marché échouait de manière éclatante à atteindre son objectif d’une juste compensation mutuelle des intérêts »[1] ; « En Europe, dit le second, nul ne semble oser évoquer (…) la responsabilité dans la faillite de l’Etat grec de la Banque Goldman Sachs, qui l’avait aidé à maquiller ses comptes pour entrer dans la zone euro »[2]. Le tour est joué, et on peut l’y lire partout… Ainsi, dans le morceau intitulé « Marche ou rêve », auquel j’ai pensé pour attribuer un titre à cette trilogie entamée il y a quelques mois, Mc Solaar présente ce deuxième couplet :
« … Sur les plages magnifiques de la Corée du Nord, la junte militaire ne fait pas que du sport. Et ce sont des vraies balles, pas des balles de ping pong, Pyong Yang c’est autre chose que bikini et bombes blondes.
Marche ou crève, ou rêve, forever,
Marche ou rêve, ou crève, forever… »
je propose cette version à écouter :
L.F. Septembre 2016
[1] Dieter Grimm, L’autorégulation régulée dans la tradition de l’Etat constitutionnel, trad. de Laurent Cantagrel, Trivium, 21, 2016 (https://trivium.revues.org/5298)
[2] A. Supiot, « Introduction » in A. Supiot, M. Delmas-Marty, Prendre la Responsabilité au sérieux, PUF, 2015, p.20.