Cette étude sera publiée dans l’ouvrage dirigé par Sandra Laugier et Dominique Rousseau, La démocratie, une idée-force, à paraître aux éditions Mare et Martin.
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Les deux notions de libéralisme et de démocratie engagent le rapport de l’individuel au collectif et du collectif à l’individuel. Mais il y a tant de manières de définir l’une et l’autre qu’il apparaît d’emblée impossible de déterminer leurs liens, si abondamment réfléchis par différents auteurs depuis le XIXè siècle, sans prendre le risque de tomber dans l’essentialisme. Schématiquement, et en suivant le politiste et théoricien du droit italien, Noberto Bobbio, il y aurait trois types de liens possibles entre libéralisme et démocratie, selon le type de définition et de contenu qu’on leur donne : des rapports de compossibilité, des rapports d’antagonisme ou des rapports de nécessité[1]. Choisissez donc votre camp camarade ! Bobbio choisit le sien, en les pensant dans un rapport de nécessité. Selon lui, le libéralisme doit bel et bien être pensé comme une condition de la démocratie, une démocratie qu’il pense surtout à partir d’un modèle procédural.
Le choix que l’on peut faire apparaît donc en grande partie comme dépendant des représentations intellectuelles que l’on élabore soi-même ou que l’on emprunte à l’histoire des idées. Il me semble cependant que, sans tomber dans l’essentialisme, on peut aussi faire dépendre l’analyse des liens entre libéralisme et démocratie de la construction historique des institutions à partir desquelles les termes de libéralisme et de démocratie, ainsi que leurs relations, ont acquis leurs qualités de notions signifiantes pour la compréhension de l’organisation politique. C’est bien parce que l’histoire retient que les régimes modernes occidentaux se sont construits comme des régimes libéraux, puis comme des régimes démocratiques, que nous nous posons aujourd’hui la question de ce qui fait leur rapport. Il ne faut donc pas seulement penser avec les idées et l’histoire des idées, mais aussi avec l’histoire des institutions, dont le déroulé manifeste la présence d’idées et de représentations effectivement à l’œuvre. Dit autrement, ce qui est à l’œuvre dans une société est la manifestation que certaines manières de penser ou certaines idées ont plus de capacité à se réaliser que d’autres, même si elles n’apparaissent pas toujours explicitement formulées : on les repère à ce qu’elles agissent, et pas seulement à ce qu’elles sont dites.
Il s’agit donc de s’y retrouver parmi les idées, les institutions et les croyances, pour essayer de saisir ce qui s’est passé et ce qui se passe. En partant des raisons pour lesquelles on se représente communément le libéralisme et la démocratie, ce finalement à partir de quoi les deux notions incarnent les régimes politiques occidentaux et ceux construits à partir de ce modèle, on peut ainsi essayer de suivre le fil de l’histoire. Il s’agit de cerner quelles sont les idées qui ont été réellement à l’œuvre dans la construction des régimes occidentaux modernes depuis le XVIIè siècle, sans, à proprement parler, reconstruire de théories a posteriori, mais en prenant conscience de ce qui anime les gens, pour reprendre les termes de l’anthropologue Malinowski[2].
Les démocraties dites libérales sont donc ainsi qualifiées en vertu de leurs caractéristiques institutionnelles, dont l’histoire retient d’ailleurs qu’elles vont de pair avec le constitutionnalisme. En effet, l’acte constitutionnel qui s’impose comme un acte nécessaire entre le XVIIIè siècle et le XXIè siècle partout dans le monde, est, dans l’idée, la mise en acte de ce qui fait le principe libéral, à savoir la limitation du pouvoir d’Etat par l’existence d’une sphère autonome de droits et libertés. A la suite, l’organisation démocratique de ce pouvoir d’Etat renforce l’idée de nécessité de l’acte constitutionnel qui en pose les bases. C’est ainsi que l’observation des constitutions contemporaines en Europe laisse apparaître que toutes proclament l’existence de droits individuels et collectifs (dans le texte même ou par renvoi), qui sont autant de limites posées à l’action de l’Etat, et c’est ce qui emporte l’attribution du qualificatif « libéral ». Ces mêmes constitutions affirment que le peuple est la source de tout pouvoir (parfois après Dieu[3]), et elles attribuent toutes la puissance législative à au moins un organe dont les membres sont élus au suffrage universel direct. Ce sont ces caractéristiques qui emportent la nomination de « démocratie ».
Or, il apparaît que la démocratie paraît aujourd’hui fragilisée, par là-même où elle a été construite : désaffection du suffrage (pourtant attribué à la très grande majorité de la population constituant un territoire, même s’il reste des angles morts, à l’instar des résidents étrangers), et défiance manifestée à l’égard de la logique représentative qui veut que ce soient les représentants élus en un parlement qui exercent le pouvoir. Les crises qui se succèdent désormais n’ont pas altéré ce processus de déréliction démocratique, et ce même en dépit de la multiplication d’initiatives tendant à la restaurer[4]. Il est vrai aussi qu’on s’inquiète d’un affaiblissement des droits comme socle de l’organisation politique moderne, affaiblissement incarné soit par l’idée de « démocratie illibérale »[5], soit par celle d’« état d’exception permanent »[6]. Mais, en tant que limitation de la capacité de l’Etat à troubler la jouissance des droits et propriétés, le libéralisme semble au contraire tenir la barre et se renforcerait même, au moins au profit de ceux qui ont une capacité à défendre leurs droits et qui sont de « grands propriétaires », de capitaux notamment, en dépit des discours contraires qui apparaissent souvent comme autant de méthodes pour le renforcer[7].
Si, à certains égards, l’un se renforce et l’autre se fragilise, on peut peut-être en chercher les racines dans leur histoire. Il ne fait plus de doutes pour personne que la démocratie que nous connaissons est née dans le bain du libéralisme, en passant par le constitutionnalisme : la démocratie n’est pas très franchement une idée majoritaire ni très aboutie au moment de la mise en place des premiers régimes « représentatifs », en tout ou partie fondés sur des élections, au suffrage non universel et pas toujours direct. De ce point de départ se tire le fil des évolutions des institutions, des notions et des idées qui les accompagnent, en cohérence ou à contretemps.
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L’idée de démocratie à construire par l’ouverture de la désignation du législateur au plus grand nombre fait son chemin lentement pour aboutir vraiment à partir des débuts du XXè siècle, accompagnant l’idée d’Etat-Providence, pour être néanmoins entachée par l’émergence de régimes autoritaires et totalitaires dont le bilan humain s’avèrera particulièrement lourd. L’après deuxième Guerre Mondiale semble donc marquer un moment décisif en ce qu’il s’agit pour nombre d’acteurs de faire évoluer les systèmes politiques dans le sens d’un renforcement efficace des droits et libertés des individus – de « grands » textes sont adoptés, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948, la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales en 1950, l’inscription des droits et libertés dans le texte des nouvelles constitutions politiques – et dans le sens d’un renforcement de la démocratie – par l’extension de l’universalité du suffrage et de l’extensivité de sa compréhension (certains pays vont attribuer le droit de vote aux résidents étrangers et beaucoup vont progressivement abaisser l’âge de la majorité électorale). Mais la reconstruction s’édifie aussi dans le sens d’une articulation mieux comprise entre libéralisme et démocratie, la démocratie ne devant pas nuire au libéralisme ainsi que le proposent les « néo-libéraux » dès 1938, explicitement contre l’Etat-Providence[8]. Le recul contemporain des droits de l’homme, devenu un sujet de constat de plus en plus récurrent dans l’actualité politique et doctrinale, la désaffection des instruments traditionnels de la démocratie qui semble l’accompagner, ainsi que la réussite peu contestable du programme néolibéral, ne doivent pas seulement interroger les évolutions du libéralisme et de la démocratie, mais, comme pratiques politiques, la réalité des idées qu’ils transportent. Comme souvent dans l’analyse des faits sociaux, tout est là « avant », qui ne se dit pas encore.
Si on pense donc que la démocratie qui s’est institutionnalisée dans nos systèmes politiques contemporains ne peut pas se comprendre en faisant abstraction de son substrat libéral, ce n’est pas dans le sens communément admis du socle nécessaire de la liberté individuelle – ce qui est sans doute l’une des croyances les plus partagées par la philosophie et la pensée politique et juridique à propos de la démocratie – mais dans le sens où elle marque son impuissance dès l’origine (1ère partie). Ainsi comprise, la démocratie peine à marquer son empreinte dans les institutions : certaines évolutions majeures de la technique juridique, parfois associées à la démocratie, se révèlent en réalité comme autant de moyens de renforcer le principe libéral à l’origine de l’impuissance démocratique, principe libéral dont le dit dévoiement est en réalité une trace ou un prolongement des représentations profondes qui en sont à l’origine (2ème partie).
1ère partie. L’irrévocabilité des origines. L’impuissance structurelle de la démocratie en terrain libéral
L’un des angles morts de la pensée sur libéralisme et démocratie est peut-être le fait qu’il s’agit de deux champs différents du pouvoirdont l’un donne la mesure de l’autre. La démocratie n’est pas conçue pour corriger les inégalités existantes ou produites dans le champ de la jouissance des droits et propriétés, mais seulement pour assurer, dans le périmètre qui lui est imparti depuis l’époque moderne par la pensée subjectiviste devenue pensée libérale (1), la souveraineté du peuple, transformant d’ailleurs celle-ci en une pure opération comptable (2).
1. La limitation intrinsèque du champ démocratique
Si on insiste souvent sur le libéralisme comme principe de valorisation des droits et libertés de l’homme, et si on sait que cela implique que le « pouvoir » ne s’exerce qu’en restant sur le seuil de ces droits, on oublie souvent de dérouler le fil jusqu’au bout : le « pouvoir », du même coup, n’est pas seulement limité, il est « délimité », ce qui signifie qu’il n’est pas seul comme pouvoir. Il y a ainsi, au moins, le pouvoir « politique » de l’Etat, et le pouvoir des droits et libertés des hommes. Ce principe de délimitation est à l’origine de nos systèmes politiques contemporains. Quelle que soit la forme ou même la nature, démocratique par exemple, du pouvoir d’Etat, celui-ci est délimité. La forme ou la nature du pouvoir d’Etat, s’ils ne sont pas forcément seconds, voire même s’ils sont premiers, sont ou deviennent de toutes les façons dépendants de ce principe de délimitation qui s’impose dans les idées, les représentations, et à certains égards les pratiques du pouvoir d’Etat, à partir des XVIIè et XVIIIè siècles.
Clairement, la démocratie n’est pas dans l’intention première, ni même secondaire d’ailleurs, des acteurs des différentes révolutions dites libérales qui se sont produites entre le XVIIè siècle et le XVIIIè siècles en Europe et aux Etats-Unis, et qui ont abouti à l’écriture des constitutions. Récemment, John Dunn a lui aussi mis en lumière le terrain peu favorable à la démocratie jusqu’au XVIIIè siècle[9], son seul véritable représentant étant Jean-Jacques Rousseau. Lorsque les anglais font la glorieuse révolution et qu’ils imposent une limitation de pouvoir à la monarchie, ce n’est pas dans la perspective d’une démocratie mais bien dans celle de mettre leurs intérêts à l’abri des décisions du roi : Le Bill of rights de 1688 est très clair, comme l’étaient déjà la Magna Carta en 1215 et la première déclaration de 1628 : ni taxes, ni prêt qui ne recueilleraient pas l’accord des individus réunis en Parlement, pas d’arrestations arbitraires qui seraient une manière détournée d’accéder aux biens. Les Etats-Unis déclarés indépendants établissent de leur côté une République, qu’ils jugent préférable à la démocratie, tandis que l’un des acteurs majeurs de la Révolution Française, Emmanuel Siéyès, déclare que Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet état représentatif ; ce serait un Etat démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants »[10].
C’est donc l’énonciation des droits et libertés, largement favorisée par les différents courants intellectuels depuis le rationalisme jusqu’aux Lumières en passant par l’école du droit naturel, qui a été le moteur des régimes politiques issus des différentes révolutions à l’œuvre entre le XVIIè siècle et le XIXè siècle sur les territoires occidentaux. Le libéralisme institue l’Etat en tant que principe de pouvoir, limité, « frugal » pour reprendre l’expression de Benjamin Franklin redécouverte par Michel Foucault dans sa Naissance de la biopolitique[11], tandis que la démocratie consiste à organiser le pouvoir dans l’Etat ainsi pensé. La démocratie ne peut plus dès lors être qu’une forme d’exercice d’un pouvoir fondamentalement limité.
Dans cette mesure, et parce que les représentations de l’homme, de la collectivité et du pouvoir d’Etat sont telles, la démocratie ne peut structurellement pas être le pouvoir du peuple sur toute chose : elle est une forme du politique, et la question et de la définition et du champ du politique est en dehors d’elle. Lorsque, dans les représentations communes et acceptables par le plus grand nombre, elle devient une forme politique obligatoire, la démocratie n’a en quelque sorte pas le choix que d’être dépendante de la pratique des droits et libertés dans un cadre où le « pouvoir » n’est pas réglé sur les mêmes principes puisque, grosso modo, il se règle par la puissance effective procurée par la jouissance des droits. Tel est l’objet des différentes déclarations des droits adoptées depuis le XVIIè siècle. Les constitutions, à la suite, sont l’organisation réglée de la forme du pouvoir, ayant pris acte et réitérant le principe de sa délimitation.
A cet endroit, on pose rarement la question de qui ou comment s’exerce le pouvoir hors du périmètre politique. C’est que l’image de cette fameuse main invisible théorisée par Adam Smith a été très puissante, entraînant dans son sillage les idées d’auto-régulation. Mais ces images n’affectent pas le fonctionnement réel de ces espaces de pouvoir que l’on souhaite sans Etat, ou alors un Etat en accord avec leur fonctionnement. L’ancrage de la légitimité et des représentations du libéralisme dans les différents espaces sociaux et politiques a conduit à ce que se constituent un ou des « marchés » sur lesquels ce sont « les plus forts » qui l’emportent, selon le principe de compétition, que l’Etat peut éventuellement avoir à garantir, voire qui y est astreint. Karl Polanyi dans La Grande Transformation[12] a très bien montré que la promotion de la démocratie entre la fin du XIXè siècle et le début du XXè siècle a été une manière de faire valider par le plus grand nombre la délimitation des champs de pouvoir, alors que s’apercevaient déjà les effets dévastateurs d’une économie industrialisée et capitalistique.
Parler de démocratie libérale ce n’est ainsi pas parler de libéralisme démocratique : c’est même occulter le fait que, précisément, la « zone » libérale n’est pas démocratique, et la soustraire à l’interrogation démocratique. Ainsi, l’apparent paradoxe est qu’en renforçant le principe démocratique à la fin du XIXè siècle et au début du XXè siècle, c’est en réalité le libéralisme qui se renforçait : la question se concentrait ainsi sur « qui exerce le pouvoir ? », et beaucoup moins sur « sur quoi s’exerce ce même pouvoir ? ». En limitant ainsi le raisonnement démocratique, réduit à une logique de participation des uns et des autres à la désignation des gouvernants, la faculté à surmonter ses écueils a été tout aussi réduite.
Alors que cette question est pensée et re-pensée très largement depuis les années 1970, dans pratiquement tous les pays occidentaux, l’insatisfaction démocratique ne s’épuise pas et même se renforce. Il se pourrait que l’inévitable aboutissement de la question – l’adossement du régime démocratique au nombre – ne suffise pas à combler les effets ressentis des évolutions d’un libéralisme tous azimuts.
2. Les écueils de la revalorisation de la démocratie
Dans Principes du Gouvernement représentatif, Bernard Manin pose la question de savoir comment est-ce que la démocratie a pu se construire sur la base du choix de l’élection, alors que quasiment tous les penseurs, parmi les plus importants, avaient qualifié ce procédé d’aristocratique[13] : le système de l’élection implique en effet que seuls ceux reconnus comme « les meilleurs » par le plus grand nombre soient désignés pour gouverner, qui vont donc littéralement constituer une aristocratie. Depuis Aristote jusqu’à Jean-Jacques Rousseau, tous avaient estimé que le mode de sélection des gouvernants propre à la démocratie était celui qui n’impliquait aucune différenciation qualitative entre les gouvernants et les gouvernés, à savoir le tirage au sort, qui met tout le monde à égalité devant l’exercice du pouvoir. En théorie au moins, le tirage au sort apparaît comme une technique qui assure a priori la non prévalence d’intérêts spécifiques sur tous les autres.
Si l’élection s’impose historiquement à la démocratie, c’est qu’elle la précède institutionnellement, dans le cadre d’un continuum de la pensée dans lequel s’inscrit le libéralisme. L’élection émerge en effet comme un principe libéral, déjà en usage dans les différentes communautés de pouvoir depuis le moyen-âge, à savoir le principe selon lequel ce qui concerne tous doit être délibéré par tous (le fameux « Q.O.T. »[14]), principe qui, au niveau des institutions politiques de l’Etat s’est d’abord traduit par la nécessité du consentement à l’imposition, et qui, au niveau des idées et des représentations, a fondé le principe du consentement comme élément central de la philosophie libérale[15]. Actant de la liberté de chaque individu, l’élection a ainsi pu prospérer comme instrument de désignation des gouvernants, y compris dans un cadre démocratique. Mais, comparée au tirage au sort, l’élection change la logique de la démocratie. Alors que le sort désigne directement les individus destinés à exercer les fonctions politiques, l’élection oblige à déterminer un gagnant par l’arithmétique. « Une loi électorale se définit exactement ainsi. C’est un mécanisme de transformation de nombres en nombres »[16]. Il n’est qu’à voir les savants calculs qui peuvent être opérés par l’institution des modes de scrutin, étant considéré que, hormis le cas de l’élection d’un seul par tous, il n’existe pas de système permettant une transformation des suffrages en sièges, sans « pertes ». La substitution de l’élection au tirage au sort dans le fonctionnement démocratique n’est donc pas sans conséquences sur la conception de l’exercice du pouvoir ; elle tend même à survaloriser les intérêts portés par ceux qui, par l’effet du nombre, gagnent les faveurs du suffrage, même s’ils sont par ailleurs eux-mêmes peu nombreux, rompant ainsi avec le dogme de l’égalité de tous, inégalement voués à participer à l’exercice du pouvoir.
Couplée aux effets de la réalisation de l’idéal libéral dans un marché produisant des inégalités de conditions, l’élection instaure une logique où le collectif est obligé de prendre acte de l’existence d’une sphère hors de sa portée, une sphère où les individus ne sont pas égaux, contrairement à leur statut dans le cadre démocratique, ce qui crée un hiatus fonctionnel. La démocratie postule donc l’égalité en contrariété avec la réalité, et se trouve à la fois incapable et empêchée de la corriger, en dépit de la logique du nombre.
Si l’élection est en quelque sorte défavorable à la logique démocratique, on peut néanmoins imaginer que, en paradigme libéral, l’instauration du tirage au sort, sans doute plus saine au plan du processus de sélection, ne donnerait pas plus de possibilité aux gouvernants de rompre avec le principe de délimitation du champ d’action de la démocratie. Penser la démocratie à partir de la question des modes de désignation des gouvernants et/ou de participation des gouvernés, conduit à une impasse, dès qu’il s’agit de contrarier les effets possibles de la jouissance sans entraves des droits et libertés sur un marché donné. Écueil encore s’agissant des propositions visant à modifier les modalités de l’expression du suffrage : par exemple, l’initiative de la Primaire populaire, organisée en France en janvier 2022 par un groupe de militants en dehors des partis politiques afin de présenter un candidat unique de la gauche, si elle substitue la technique du jugement majoritaire à celle dite du vote majoritaire[17], elle ne résout pas la problématique de la restriction structurelle du champ de décision démocratique, même si elle paraît moins clivante, et même s’il demeure théoriquement possible que la loi du nombre puisse faire éclater les frontières solidement ancrées du libéralisme et de la démocratie.
Procédurale, délibérative ou participative, les différents modèles de démocratie élaborés dans le but de l’améliorer portent tous sur les modalités selon ou à partir desquelles chaque membre de la communauté politique a voix dans la désignation ou l’exercice du pouvoir. Mais aucun vraiment ne portent sur l’objet du pouvoir, sauf à considérer qu’un coup de force majoritaire pourra faire exploser le cadre bien ancré et entretenu de ce qui fait fondement de l’organisation sociale, à savoir l’existence d’un périmètre hors d’atteinte de la question démocratique. Pour être crédible, audible et discutable dans l’espace actuel de la pensée, il semble de fait que la réflexion démocratique doive porter sur les moyens de la souveraineté populaire, et non hélas sur son champ d’action. Autrement elle n’est pas retenue dans le débat public, ou de manière anecdotique. D’ailleurs, le « socialisme », à l’origine une pensée sur le spectre de l’action politique, a politiquement vécu.
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L’histoire nous a appris qu’il est beaucoup plus facile d’accentuer une tendance que de la freiner : de fait les origines de la démocratie moderne semblent conférer à sa mal-construction un caractère difficilement surmontable, et le tropisme fondamentalement libéral de l’organisation des régimes politiques modernes n’a cessé de s’accroitre. En effet, puisque la question démocratique bouleversait l’équilibre initial des droits vis-à-vis d’un pouvoir non organiquement lié à l’ensemble de la communauté politique, c’est un libéralisme « renouvelé » qui a été proposé, notamment par Walter Lippmann[18]. L’entrée dans l’arène politique du plus grand nombre nécessitait de renforcer les outils du libéralisme pour qu’il demeure la grille matricielle de l’action, ce qui fut permis par la réalisation progressive du programme néolibéral et par les apories de la démocratie par le nombre, avérées avec l’instauration de régimes autoritaires sur son nom. La réserve alors engendrée vis-à-vis du processus électoral – très visible en matière d’organisation de référendums – a conduit à mettre l’accent sur des mécanismes politiques relevant du libéralisme, à l’instar, on va le voir dans un instant, du contrôle de constitutionnalité des lois.
Le tropisme libéral s’est en quelque sorte alors mué en une « obligation libérale », qui s’accroit encore avec le concept de démocratie « illibérale », puisqu’il s’agit de montrer du doigt ce qui ne serait pas libéral. Dans ces conditions, l’« idée-force » de démocratie a du plomb dans l’aile, puisqu’il s’agit au contraire, en paradigme libéral, d’en éviter les effets. Tandis qu’aujourd’hui les initiatives individuelles pour la faire vivre « autrement » se multiplient, aucune ne parait convaincre. Toutes les astuces et sophistications destinées à améliorer ou accroitre la valeur démocratique d’une organisation politique semblent de ce point de vue vouées à l’échec.
2ème partie. Les outils – attendus et inattendus – du libéralisme comme marque d’impuissance de la démocratie
Si les démocraties contemporaines sont toujours indéfectiblement arrimées au principe de l’élection, elles sont aussi devenues « ingénieriques », en s’appuyant sur un ensemble d’institutions et de mécanismes censés les garantir. Ainsi du contrôle de constitutionnalité des lois, pilier de l’Etat de droit, lui-même déclaré cadre nécessaire de la démocratie. Les institutions régionales et internationales de promotion de l’Etat de droit et de la démocratie – et non officiellement du libéralisme – promeuvent donc à ce titre le contrôle de constitutionnalité des lois, quelles que soient ses modalités d’organisation[19]. Certaines théories en font même tout à fait précisément un instrument de la démocratie, à l’instar de la thèse de la démocratie continue[20]. Accessoire nécessaire de la hiérarchie des normes[21], le contrôle de constitutionnalité de lois peut néanmoins s’analyser historiquement et pratiquement comme un moyen de freiner les velléités d’extension du champ démocratique, plus que comme un moyen d’éviter une possible tyrannie de la majorité (1). Et c’est encore l’usage de la hiérarchie des normes qui sert aujourd’hui de point d’appui à une extension du champ libéral : en effet la « primauté » du droit européen, qui consiste à faire valoir celui-ci sur toute autre norme, assure ainsi la primauté de la vision sociétale construite par les normes européennes, à savoir la pérennité et le développement des marchés imperméables à la question démocratique (2).
1. La fonction première du contrôle de constitutionnalité : tenir la démocratie à distance
Depuis plusieurs décennies, en France et dans beaucoup d’autres pays du monde, les facultés de droit – ainsi que les manuels qui y sont utilisés – sont le lieu de l’acclimatation à l’idée de la longue marche du contrôle de constitutionnalité, depuis l’arrêt de la Cour Suprême américaine, Marbury v Madison déjà cité,jusqu’à l’institution de cours constitutionnelles dans tous les pays issus de l’éclatement du bloc soviétique entre les années 1990 et 2000[22], en passant par la théorie de l’autrichien Hans Kelsen, considéré comme l’artisan du « modèle européen » de justice constitutionnelle[23]. S’il est aujourd’hui le symbole de la démocratie et de l’Etat de droit, le contrôle de constitutionnalité des lois donne avant tout son sens au constitutionnalisme, c’est-à-dire à la norme qui acte de la séparation des deux champs de l’exercice du pouvoir politique et de l’exercice individuel des droits et libertés. Il faut à cet endroit encore rappeler que, puisant ses racines dans l’humanisme[24], le constitutionnalisme n’a pas d’ambition spécifiquement démocratique. Il est évidemment bien plus lié au libéralisme, voire au développement du capitalisme[25]. Ainsi, l’outil qui donne son sens au constitutionnalisme tendrait inévitablement à renforcer ce qui en fait le lit.
Techniquement, le contrôle de constitutionnalité des lois consiste à s’assurer que les actions des gouvernants, et surtout celle du pouvoir législatif élu, sont bien conformes à la constitution. Traduire, les lois adoptées par le législateur politique respectent bien le champ assigné à l’exercice du pouvoir politique, qu’il soit démocratique ou non. Le contrôle de constitutionnalité des lois ne peut donc pas être considéré comme un instrument originellement démocratique. Et si, pour nuancer cette absence de lien historique entre le contrôle de constitutionnalité des lois et la démocratie, on peut constater une coïncidence entre son développement et sa promotion entre la fin du XIXè siècle et le début du XXè siècle, et une ouverture des systèmes politiques à la démocratie, cette coïncidence n’est pas à mettre au crédit des aspirations à la démocratie. En effet, entre la fin du XIXè siècle et le début du XXè siècle, l’ouverture à la démocratie se double d’une propension de la plupart des Etats à être plus interventionnistes dans les espaces économiques et sociaux : c’est l’époque des Etats-Providence, dont l’ambition est d’assurer aux individus membres de la communauté politique des droits dont ils ne peuvent visiblement jouir sans cette intervention. Autrement dit, les Etats-Providence actent de ce que dans le champ de la jouissance des droits et libertés, nombreux sont ceux qui en sont en réalité privés. Les Etats tentent alors de restaurer ce que l’usage de pouvoirs non étatiques ont escamoté. Ils « interviennent » dans un champ jusqu’alors promis aux individus seuls et au résultat de leurs relations.
Or, c’est précisément à ce moment que l’on constate le développement et/ou la promotion du contrôle de constitutionalité des lois au titre d’une institution à établir, c’est-à-dire au moment même où des lois ont, malgré le pacte libéral constitutionnel, pour objet d’assurer une protection à des individus qui ne jouissent effectivement pas de leurs droits hors du champ politique.
Le cas des Etats-Unis est un bon point de départ pour évoquer l’effet du contrôle de constitutionnalité des lois, sinon contre-démocratique, au moins protecteur des pouvoirs qui s’exercent à l’abri du pouvoir politique. Le rôle de la Cour Suprême tel que prévu dans la Constitution américaine de 1787 était de garantir l’équilibre trouvé entre le nouveau gouvernement fédéral issu de l’union des Etats et ces derniers. Dans l’esprit de James Madison notamment, qui comptent parmi les rédacteurs les plus importants de la constitution américaine, les pouvoirs donnés à la Fédération visaient à éviter que les intérêts représentés par certains Etats ne fassent loi, au détriment d’autres intérêts[26]. L’historien Charles Austin Beard a ambitionné, au début du XXè siècle, de montrer que, de fait, il s’agissait de permettre le développement d’un capitalisme financier, que les intérêts des propriétaires terriens et agricoles de certains Etats pourraient entraver[27]. Dans le système, la Cour Suprême était l’institution de résolution des conflits entre le gouvernement fédéral et les Etats fédérés, à partir de la répartition constitutionnelle de leurs champs respectifs d’action. En ce sens, la Constitution fixait la règle du jeu. Le rôle de la Cour suprême était donc bien une fonction de contrôle de la délimitation du pouvoir. L’arrêt Marbury vs Madison déjà mentionné, rendu dès 1803, semble détourner un peu l’attention en fondant le contrôle sur la valeur même de la Constitution en tant que norme « au-dessus » de la loi, et non sur sa raison d’être qui serait de mettre à part le pouvoir des individus sur un marché[28]. Toutefois, par ce changement d’« affichage », la Cour Suprême parvient à renforcer la légitimité de la raison d’être de l’institution du contrôle : il ne s’agit pas tant de protéger les intérêts des Etats fédérés eux-mêmes, ni même ceux de la Fédération, mais ceux que leurs protagonistes, des individus donc, ont effectivement à défendre. Ce sont ces individus, nantis de la constitution, qui défendent leurs intérêts devant la Cour Suprême.
Et de fait, que se passe-t-il lorsque, devant le désastre humain de l’industrialisation et de la capitalisation, les Etats fédérés ou la Fédération entendent endosser le rôle d’un Etat-Providence ? Il se passe que, devant les mesures visant à améliorer les conditions de travail ou la protection sociale des ouvriers et employés, des individus entrepreneurs saisissent la Cour suprême, et obtiennent gain de cause puisque, de 1905 à 1937, elle va presque sans exception déclarer inconstitutionnelles les lois sociales au motif qu’elles portent atteinte au droit de propriété ou à la liberté contractuelle qu’elle estime garantis pas la constitution des Etats-Unis. Cette ère dite Lochner, du nom du premier arrêt rendu en ce sens en 1905[29], ne s’achèvera qu’avec la popularité de la doctrine Roosevelt, le New Deal, que la Cour Suprême ne pouvait plus continuer à prendre le risque politique d’empêcher. Au niveau de la Fédération, le New Deal ne dure cependant pas, et l’émergence alors durable d’un libéralisme renouvelé ne la contraindra plus de la même manière. A l’inverse, elle va se faire garante de ce libéralisme qu’elle ne sanctionne pas, voire qu’elle encourage[30].
L’histoire du contrôle de constitutionnalité des lois en Europe ne peut être décrit selon les mêmes modalités que pour les Etats-Unis, caractérisés par leur raison fédérale, mais la chronologie et les principes qui animent les différents acteurs sont comparables. Dans un premier temps, les Etats-Providence sont bousculés politiquement de l’intérieur, mais ne se heurtent pas au contrôle de constitutionnalité. C’est néanmoins l’époque où celui-ci commence à faire l’objet de plusieurs études et de théorisations[31], et où la démocratie est associée à la suprématie de la constitution[32]. Historiquement, l’institution d’un contrôle de constitutionnalité est arrivée, avec plus ou moins de rapidité et de décalage selon les pays, un peu après que les Etats ont commencé à intervenir hors de leur périmètre défini par le libéralisme, et dans le même temps aussi que l’extension du suffrage. Par leur interventionnisme, les Etats ont montré leur capacité à aller au-delà du périmètre du pouvoir politique, capacité assise sur l’usage du suffrage universel. Ils ont ainsi et en quelque sorte, dans une perspective libérale, rendu nécessaire l’institution du contrôle de constitutionnalité des lois. Ce n’est pas pour rien si le programme néolibéral a la claire ambition de délégitimer l’Etat-Providence, en passant par le droit[33].
Le développement historiquement important du contrôle de constitutionnalité des lois dans les démocraties occidentales après la seconde guerre mondiale correspond donc à la mise en œuvre progressive du programme libéral et néolibéral. D’ailleurs, on peut constater que la France du programme du Conseil National de la Résistance, dès 1945, avec son ensemble de droits sociaux, n’instaure alors pas de véritable contrôle de constitutionnalité des lois, incompatible[34].
Depuis, le contrôle de constitutionnalité a presque constamment évolué – en dépit d’histoires singulières et non continues selon les pays – dans le sens d’une pratique qui rend impuissante la démocratie, en tant qu’elle est condamnée à demeurer dans son champ très limité. L’esprit Lochner s’est instillé dans la plupart des cours suprêmes et/ou constitutionnelles, à l’instar du Conseil constitutionnel français[35]. Pour autant, les cours suprêmes et constitutionnelles continuent de véhiculer une image libératrice des hommes vis-à-vis du pouvoir d’Etat, tandis qu’elles valident – voire encouragent – des aliénations générées par les espaces non soumis à la règle de la démocratie. Cette image est à la fois le fruit d’un discours des cours elles-mêmes, mais aussi de la doctrine et des médias[36].
Cette image à contretemps du travail réel des cours constitutionnelles est notamment due à une extrême focalisation sur un effet possible du contrôle de constitutionnalité des lois, à savoir la censure de celles qui ne seraient pas considérées comme conformes à la constitution sur la base de laquelle chaque juge se prononce. Or, l’une des clés pertinentes de lecture de la jurisprudence contemporaine est au contraire de l’envisager « par la négative » : non pas donc du point de vue des lois qui sont déclarées contraires à la constitution, mais du point de vue des lois qui ne le sont pas. Puisque les législations adoptées sont une certaine manière de situer l’exercice du pouvoir qui favorise ou n’entrave pas les différents marchés (économiques, industriels, financiers, des idées, des identités, des causes, etc.), le contrôle qui aboutit à les valider est lui-même un élément important de cette organisation sociale déterminée. Le contrôle de constitutionnalité des lois est donc, tout à la fois dans son principe et dans sa pratique, un instrument de renforcement du libéralisme et de l’impuissance de la démocratie.
2. Des usages de la hiérarchie des normes : astreindre le suffrage aux logiques propres des marchés
La hiérarchie des normes a été promue comme principe politique au titre de la démocratie[37] et est aujourd’hui le symbole de l’Etat de droit[38]. Que comprendre alors de l’idée qu’un Etat comme la Pologne conforte sa position de fossoyeur de l’Etat de droit lorsque sa Cour constitutionnelle affirme que des normes européennes sont contraires à la constitution polonaise ? Il faut comprendre que l’Etat de droit est aujourd’hui compris en Europe comme la mise en œuvre d’une hiérarchie des normes dominée par les normes européennes et avec lesquelles donc les autres normes ne doivent pas être incompatibles. Cet état des choses semble contrarier le paradigme de la primauté de la constitution dont on vient de voir qu’il servait de base à une organisation sociétale libérale. De cette remise en cause de la valeur de la constitution en tant qu’acte de stricte délimitation du champ de la décision démocratique, on peut du même coup attendre une extension de ce champ. Si les constitutions sont les actes de mise en œuvre de la délimitation stricte du champ politique, on peut en effet espérer que, les normes qui viennent les concurrencer le fassent dans le sens d’un élargissement du champ de la démocratie, ainsi moins dépendante de la compréhension libérale – et donc aujourd’hui concurrentielle – des relations humaines.
Mais c’est tout l’inverse qui se produit. Des normes dont l’organisation sociale reconnaît qu’elles prévalent sur la constitution, organisent et soutiennent une compréhension concurrentielle des droits et libertés des individus, et non seulement évitent une extension du champ de la démocratie, mais le rétrécissent graduellement, dans un vaste mouvement qui en normalise le principe. C’est ce que semblent fondamentalement porter les normes européennes : des principes d’organisation d’un marché sur lequel ni les individus ni les institutions ne peuvent mettre d’entraves. Ces normes européennes, par l’effet des accords conclus entre les différents Etats membres de l’Union européenne, sont notamment placées sous la responsabilité d’une Cour de justice qui a scrupuleusement, depuis les années 1960, affirmé leur primauté sur toutes les autres normes juridiques[39], y compris sur la constitution. Dans les différents Etats, les juges font également prévaloir les normes européennes sur les normes juridiques nationales ou internationales, et, s’ils paraissent rechigner à faire de même s’agissant de la constitution[40], la question semble rester de pure forme car, ni de fait ni de droit, l’organisation sociétale portée par les normes européennes ne trouve d’obstacle réel dans sa mise en œuvre, tant par les autorités politiques, que par les autorités administratives et par les autorités juridictionnelles[41]. Le droit européen aurait pu organiser et supporter une autre organisation sociétale que sa primauté aurait eu une autre signification. Mais voilà, la primauté du droit européen conforte la vision libérale de l’organisation sociale au détriment de son caractère démocratique[42].
Cette concurrence institutionnalisée de la norme constitutionnelle vient donc en réalité conforter la raison d’être de la constitution, en dépit de ce qu’elle paraît l’affaiblir. C’est la raison pour laquelle on peut arriver peu ou prou aux mêmes conclusions à propos du droit américain, où la valeur et le symbole de la constitution y paraissent très forts : celle-ci met en place et entretient une organisation sociétale dans laquelle la puissance des acteurs non institutionnels est au moins équivalente à celle des institutions. Comme le fait remarquer Marie-France Toinet, s’appuyant sur l’historien du droit américain Morton Horwitz, « il est remarquable que les analystes américains, qui se sont beaucoup querellés, non pas sur la réalité de l’intervention étatique, mais sur son ampleur, ses modes et son efficacité, se soient fort peu intéressés ‘aux effets de l’activité gouvernementale sur la distribution de la richesse et du pouvoir dans la société américaine’ »[43]. Du même coup, Morton Horwitz considère que, sur la période qu’il étudie (1780-1860), ce sont en fait les intérêts de groupes émergents qui ont été favorisés, au nom de l’intérêt général[44]. A sa suite, Maria Rosaria Ferrarese souligne que, dans une économie de marché, l’essentiel du droit prend la forme d’accords privés entre et parmi les personnes privées : les contrats, transferts de propriété, donations, volontés, etc. deviennent la pierre angulaire, le sens principal, le fonds du droit et font des personnes privées les sources essentielles du droit[45].
Que ce soit du point de vue européen ou du point de vie américain, la focale mise sur le droit constitutionnel envisagé comme norme libératrice des peuples aurait ainsi pour effet d’occulter les véritables enjeux de pouvoir qui se déroulent dans la vie quotidienne des individus : dans le deux cas le droit reste un support essentiel, mais en tant qu’il permet d’organiser la lutte et la concurrence de tous, institutionnalisant ainsi la « loi du plus fort », à grands renfort d’avocats et de principes juridiques. C’est l’écrivain et diplomate Romain Gary qui, observant les Etats-Unis, a parfaitement analysé la situation : dans La nuit sera calme, publiée en 1974, il y remarque que « le but est de contrôler la loi « légalement », d’instaurer une société para-légale qui se situe entièrement dans des trous spécialement aménagés par la loi dans ce but ».
Et après ?
Que cela passe par une hiérarchie formelle et institutionnelle ou par une interprétation toujours approfondie de la limitation du champ du politique, y compris s’il prend une forme démocratique, le libéralisme d’aujourd’hui structure bien l’impuissance de la démocratie. Opposer à cette démocratie ainsi construite une autre idée-force ne peut passer que par la compréhension précise ce cette construction. Il ne peut s’agir seulement de penser la démocratie à l’intérieur des digues construites par le libéralisme, réinterprétées par la pensée d’un Hayek et entretenues par des représentations très largement partagées par des hommes et des femmes capables de l’emporter sur différents marchés. Il ne s’agit donc pas seulement de contester la hiérarchisation des normes comme le fait la Pologne par son tribunal constitutionnel[46], ni de proposer des nouvelles modalités du suffrage, ni évidemment de militer implicitement pour le statu quo en décrédibilisant ces tentatives. Si parler de démocratie délibérative ou participative ne suffit pas, invoquer la souveraineté des peuples ou des Etats contre d’autres pouvoirs ne peut pas avoir plus d’impact sur ce qui ne semble pas faire l’objet d’un débat réel et crédible. Car il faut bien insister sur le fait que ce qui se passe n’est pas réductible à une volonté des « puissants » à préserver leur position : c’est plutôt le fruit de représentations largement véhiculées par l’ensemble des acteurs sociaux, qu’ils soient marchands, experts, politiques, universitaires, ou journalistes, représentations qui sont souvent les seules mises à disposition du plus grand nombre[47].
Hélas le terrain pour la réflexion sur ces espaces de pouvoir n’est pas très favorable aujourd’hui, et même, se détériorerait. La crise sanitaire, dit-on, a remis le rôle de l’Etat sur le devant de la scène, en montrant sa puissance à contrôler les corps. Et pourtant, il ressort de ce nouvel « Etat- providence » que c’est moins la démocratie qui en ressort gagnante, qu’un état des choses qui se renforce. Ce qui se décide maintenant au niveau des Etats, qu’il s’agisse d’astreindre les personnes ou de soutenir les marchés, ne suit même plus les procédures démocratiques : les parlements n’ont pas délibéré, les exécutifs ont décidé à partir d’outils eux-mêmes non participatifs, et les juges n’ont pas joué de rôle de freins à cette tendance. L’invocation contemporaine incessante de l’urgence et de la nécessité[48] a continué de freiner l’extension possible du champ du dialogue social et des décisions prises selon les modalités du consensus, au profit d’une logique institutionnelle qui tend à réduire à peau de chagrin l’espace de la discussion hors de la décision majoritaire.
Pour faire bouger le « modèle », soit dans le sens du libéralisme, soit dans le sens de la démocratie, il faudrait avant tout discuter de ce qui est ouvert à la démocratie, et pas de comment faire la démocratie. Le vivier existe. On peut trouver par exemple dans les idées de « démocratie sociale » et/ou de « démocratie économique » des éléments intéressants en tant qu’elles feraient bouger les digues de séparation entre les flots du libéralisme et l’exercice du pouvoir politique. Si la démocratie sociale est emblématique d’une ancienne gauche aujourd’hui minoritaire[49], et donc mal connotée, et d’ailleurs aussi souvent mal définie que mal comprise[50], la démocratie économique est à la fois plus ancienne[51], et plus récente lorsqu’elle est dite « économique et sociale »[52], même si elle focalise presqu’exclusivement l’attention sur la question économique[53]. Au fondement ou dans l’élaboration de ces idée et propositions, est postulée que la démocratie ne doit pas s’arrêter à la porte du libéralisme, et c’est ce seul chemin qui semble empruntable pour sortir du « piège libéral » qui ne semble vouloir intégrer la critique qu’à la condition qu’elle ne porte pas sur cet essentiel.
S’il est faussement prophétique
de prendre position sur les évolutions éventuelles de ce modèle de démocratie
cantonnée et surpassée par des représentations sociétales qui en font largement
l’impasse, on peut garder à l’esprit certaines analyses de ce qui anime
effectivement l’individu et le groupe. Ainsi par exemple de celle figurant dans
le Malaise dans la civilisation de
Sigmund Freud, publié en 1930, et fréquemment citée au titre d’une
interrogation sur le rapport entre liberté individuelle et communauté
(politique) : « Quand une communauté humaine sent s’agiter en elle une
poussée de liberté, cela peut répondre à un mouvement de révolte contre une
injustice patente, devenir ainsi favorable à un nouveau progrès culturel et
demeurer compatible avec lui. Mais cela peut être aussi l’effet de la
persistance d’un reste de l’individualisme indompté et former alors la base de
tendances hostiles à la civilisation. La poussée de liberté se dirige de ce
fait contre certaines formes ou certaines exigences culturelles, ou bien même
contre la civilisation »[54]. De
fait, alors que la démocratie semble engager le collectif, la désaffection
démocratique s’apparente plus aujourd’hui à une somme de désaffections
individuelles, qu’il est difficile de corréler au statut de chacun vis-à-vis du
libéralisme : beaucoup semblent avoir des raisons de se détourner de la
démocratie comme forme politique, soit par la crainte qu’elle puisse quand même
contrarier le gain espéré de la lutte sur le marché des individualités, soit
parce qu’elle est précisément impuissante à contrarier les effets de cette
lutte. D’où qu’on la considère, l’insatisfaction démocratique contemporaine est
fille d’une manière libérale de se représenter les rapports sociaux[55].
[1] Noberto Bobbio, Libéralisme et démocratie, trad. Nicola Giovannini, éd. du Cerf, 1996, pp. 64-65.
[2] Bronislaw Malinowski, Les argonautes du pacifique (1922), Gallimard 1989, p. 82 : « Dans chaque culture, nous trouvons des institutions différentes grâce auxquelles l’homme défend ses intérêts vitaux, des coutumes différentes par quoi il réalise ses aspirations, des codes de lois et de morales différents qui récompensent ses vertus et punissent ses fautes. Analyser les institutions, les coutumes et les codes ou se pencher sur le comportement et la mentalité, sans le désir subjectif de prendre conscience de ce qui anime les gens, de saisir la raison profonde de leur joie de vivre – c’est, à mon avis, passer à côté de la récompense suprême que l’on peut espérer retirer de l’étude de l’homme » (je souligne).
[3] A l’exemple de l’article 6 de la Constitution d’Irlande de 1937.
[4] La littérature sur la démocratie et les moyens de la stimuler ou de la réactiver est immense depuis quelques décennies et traverse presque toutes les sociétés politiques qui se sont revendiquées de la démocratie. Au plan des pratiques et initiatives de pratiques, ce sont des instruments participatifs qui ont été testés dans beaucoup d’endroits du monde, presque toujours à l’échelle locale, avec plus ou moins de succès.
[5] Cette notion, quoique discutée ou contestée, se caractérise par sa capacité d’usage qui en fait le succès.
[6] Voyez évidemment les travaux de Georgio Agamben sur le sujet, et notamment État d’exception. Homo sacer, II, 1, Paris, Le Seuil (trad. par Joël Gayraud), 2003.
[7] Des discours en effet s’inquiètent de la disparition du libéralisme, à partir d’une analyse de l’intervention de l’Etat dans les espaces de vie et de l’économie. Selon une enquête Ipsos réalisée en 1998 pour le magazine « Enjeux-Les Echos » , 67% des chefs d’entreprise pensaient que l’Etat intervenait trop dans la vie des entreprises (https://www.ipsos.com/fr-fr/pour-les-chefs-dentreprises-letat-intervient-trop), tandis que dans leur essai paru en 2018, Transformer la France ; en finir avec mille ans de mal français, Mathieu Laine et Jean-Philippe Feldman estiment que la France n’est pas un Etat libéral. A l’inverse, il existe des discours, plus « intellectuels » qui consistent à dire que le « véritable » libéralisme n’est pas celui qui se déploie sous nos yeux : voyez par exemple Monique Canto-Sperber, « Pourquoi le libéralisme n’est pas le laissez faire », En Temps réel, Cahier 7, février 2003, http://www.entempsreel.com/files/cahier7.pdf.
[8] L’histoire originellement intellectuelle du néolibéralisme est maintenant connue, dont le fameux colloque organisé autour de Walter Lippmann en 1938, auteur d’un ouvrage intitulé An Inquiry Into the Principles of The Good Society publié en 1937 (Little Brown, Boston), semble avoir incarné la philosophie.
[9] John Dunn, Libérer le peuple. Histoire de la démocratie, Markus Haller, 2010.
[10] Emmanuel Siéyès, Discours prononcé en septembre 1789 Sur l’organisation du pouvoir législatif et la sanction royale.
[11] Il traduit ainsi « cheaply governed » employé par Benjamin Franklin dans une lettre adressée en 19778 à Charles de Weissenstein : Michel Foucault, « Cours du 17 janvier 1979 », dans Naissance de la biopolitique. Cours au collège de France, 1978-1979, Seuil, p. 30.
[12] Karl Polanyi, La grande transformation (1944), trad. Maurice Angeno et Catherine Malamoud, Gallimard, 1983.
[13] Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995.
[14] Il s’agit à l’origine d’une règle de droit civil romain (Quod ad omnes tangit, ad omnibus tractari et approbari debet: ce qui concerne tous doit être délibéré et approuvé par tous). Voyez notamment Yves-Marie Congar, « Quod omnes tangit ab omnibus tractari et approbari debet », Revue historique de droit français et étranger, 81, 1958, p. 210.
[15] Voyez notamment chez John Locke, et le fameux paragraphe 99 du chapitre VIII du Second Traité du Gouvernement civil (1689), trad. B. Gilson, Vrin, 1967.
[16] Pasquale Pasquino, Le principe de majorité : nature et limites, www.laviedesidees.fr, 14 décembre 2010.
[17] La technique du jugement majoritaire a été théorisée par Michel Balinski et Rida Laraki, dans « A theory of measuring, electing, and ranking », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 104, no 21, 11 mai 2007, p. 8720. Elle consiste pour chaque électeur à « juger » tous les candidats selon une grille préférentielle – « très bien », « bien », « assez bien », « passable », « insuffisant ».
[18] Walter Lippmann, An Inquiry Into the Principles of The Good Society, op. cit.
[19] C’est ce qui ressort du travail de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite Commission de Venise), qui, depuis 1990, fournit avis et assistance en matière de justice constitutionnelle. Voyez par exemple le Vademecum sur la justice constitutionnelle, 2007, CDL-JU (2007) 012).
[20] Voyez Dominique Rousseau, La démocratie continue, LGDJ-Bruylant, 1995.
[21] Et formulée assez tôt dans l’histoire libérale, à partir de l’idée de suprématie nécessaire d’une constitution qui organise et limite les pouvoirs des différents acteurs : voyez l’opinion du président de la Cour suprême américaine constituant l’arrêt Marbury v. Madison, 5 US (1 Cranch) 137, (1803).
[22] Et ce avec l’assistance de la Commission de Venise (voyez la note 19) et de juristes occidentaux. Voyez notamment Renaud Dorandeu, « Les Pélerins constitutionnels. Eléments pour une sociologie des influences juridiques », in Yves Mény (dir.), Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, L’Harmattan,1993, p.83.
[23] Evoluant dans un pays qui n’était pas totalement étranger à l’idée du contrôle de constitutionnalité des lois depuis déjà le milieu du XIXè siècle, l’autrichien Hans Kelsen a théoriquement défendu et fondé le contrôle de constitutionnalité sur l’existence d’une hiérarchie nécessaire des normes et posé les conditions d’un contrôle permettant son effectivité, à savoir ce qu’on appellera ensuite le modèle européen de justice constitutionnelle. Voyez en français, Hans Kelsen, traduit par Charles Eisenmann, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », Rev. du Dr. Pub., 1928, p. 197. Voyez aussi à ce sujet l’article de Joseph Pini, La Cour constitutionnelle autrichienne et les rapports entre juge constitutionnel et pouvoir constituant, Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 7, 1999, https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/la-cour-constitutionnelle-autrichienne-et-les-rapports-entre-juge-constitutionnel-et-pouvoir
[24] Voyez à ce sujet l’importante étude de Jean Leclair, L’Avènement Du Constitutionnalisme En Occident: Fondements Philosophiques Et Contingence Historique, Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, 2011, Vol. 41, p. 159.
[25] Voyez notamment l’ouvrage issu d’un colloque organisé en 2019 sur Capitalisme, libéralisme et constitutionnalisme (ouvrage coordonné par Lauréline Fontaine), Mare et Martin, 2021.
[26] C’est ce qui ressort notamment d’une interprétation du texte du 22 novembre 1787, connu comme Le Fédéraliste n°10 (voyez la traduction de David Mongoin dans la revue Jus Politicum : http://www.juspoliticum.com/Le-Federaliste-revisite.html).
[27] Charles A. Beard, An Economic Interpretation of the Constitution of the United States, 1913. Voy. pour une analyse de cet ouvrage, Violaine Delteil et Lauréline Fontaine, Sur l’empreinte économique de la Constitution américaine, lecture croisée de Charles Beard, dans Lauréline Fontaine (coord.), Capitalisme, libéralisme et constitutionnalisme, Mare et Martin, 2021, p. 75.
[28] Voyez les références note 20.
[29] Lochner v. New York, 198 U.S. 45 (1905).
[30] Voyez par exemple la décision Citizens United v. Federal Election Commission, 558 U.S. 310 du 10 janvier 2010, où il est question de réglementation, et en fait de déréglementation, des dépenses électorales, qui font de l’élection un lieu de concurrence équivalent à d’autres marchés.
[31] Voyez par exemple, pour le cas français, Gaston Jèze, « L’inconstitutionnalité des lois en Roumanie », Rev. du Dr. Publ., 1912, et « Le contrôle juridictionnel des lois (en France) », Rev. du Dr. Publ., 1924 ; Henri Desfougères, Le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, thèse dact., Paris, 1913 ; Ho Hio Ky, Le contrôle de la constitutionnalité des lois en France, thèse dact., Paris, 1926 ; ou encore Paul Duez, « Le Contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. Comment il convient de poser la question », Mélanges Maurice Hauriou, Sirey, 1929, p. 211 ; André Hauriou, « La Technique française en matière de contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois », Introduction à l’étude du droit comparé : recueil d’études en l’honneur d’Edouard Lambert, T. 2, Sirey, 1938, p. 333.
[32] Voyez par exemple l’ouvrage classique de Joseph-Barthélémy et Paul Duez, Traité élémentaire de droit constitutionnel, p. 186 : « La suprématie de la constitution est (…) une idée propre à la démocratie organisée ». Les auteurs regrettent par ailleurs qu’en France, une réforme permettant un contrôle de la constitutionnalité des lois par voie d’exception n’apparaît pas possible, mais ils ne proposent pas l’institution d’un contrôle par voie d’action (pp. 219-220).
[33] Voyez à ce sujet Louis Rougier, organisateur du colloque Walter Lippmann, Les mystiques économiques, éd. de Médicis, 1938, dans lequel il propose « un ordre juridique tel que la possibilité de la libre concurrence est toujours sauvegardée ».
[34] Celui-ci ne sera institué qu’avec la Constitution de la Vè République en 1958.
[35] Voyez en ce sens sa décision 2013-672 rendue le 13 juin 2013 qui censure un dispositif de solidarité au profit de la liberté contractuelle (à ce sujet, Alain Supiot, « La solidarité civile et ses ennemis. A propos de la décision du Conseil constitutionnel 2013-672 du13 juin 2013 », dans Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Laborde, Dalloz, p.15, p. 481.
[36] Voyez l’exemple presque caricatural du Conseil constitutionnel français dans Lauréline Fontaine, « Bilan et réflexions sur une éthique de la justice constitutionnelle à la lumière de ce qu’en font et de ce qu’en disent ses acteurs. Que doit-on attendre d’une réforme – nécessaire – du conseil constitutionnel ? », dans l’ouvrage dirigé par Elina Lemaire et Thomas Perroud à paraître en 2022 aux éditions de l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, faisant suite au colloque qu’ils avaient organisé et qui s’était finalement tenu en septembre 2021 à Paris sur « Déontologie et transparence du Conseil constitutionnel ».
[37] Illustrant d’ailleurs la malléabilité intellectuelle de cette notion. On n’oublie pas en outre que le théoricien de la hiérarchie des normes et de la justice constitutionnelle en Europe, Hans Kelsen, est par ailleurs l’auteur d’une étude sur la démocratie, La démocratie, sa nature, sa valeur (Vom Wesen und Wert der Demokratie), 1929, dont la traduction française a été assurée par Charles Eisenmann et publiée en 1932 aux éditions Sirey.
[38] Voyez par exemple le document de la Commission de Venise adopté en 2016 dressant la Liste des critères de l’Etat de droit, https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2016)007-f.
[39] Cette primauté a été affirmée à propos des normes juridiques des Etats membres mais aussi à propos de normes internationales, à l’instar de résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies : arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes Kadi et Al Barakaat International Foundation / Conseil et Commission, 3 septembre 2008, aff.C402/05.
[40] Voyez par exemple l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat français rendu le 30 octobre 1998, Sarran et Levacher.
[41] Les quelques décisions que l’on peut répertorier ici ou là restent finalement, au regard des enjeux, plus anecdotiques qu’il n’y paraît. L’effet de symbole – lorsqu’il s’agit par exemple d’affirmer l’identité constitutionnelle d’un Etat, contre laquelle le droit européen ne saurait aller – est lui-même la plupart du temps limité au cercle restreint des juristes. Voyez pour un panorama de cette question, Laurence Burgorgue-Larsen (dir.), L’identité constitutionnelle saisie par les juges en Europe, Pedone, 2011.
[42] Voyez aussi Dieter Grimm, « Quand le juge dissout l’électeur », Le Monde diplomatique, juillet 2017, p. 19.
[43] Marie-France Toinet, « L’Etat américain », Le Débat, 1985/4, p. 13 de la version en ligne sur le portail Cairn. Elle cite le premier ouvrage important de l’historien américain du droit Morton Horwitz publié en 1992, The transformation of American law : 1780-1860, Cambridge, Harvard University Press, 356 p. (p.XIII et XIV).
[44] Voy. aussi Françoise Michaud, Le mouvement des Critical Legal Studies.De la modernité à la postmodernité en théorie du droit, Presses de l’Université de Laval, 2014, p. 40.
[45] Maria Rosaria Ferrarese, « An Entrepreneurial Conception of Law ? The American Model Through Italian Types », in D. Nelken (dir.), Comparing Legal Cultures, Dartmouth, 1997, p.157.
[46] Décision K3/21 du 7 octobre 2021, Assessment of the conformity to the Polish Constitution of selected provisions of the Treaty on European Union, https://trybunal.gov.pl/en/hearings/judgments/art/11662-ocena-zgodnosci-z-konstytucja-rp-wybranych-przepisow-traktatu-o-unii-europejskiej
[47] Par exemple, un Professeur de droit public, Xavier Magnon, a signé récemment une tribune dans le journal Le monde intitulée « Donnons au peuple des instruments pour décider de la production de la loi » (Le Monde daté du 27 janvier).
[48] Voyez à ce sujet ma conférence de novembre 2021 à Die (Drôme) et le texte Droit et démocratie au temps du Covid 19, en ligne : https://www.ledroitdelafontaine.fr/droit-et-democratie-au-temps-du-covid-19/.
[49] Voyez par exemple le livre d’Alain Chatriot, La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national économique, 1924-1940, La découverte, 2003.
[50] Voyez Anne-Marie Gingras, Adriana Dudas, Magali Paquin et Marc Foisy, « Les représentations sociales de la démocratie. Réflexivité, effervescence et conflit », Politique et Sociétés, 2008/2, p. 11–40.
[51] Voyez par exemple le cours d’Alain Supiot au Collège de France le 9 décembre 2016, La vision révolutionnaire de la démocratie économique, à réécouter sur le site de France culture (https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/figures-juridiques-de-la-democratie-69-la-vision-revolutionnaire-de-la-democratie-economique-0).
[52] Voyez par exemple l’article de Richard Hyman, « La démocratie économique : une notion redevenue d’actualité? », https://global-labour-university.org/fileadmin/GLU_Column/FR_papers/no_56_Hyman_FR.pdf.
[53] Voy. par exemple l’article intéressant de Bernard Friot, « Un droit fondateur de la démocratie économique », Le sujet dans la cité, 2012/2, p. 92. Voyez aussi le rapport de synthèse de l’Institut Veblen par Julien Dourgnon en 2018, Démocratiser l’économie, https://www.veblen-institute.org/Democratiser-l-economie.html.
[54] Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation (1929), Traduit de l’Allemand par Charles et Jeanne Odier, Gallimard, 1971, p. 45.
[55] Ce qui est peut-être une manière d’euphémiser la pensée d’un Jacques Ellul postulant dans la revue Esprit que le fascisme est fils du libéralisme, « Le fascisme, fils du libéralisme », Esprit, 1937, (https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2020/03/26/jacques-ellul-le-fascisme-fils-du-liberalisme/).