Parution le 25 février 2021 de :
L’ouvrage sur le site de l’éditeur
Il est rare qu’un phénomène social n’interagisse pas avec les autres. Lorsque des idées soutiennent des pratiques, il est tout aussi rare qu’on ne puisse pas observer leurs évolutions les unes vis-à-vis des autres. Les jonctions, conjonctions ou disjonctions entre différents phénomènes sociaux sont finalement ce qui fait société, et les observer participe de son entendement.
Mais les cloisonnements disciplinaires, justifiés par les meilleurs arguments, empêche la possibilité même d’accéder à cet entendement. Pas sans raison, qui explique que lorsque des liens sont évoqués ici ou là, ils ne sont pas pris au sérieux : l’évocation de ces liens n’engagent que rarement les hommes à les explorer. Lorsque par exemple Karl Polanyi évoque entre deux lignes que les évolutions du constitutionnalisme vers la démocratie sont très étroitement liées aux analyses et aux évolutions du capitalisme (The Great transformation. The Political and Economic Origins of our Time, 1944), il s’appuie sur une analyse personnelle, ne fait pas « doctrine », ni ne s’appuie sur une doctrine préexistante. Capitalisme et constitutionnalisme, en tant qu’ils sont des idées qui soutiennent des pratiques, fort diverses d’ailleurs, s’ils sont socialement liés, relèvent en tout état de cause de disciplines distinctes : s’il se conjoignent dans l’espace social, ils se dissocient dans l’espace scientifique.
Cette dissociation a des conséquences : on peut estimer aujourd’hui que le constitutionnalisme est impropre à jouer un rôle de frein face aux effets du capitalisme, parce qu’en les pensant « scientifiquement » distinctement, on les prend pour des phénomènes sociaux séparés. Et si on concède ici ou là des liens, ce n’est pas pour les analyser en profondeur, en en laissant toujours la responsabilité « aux autres ». Mais si on ne pensait pas ces phénomènes comme socialement distincts, on pourrait par exemple, à titre d’hypothèse, considérer que l’état du constitutionnalisme aujourd’hui est précisément le fruit de son rôle dans le système capitaliste, en tant qu’il ne lui est pas extérieur mais bien partie prenante. Et là où se conjoignent libéralisme et capitalisme, à travers ce qu’on nomme désormais le « néo-libéralisme », on pourrait se demander s’il n’y a pas également lieu d’y lier le dit « néo-constitutionnalisme ».
L’inventeur identifié de l’expression « néo-libéralisme », le journaliste Louis Rougier qui a organisé le fameux colloque Lippmann en 1938, n’a-t-il pas produit en 1952 un ouvrage de 204 pages intitulé La France à la recherche d’une Constitution (Sirey) ? Le juriste Louis Boulouis en fait à l’époque une critique assassine à la Revue Française de Science Politique (1952, p. 822), en pointant le manque de rigueur dans cette « science difficile » qu’est le droit constitutionnel et le partisianisme de Louis Rougier. S’il a sans aucun doute raison, il n’est pas non plus rigoureux pour ses successeurs d’ignorer les effets sur le droit constitutionnel d’une pensée sur l’économie et les institutions et des pratiques qui en relèvent. Le droit constitutionnel n’est pas une chose en soi, ce sont des pensées et des pratiques qui évoluent avec et en même temps que d’autres pensées et d’autres pratiques qui peuvent faire ainsi communauté.
Le travail commencé avec cet ouvrage est une première somme d’analyses « autour » de ces différentes idées et pratiques que constituent le capitalisme, le libéralisme et le constitutionnalisme. Les uns et les autres des contributeurs de cet ouvrage ont eu pour tâche, à partir de leur personnalité et de leurs compétences propres, d’essayer de penser « ensemble » ces trois champs sociaux délimités par leur nomination. Qu’ils soient tous ici remerciés pour ce partage, à la suite du colloque qui avait été organisé par Olivier Peiffert, Nicolas Brémand et moi-même en juin 2019 (vous trouverez les différentes interventions en vidéo ici : https://www.ledroitdelafontaine.fr/images-du-colloque-capitalisme-liberalisme-et-constitutionnalisme/).
L’ouvrage a pu être publié grâce au soutien et à la participation du centre de recherche de la Sorbonne Nouvelle Intégration et Coopération dans l’Espace Européen, dirigé par l’historienne Christine Manigand. Il bénéfice d’une très belle couverture reproduisant un détail du tableau du peintre Jean-Thibaut Fouletier Au revoir les enfants (à voir ici : http://tybolt.fr/au-revoir-les-enfants-2/).
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Puisque je parle de tableau, en voici un autre de Jean-Thibaut Fouletier, sur lequel j’ai réalisé un petit commentaire sonore tout à fait « personnel » : Animal Chaleureux.
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Qu’il s’agisse de peinture, de capitalisme ou d’organisation universitaire, il s’agit toujours d’une manière de parler le monde que nous constituons et dans lequel nous vivons : voici quelques réflexions à l’occasion d’une interview sur cette nouvelle sémantique du distanciel et du présentiel dont on se demande comment on avait fait avant pour penser hors de ces mots : https://rdwa.fr/interview/propos-sur-le-presentiel-et-le-distanciel-par-laureline-fontaine/
Bonne balade.
Lauréline Fontaine, février 2021.