Cette étude est à paraître dans la revue Le Tribonien. Elle est très longue et je l’ai donc coupée en 3, en mettant le plan général de l’étude ci-dessous. Je remercie Nicolas Laurent-Bonne pour son aimable autorisation.
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Voir la partie 3
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Plan de l’étude
1. L’éthique de la nomination, enjeu de la légitimité politique de la justice constitutionnelle
1.1 Les usages irréguliers de la procédure de désignation des gardiens de la Constitution
1.1.1. La difficile pratique de la désignation des gardiens de la constitution dans les démocraties à construire
1.1.2. L’usage non normalisé de la désignation des gardiens de la constitution dans les démocraties « confirmées »
1.1.3. Les maigres solutions techniques et juridiques aux problèmes éthiques de la nomination
1. 2 L’éthique de la désignation au prisme de la liberté de choix des autorités de nomination
1.2.1. L’éthique parfois douteuse des autorités de nomination
1.2.2. La désignation des gardiens de la Constitution : sujet d’intérêt public variable
2. Les variations autour du caractère démocratique de la désignation des gardiens de la constitution
2.1. Pluralisme des autorités de nomination versus unilatéralisme
2.2. Pluralisme des gardiens versus homogénéité ?
2.2.1. Le cadre politique et culturel des critères de diversité des gardiens de la constitution
* L’évolution des pratiques de nomination incluant les femmes
* La portée du caractère fédéral, multi-ethnique ou multi-linguistique d’un Etat sur la nomination des gardiens de la constitution
2.2.2. La permanence des critères de nomination limitant la diversité recherchée
2.2.3. Les ambiguïtés de la diversité recherchée
3. Les variations autour du caractère judiciaire de la désignation des gardiens de la constitution
3.1 Donner un rôle au pouvoir judiciaire dans la désignation des gardiens de la Constitution
3.2 Nommer des gardiens indépendants des autorités contrôlées
3.2.1. Penser l’indépendance procurée par l’expérience du droit vis-à-vis des autorités contrôlées
3.2.2. Le choix impossible entre la prévalence des opinions et les qualifications juridiques
Les enjeux éthiques et démocratiques de la désignation des gardiens de la Constitution. Etude comparée
The procedure followed for the appointment of constitutional judges is an essential element of a constitutional justice model and affects significantly the court’s self-perception[1]
En soi, l’idée de « garde » de la Constitution est susceptible de recouvrir un champ très élargi de compétences et de vigilance. Toute autorité ou tout individu peut être chargé, souvent par la Constitution elle-même, de veiller à son bon respect. Célèbre est ainsi la disposition de la Constitution française de 1791 qui « en remet le dépôt à la fidélité du Corps législatif, du roi et des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l’affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français », faisant de toute personne un gardien de la Constitution[2]. Pour la Commission européenne pour la démocratie par le droit, autrement appelée Commission de Venise, « il va de soi que le Parlement est le premier garant de la Constitution »[3]. Actuellement, plusieurs textes constitutionnels en vigueur confient explicitement cette garde à une autorité politique constituée en particulier, le plus souvent par une clause générale : le peuple[4], les forces armées[5], le chef de l’Etat[6], ou à l’ensemble des pouvoirs publics[7]. Très souvent aussi cette mission de garde de la Constitution figure dans le serment que doivent prêter certaines autorités constituées, à l’instar presque toujours du chef de l’Etat[8]. Depuis l’avènement de l’« ingénierie constitutionnelle », c’est-à-dire de la fixation d’un ensemble de normes et de techniques constitutionnelles considérés comme propres à atteindre certains buts, la doctrine et les institutions internationales et régionales de promotion de l’Etat de droit et de la démocratie estiment cependant que c’est principalement à un organe de type juridictionnel que cette mission de garde revient. Le contrôle juridictionnel de constitutionnalité, après avoir été développé et pratiqué tout le long du XXè siècle, et surtout depuis la seconde partie de celui-ci, est devenu une préoccupation géostratégique. Lorsque le Conseil de l’Europe crée la Commission de Venise en 1990, c’est pour « assister » les pays de l’Est européen dans leur transition vers la démocratie par l’adoption de constitutions adéquates. En particulier, il s’agissait d’instaurer et d’organiser la justice constitutionnelle comme un élément-clé de l’Etat de droit à venir[9], participant ainsi de la standardisation constitutionnelle de l’Europe, mais aussi à certains égards du monde : un nouveau régime qui ignorerait la justice constitutionnelle est presque par définition soupçonné de ne pas vouloir assurer la suprématie de la Constitution, c’est-à-dire la limitation du pouvoir et le respect des droits et libertés[10].
La plupart des constitutions aujourd’hui en vigueur dans le monde instituent donc des cours constitutionnelles ou suprêmes et leur confient des missions de contrôle de constitutionnalité des actes et actions des autorités politiques, tout en attribuant souvent aussi à d’autres autorités, politiques le plus souvent, le titre de « gardiens » de la Constitution. Ce constat montre l’actualité non dite d’une controverse célèbre à propos de la « garde » de la Constitution : l’idée de « garde », de la loi ou de la Constitution, est ancienne, mais elle a été popularisée dans les années 1930 par l’opposition entre l’allemand Carl Schmitt, vantant la qualité du chef de l’Etat comme « gardien de la Constitution », et l’autrichien Hans Kelsen, prêtant plus volontiers cette qualité à un organe juridictionnel[11]. Si le premier fut lié au régime nazi et le second dût prendre asile aux Etats-Unis, c’est la doctrine du second qui a profondément influencé la construction des standards internationaux et européens à propos de l’Etat de droit, dont l’un des piliers est que la Constitution doit être protégée par un organe de type juridictionnel. La réalité du travail de garde de la Constitution est donc aujourd’hui confiée à un organe juridictionnel, mais, sauf exception[12], l’expression de « garde » est encore symboliquement et explicitement rattachée à des autorités politiques. Pour désigner l’organe de contrôle de la constitutionnalité de l’action des pouvoirs exécutif et législatif, la dénomination de « juges », constitutionnels ou suprêmes est en général préférée à celle de « gardiens de la Constitution ». Je choisis néanmoins de conserver ici le vocabulaire du « gardien » de la Constitution pour désigner une cour constitutionnelle ou suprême et ses membres, et ce pour deux raisons principales : d’une part, il s’agit de prendre part à la controverse pour ne pas laisser ce titre aux autorités purement politiques ; d’autre part, à parler de « juge » et de « justice » constitutionnels plutôt que de « gardiens » et de « garde », on tend à oublier que certains organes de contrôle n’ont pas véritablement les qualités nécessaires pour assurer une mission de nature « juridictionnelle », que ce soit au niveau des conditions de l’indépendance, du statut des décisions ou même de l’élaboration des décisions. Sans exclure le vocable de « juges », je privilégierai donc ici l’expression de « gardiens de la Constitution » pour désigner des organes de contrôle théoriquement distincts du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, chargés de la mission de contrôler la constitutionnalité de leurs actes et/ou de leurs relations. En revanche, je conserverai le plus souvent l’idée de « justice constitutionnelle » pour appuyer l’idée (politique) qu’elle n’a de chance de s’enraciner dans notre culture démocratique que si elle se développe distinctement du champ de l’activité proprement politique[13].
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Il existe des manières multiples d’envisager et d’organiser la garde juridictionnelle de la Constitution, et, à proprement parler, il n’y a pas de règles internationales qui obligent à telle ou telle organisation. La justice constitutionnelle est certes l’un des objets réglés par la Constitution qui en fixe les principes fondamentaux, relativement à qui est gardien, selon quelles modalités, avec quels pouvoirs, mais elle recouvre un spectre assez étendu de configurations. La garde de la Constitution peut être confiée à un organe spécialement institué pour cette mission – on parle alors le plus souvent de « cour constitutionnelle » – ou à la multiplicité des juges – on parle d’un contrôle diffus régulé en dernier lieu par une cour suprême[14]. Les gardiens peuvent en avoir la garde exclusive (c’est en général le cas d’une cour constitutionnelle), ou se la partager avec d’autres (les défenseurs des droits par exemple peuvent avoir cette fonction). Lorsqu’un contrôle de constitutionnalité diffus est exercé par les juges de droit commun, une cour suprême détermine en dernier lieu les règles d’interprétation de la Constitution[15]. Le contrôle peut ne concerner que la loi, ou une pluralité d’actes (tous les actes juridiques adoptés par les autorités publiques ou assimilées)[16]. Le gardien peut être limité à un type de contrôle de la constitutionnalité (des normes le plus souvent) ou exercer d’autres compétences (juge de la répartition des compétences normatives entre différents organes[17], juge des élections[18], juge de la constitutionnalité des partis politiques[19], ou encore juge de la corruption des élus[20]). Les prérogatives du gardien comprennent le plus souvent le pouvoir de rendre inapplicable l’acte déclaré inconstitutionnel, mais aussi parfois des pouvoirs d’investigation[21], d’abrogation[22], voire de révocation ou de destitution[23]. Et de quelque gardien qu’il s’agisse selon ces différentes hypothèses, sa désignation, son statut et les modalités de l’exercice de ses missions diffèrent selon le pays considéré. En bref, Il n’existe aucun véritable modèle reproduit ou reproductible à l’infini : il y a toujours quelque chose de différent : une procédure, une compétence, un mode de désignation. Aucune organisation n’est identique à une autre, aucune cour n’a exactement la même composition, les mêmes procédures, les mêmes compétences et prérogatives.
Mais qu’il n’y ait, en Europe et dans le monde, aucune cour composée et fonctionnant de manière identique à une autre ne contrarie pas l’idée que ces questions recouvrent des enjeux cruciaux pour les démocraties. Les institutions régionales et internationales de promotion de la justice constitutionnelle n’ont pas élaboré de système « idéal » de nomination des gardiens de la Constitution, mais elles sont souvent conduites à pointer les insuffisances des systèmes qu’elle examine. La moindre des différences est interrogeable du point de vue de la valeur et de la portée réelle de la justice constitutionnelle dans un système donné et à un moment donné. Sont d’abord en jeu les conditions pour que soient assurés le respect effectif, la définition et la titularité des droits et libertés fondamentaux. La qualité « démocratique » du régime est également en jeu puisque la justice constitutionnelle est censée assurer la garde de la Constitution « contre » l’action des autorités constituées. Comprendre la justice constitutionnelle c’est donc comprendre qui la fait, dans quelles conditions et pourquoi ; et, y répondant, confronter systématiquement les réponses avec les théories et conceptions que l’on a de la Constitution, des droits et libertés, et de la démocratie en train de se faire[24]. Il convient donc de se mettre toujours au clair avec ces enjeux si on veut observer et analyser utilement les pratiques et principes de la justice constitutionnelle qui se sont mis en place dans les différents pays, c’est-à-dire si on veut avoir les moyens de comprendre comment, effectivement, les différentes sociétés politiques entendent les droits, les libertés, la démocratie, et plus largement l’idée même de Constitution.
Les conditions de la désignation des gardiens juridictionnels de la Constitution sont presque toutes emblématiques d’une manière de considérer la justice constitutionnelle dans un régime politique donné : qui les désigne et selon quelles procédures ? Qui peut être désigné et qui sont effectivement désignés pour administrer la justice constitutionnelle ? Les réponses données à ces questions, inscrites dans un contexte historique, politique et institutionnel chaque fois déterminé, donnent la juste dimension de la justice constitutionnelle qui est rendue. On ne peut pas sérieusement se concentrer sur le travail fait par les cours constitutionnelles ou suprêmes si on ne se demande pas qui sont les gardiens et comment ils le deviennent ; une sorte de « d’où parles-tu camarade ? », credo épistémologique issu des événements français du mois de mai 1968. Il y a toujours lieu de se demander ce qu’on veut faire – ou ne pas faire – en organisant de telle ou telle manière la justice constitutionnelle. Et surtout, quelles conséquences cela peut-il avoir de ne pas l’organiser de telle ou telle manière ?[25]
Ce questionnement est d’autant plus aigü que, ces dernières années, les exemples de crises politiques dues à la nomination des gardiens de la Constitution apparaissent particulièrement nombreux sur le territoire européen, « conduisant souvent à un fonctionnement désordonné de la Cour et menaçant l’ordre constitutionnel »[26]. En 2016, la Commission de Venise a publié une Déclaration sur des ingérences indues dans le travail des cours constitutionnelles d’États membres[27]. Elle y cite son avis portant sur les amendements à la loi sur le Tribunal constitutionnel de la Pologne[28], s’inquiète « des retards dans la nomination des juges à la Cour constitutionnelle en Slovaquie et en Croatie » et se dit préoccupé par « les appels publics de l’exécutif à mettre un terme au mandat du président de la Cour constitutionnelle » en Géorgie. La polarisation actuelle des débats sur les évolutions des juridictions constitutionnelles dans des pays de l’Est de l’Europe, dont les dirigeants revendiquent un « illibéralisme », ne saurait néanmoins être prise pour boussole dans l’examen de la justice constitutionnelle et de son organisation. Il serait par exemple peu judicieux de souscrire sans discuter à l’argument de l’actuel président du Conseil constitutionnel français selon lequel le mode de désignation de ses membres n’est pas en soi critiquable, au prétexte qu’il n’existe aucun système parfait[29]. Les nouvelles nominations au Conseil constitutionnel français en février 2022 ont-elles aussi fait l’objet d’un nombre inédit de tribunes critiques dans la presse écrite[30], là où une partie de la doctrine entame, discrètement encore, une petite révolution critique[31]. Outre la présence statutaire des anciens présidents de la République, le Conseil français est en effet composé d’anciens premiers ministre, d’anciens ministres et des anciens parlementaires, ce qui n’est pas sans interroger l’indépendance de la justice constitutionnelle vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif qui font l’objet du contrôle. Il y aurait une forme de paresse intellectuelle à se satisfaire de ce que cela paraît « pire » ailleurs.
Sur tous les continents, les questions relatives à la désignation de ceux qui rendent la justice constitutionnelle se posent périodiquement, et sont, à certains endroits, un sujet récurrent de l’actualité politique non réservé à la doctrine. La désignation d’un gardien a ainsi occupé un espace médiatique non négligeable aux Etats-Unis entre le mois de février et le mois d’avril 2022, à la suite de l’annonce par un membre de la Cour Suprême en exercice de sa retraite pour l’été 2022[32]. Plusieurs visions se sont confrontées, à la fois dans l’espace politique et médiatique, dans un contexte où la doctrine a déjà beaucoup dit sur les conditions de désignation des juges à la Cour suprême des Etats-Unis[33]. D’ailleurs, selon les deux juristes américains David A. Strauss et Cass Sunstein, il est difficile de trouver une seule personne satisfaite par le système de nomination à la Cour suprême[34], et les études ne manquent pas pour souligner les travers du processus de désignation des membres de la Cour Suprême[35]. A l’été 2020, la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest a prestement invité le pouvoir en place au Mali à nommer les nouveaux juges à la Cour constitutionnelle, après que celle-ci fut « dissoute de fait » par le Président du Mali quelques semaines auparavant, et alors que celui-ci ne semblait pas disposer à acter des décisions de la Cour[36]. L’organisation régionale a même proposé un plan informel modifiant la conception de la nomination des juges, finalement suivi par les principaux acteurs[37].
L’intervention ponctuelle des organisations internationales ou régionales ainsi que les avis ou jugements portés par les uns et les autres d’un pays à l’autre ne semblent pas toujours conduire à une franche volonté de résoudre les difficultés partout où elles se présentent, le cas de la Pologne depuis la fin de l’année 2015 étant évidemment emblématique[38]. Indépendamment des règles mises en place ou à mettre en place, l’éthique suivie dans la désignation des gardiens de la Constitution est une source constante d’inquiétudes et/ou de crises politiques qui mettent en jeu la légitimité politique de la justice constitutionnelle (1ère partie). Ces inquiétudes et ces crises sont souvent l’occasion, pour le personnel politique ou pour les spécialistes de la justice constitutionnelle, de réfléchir à des réformes de la procédure de désignation des gardiens. A les suivre, deux aspects de la désignation retiennent l’attention : il s’agit de fonder la justice constitutionnelle sur les critères de la démocratie politique (2ème partie) et/ou sur ceux de l’Etat de droit et de l’indépendance de la justice (3ème partie).
1. L’éthique de la nomination, enjeu de la légitimité politique de la justice constitutionnelle
La Commission de Venise estime qu’« il n’est pas nécessaire de décrire en détail la procédure de nomination des magistrats dans la Constitution même[39], mais que « [l]a nomination des juges étant capitale pour garantir leur indépendance et leur impartialité, il est recommandé de réglementer la procédure de nomination de façon plus détaillée dans la Constitution »[40]. Fondé sur la loi ou la Constitution, c’est l’acte matériel de désignation – ou parfois justement l’absence d’un tel acte – qui révèle l’opportunisme et l’éthique des autorités en charge de nommer les gardiens. Leur désignation effective peut être être effectuée dans des conditions irrégulières ou simplement tarder, compromettant l’exercice et l’indépendance de la justice constitutionnelle (1). De ce point de vue, les différentes expériences observées permettent parfois de suggérer l’adoption de mécanismes déterminés, mais, souvent, font apercevoir la limite de la juridicisation de la procédure. A cet égard, le choix des personnalités nommées peut être révélateur de la manière dont les autorités de nomination considèrent la justice constitutionnelle, dans un environnement culturel où la publicité de la désignation et l’intérêt public pour la justice constitutionnelle sont variables (2).
1. 1 Les usages irréguliers de la désignation des gardiens de la Constitution
Le premier objet de la Constitution est d’instituer des organes et de régler les conditions d’exercice de leurs compétences. Si peu de régimes politiques sont exempts de détournement, de dénaturation ou d’ignorance des prescrits constitutionnels, il revient en général aux démocraties constitutionnelles confirmées de respecter minimalement les apparences : seuls les organes institués par la Constitution exercent effectivement des compétences politiques et selon les procédures prévues, ce qui n’empêche pas ça et là certaines entorses. Disons que des apparences bien entretenues sont a minima une condition pour qualifier une démocratie contemporaine construite autour de l’idée d’Etat de droit, à savoir le respect des procédures par des organes constitutionnellement habilités. Lorsque les gardiens de la Constitution sont nommés, ils le sont donc en principe selon les règles prévues par la Constitution, et, logiquement, sans retard. A première vue, ce sont donc les démocraties les plus récentes ou les plus fragiles qui sont concernées par le problème des usages irréguliers ou tardifs des procédures de désignation des gardiens de la Constitution, symptomatiques d’un défaut de démocratie et de la faiblesse de l’Etat de droit censé la supporter (1). Mais, alors qu’elles sont volontiers pointées du doigt par les démocraties plus anciennes, celle-ci ne sont pourtant pas épargnées non plus par le phénomène (2), faisant qu’il apparaît particulièrement illusoire d’instaurer des mécanismes destinés à empêcher ces blocages (3). Il est vrai qu’une crise dans la nomination des juges constitutionnels n’a pas la même signification lorsque la démocratie est à peine construite ou peine à se construire, que lorsqu’elle survient dans un régime dont les habitudes démocratiques paraissent plus ancrées. Toutefois, pour apprécier cette différence, il faut aussi garder à l’esprit que ce sont les plus anciennes démocraties qui ont poussé les plus jeunes à organiser la justice constitutionnelle et que, à ce titre, elles sont plus enclines à la critique qu’à l’autocritique.
1.1.1 La difficile pratique de la désignation des gardiens dans les démocraties à construire
L’instrumentalisation de la procédure de désignation des gardiens de la Constitution à des fins de blocage des institutions et des oppositions politiques est un grand classique des pays dans lesquels l’équilibre des pouvoirs ne s’est pas encore créé. Ainsi que le note Katalin Kelemen, ce n’est pas une coïncidence si les problèmes de paralysie de la procédure de nomination se produisent plus souvent dans les anciens pays socialistes[41], en tout cas en ce qui concerne l’Europe. Par exemple, dès 1993, et en dépit de la bonne volonté affichée des constituants, « l’échec de la première tentative des autorités ukrainiennes de mettre en place une cour constitutionnelle en raison de l’impossibilité pour les parlementaires de se mettre d’accord sur le choix des juges est un exemple éloquent de l’instrumentalisation dont fait l’objet la procédure de désignation des juges constitutionnels et des répercussions qu’elle peut avoir sur le fonctionnement futur de l’institution »[42]. Les premiers juges constitutionnels furent finalement nommés en 1996, mais une autre crise survint au moment du renouvellement de la Cour en 2005, qui aboutit à son non fonctionnement pendant un an et demi, faute du quorum nécessaire pour siéger. Le 3 novembre 2005, le Congrès des juges d’Ukraine a désigné six juges à la Cour constitutionnelle et le Président de la République en a désigné trois le 14 novembre 2005. Mais le Parlement n’a pas nommé les quatre juges et n’a pas non plus engagé la procédure de prestation de serment des autres juges alors que cela relevait de sa compétence. Cette nouvelle crise fut particulièrement suivie par le Conseil de l’Europe[43]. A partir de 2015, l’Ukraine a modifié son système de désignation des juges à la Cour constitutionnelle en organisant un système de concours devant chaque autorité de nomination[44].
Autre exemple, en République tchèque, en 2003, le début du premier mandat du Président Váklav Klaus (qui succédait à Váklav Havel) donna lieu à un conflit avec le Sénat à propos de la nomination des juges à la Cour constitutionnelle, parce que ce dernier rejeta quatre des candidats sur les cinq proposés pour pourvoir aux sièges vacants. Le blocage fut levé après les élections de 2004, qui permirent au président d’obtenir la majorité au Sénat. Mais la Cour resta en sous-effectif pendant encore quelques temps.
En 2019, l’attention des institutions européennes s’est portée sur le cas de la Slovaquie. En la matière, la Slovaquie n’en était pas à sa première crise politique[45]. Au mois de février 2019, le mandat de neuf juges (sur treize) ayant expiré, les membres du Parlement ne purent se mettre d’accord sur la liste des candidats à proposer, laissant une nouvelle fois la Cour fonctionner avec seulement quatre juges jusqu’en octobre 2019. En juillet, le Conseil de l’Union Européenne avait indiqué dans sa recommandation annuelle concernant le programme national de réforme de la Slovaquie que « malgré certaines améliorations sur le plan de l’efficacité et de la qualité, les préoccupations relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire persistent et le retard dans le processus de nomination des juges à la cour constitutionnelle pourrait avoir une incidence sur le fonctionnement du système judiciaire »[46].
Mais c’est l’histoire très récente de la justice constitutionnelle polonaise qui alimente le plus aujourd’hui la littérature à propos de l’Etat de droit perdu en Europe, et notamment en Pologne : les discours des institutions européennes à ce propos occupent de fait un large espace puisque des dizaines d’actes, émanant principalement du Parlement européen, de la Commission européenne et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sont adoptées depuis plusieurs années à ce sujet. Le « tribunal constitutionnel » polonais ne serait plus, depuis quelques années, que l’antichambre du parti au pouvoir, et l’Etat de droit que la Pologne aurait construit depuis sa sortie de la période soviétique à la fin des années 1980 serait ainsi amputé de ce qui en constituait le mécanisme principal. Le commencement de cette tragique histoire se situe dans le courant de l’année 2015, où l’alors majorité, après des débats qui ont duré deux années, adopte une loi le 25 juin sur la juridiction constitutionnelle, dont un article modifie la procédure de nomination des juges. L’article 137 permettait en effet, dans un délai de trente jours après l’entrée en vigueur de la loi, de proposer les candidats à tous les sièges vacants d’ici la fin de l’année. Cinq sièges s’annonçaient à pourvoir avant la fin de l’année 2015 mais trois sièges devenaient vacants avant l’expiration de la législature le 5 novembre, et deux après le début de la nouvelle[47]. Le 8 octobre, soit un mois avant le début de la nouvelle législature qui débutait le 11 novembre, le Parlement a élu les cinq nouveaux juges. Selon les principes sur lesquels s’appuie le discours de la Commission de Venise, cette situation de transition politique aurait exigé une « coopération loyale » entre les personnalités en fin de mandat et celle en début de mandat afin d’assurer la continuité des institutions[48]. Or, dans cette affaire, le président polonais a joué un rôle relativement imprévu puisqu’il n’exerce en principe pas un réel pouvoir politique (le régime polonais est véritablement « parlementaire »). Mais il a néanmoins refusé d’assermenter les cinq nouveaux juges, sans faire de distinction entre les trois juges qui avaient été désignés « régulièrement » et les deux pour lesquels la nouvelle loi constituait un fondement douteux en raison de sa possible inconstitutionnalité. Des membres du parti Droit et Justice, alors qu’ils étaient encore dans l’opposition, avaient saisi le Tribunal constitutionnel de la constitutionnalité de la loi du 25 juin mais celui-ci ne s’était pas encore prononcé. Pour le coup, le refus d’assermenter les juges nommés était clairement contraire à la Constitution[49]. Mais l’arrivée d’une nouvelle majorité au Parlement a rebattu les cartes de la légalité et de la conception de la légalité. Juste avant le commencement de la nouvelle législature, le nouveau parti majoritaire retira sa requête devant le tribunal constitutionnel contre la loi du 25 juin et décida de la modifier pour ouvrir à la nouvelle majorité le droit de nommer les fameux cinq juges, ceux nommés par l’ancienne majorité n’ayant pas été assermentés. La modification fut rapidement adoptée (le 19 novembre), et aussitôt promulguée par le chef de l’Etat. Le 25 novembre, le parlement considèra la nomination des cinq juges par l’ancienne majorité comme ayant cessé d’avoir effet et procèda à de nouvelles nominations le 2 décembre. L’ancienne majorité saisit à son tour le Tribunal constitutionnel de la loi du 25 juin, par une requête à peu près identique à celle du parti Droit et Justice. Le Tribunal constitutionnel annonça son arrêt pour le 3 décembre. Mais le président polonais assermenta quatre des cinq nouveaux juges élus par la nouvelle majorité dès le 3 décembre à 1h30 du matin, c’est-à-dire juste avant que le Tribunal rende son arrêt. Rendu plus tard dans la journée (arrêt K 34/15), il revient sur la procédure ayant conduit à la nomination du cinq juges par l’ancienne majorité, en séparant les trois que le Tribunal juge constitutionnelles, et les deux qui ne l’étaient pas, parce que faites selon une disposition de la loi incompatible avec l’article 194(1) de la Constitution. Dans cette messure, le tribunal juge aussi que le Président de la République de Pologne était tenu de faire prêter immédiatement serment aux trois juges constitutionnellement nommés. Mais, en assermentant si prestement les juges nommés par la nouvelle majorité, le président venait d’acter d’un conflit politique et juridique durable entre la majorité et l’opposition et entre les pouvoirs exécutif et législatif et le Tribunal constitutionnel. A partir de ce moment, la vie politique polonaise fit l’objet d’une observation constante des autres pays et surtout du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. La nouvelle majorité en place refusera par la suite plusieurs fois de considérer les décisions du Tribunal constitutionnel comme obligatoires et des réformes successives conduiront à son allégeance vis-à-vis d’elle[50], une majorité d’ailleurs renouvelée à l’issue des élections du mois d’octobre 2019 avec un taux de participation record depuis la chute du communisme (plus de 60% des inscrits). Comme le souligne Maria Kruk, « L’élection ‘anticipée’ des juges du [Tribunal constitutionnel] n’aurait pas été problématique si les élections parlementaires avaient été remportées par la même majorité »[51]. Dans l’hypothèse où le parti Droit et Justice aurait maintenu sa requête devant le Tribunal et où la majorité serait restée au pouvoir à l’issu des élections d’octobre 2015, le Tribunal aurait sans doute quand même invalidé les deux nominations contestées, mais alors la procédure aurait repris son cours, sauf pour le président polonais de l’époque à jouer encore un autre rôle, ce qui, s’il avait été en minorité, est peu probable.
Ce qu’on peut retirer de ces événements est que, dans un régime soudainement acquis aux valeurs et mécanismes portés par la théorie politique de l’Ouest, des irrégularités dans la désignation des gardiens de la Constitution ont rapidement conduit au chaos de la justice constitutionnelle et à une mise en cause de la pertinence même du modèle de l’Etat de droit. Au-delà du non-respect des procédures, c’est le principe même qui en est au fondement qui est discuté, alors qu’il a été érigé en modèle de « bon gouvernement ». C’est en tous les cas une caractéristique que l’on retrouve en de nombreux endroits du monde : les violations du droit, même de la Constitution, par un pouvoir donné, ne soulèvent pas souvent de contestations populaires, voire permettent une adhésion plus grande, ce qui nécessiterait de s’interroger beaucoup plus sur la valeur accordée au droit dans nos sociétés contemporaines et sur le rôle des élites, notamment administratives et judiciaires, censées l’incarner. Dans un tel contexte, la justice constitutionnelle apparaitrait presque comme incongrue. L’argument du « trop de pouvoirs » donnés au gardien juridictionnel de la Constitution est un argument récurrent du discours politique partout dans les régimes démocratiques, depuis la dénonciation de l’activisme judiciaire de la Cour suprême des Etats-Unis dès le XIXè siècle. Aujourd’hui, cette rhétorique est fréquemment présente dans les discours des leaders dits « populistes » en Europe, mais aussi dans les théories du constitutionnalisme dit « populaire » en Amérique du Nord et en Amérique latine, revenant à une conception de la démocratie où le peuple doit jouer un pouvoir central et non discutable[52].
Sur les autres continents, les cas de mal-fonctionnement des cours constitutionnelles sont également fréquents, qui trahissent l’inexistence d’un équilibre des pouvoirs ou sa grande fragilité. Hors de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, peu de cours constitutionnelles parviennent à être considérées comme indépendantes des pouvoirs qu’elles sont censées contrôler, là d’ailleurs où les Cours suprêmes paraissent plus souvent répondre à cette qualité, à l’instar de la Cour Suprême d’Inde ou de la Cour suprême du Japon[53]. Les mal-fonctionnements ne sont d’ailleurs pas toujours faciles à identifier – et donc à documenter – si on ne suit pas de près l’actualité nationale de ces pays car, le plus souvent, il n’y a pas d’institutions supra-nationales ou intergouvernementales pour pointer et commenter ces situations, et parfois elles sont elles-mêmes en proie à des mal-fonctionnements[54]. Si l’activité de la Commission de Venise peut concerner des pays qui sont hors de la zone Europe[55], il faut néanmoins qu’elle soit saisie par leurs institutions pour émettre un avis. Ainsi, alors qu’elle s’est prononcée plusieurs fois sur des affaires constitutionnelles à propos de la Tunisie, elle n’a jamais rendu d’avis consacré à la question de l’absence de mise en place de la Cour constitutionnelle entre le moment de l’entrée en vigueur de la Constitution en 2014 et celui de son remplacement par une nouvelle constitution en septembre 2022[56]. Dans un avis récent, elle avait seulement souligné cette absence et celle de toute autorité exerçant un contrôle de constitutionnalité sans toutefois paraître porter de jugement direct sur cette question[57].
En Corée du sud, il aura fallu dix mois pour remplacer le président de la Cour constitutionnelle en 2017[58], tandis qu’en République Démocratique du Congo, les membres de la Cour constitutionnelle instituée par la Constitution de 2006 ne prêtèrent serment qu’en 2015[59]. Aux Comores, la Cour a été définitivement paralysée en 2017, d’abord en raison d’un défaut de quorum : trois juges sur huit y siégeaient, et il semble que cette situation ait été soigneusement orchestrée par le président Assoumani élu en 2016, qui avait par ailleurs dissout aussitôt la commission de lutte et de prévention de la corruption. Le 12 avril 2018, arguant de l’impossibilité pour la Cour de fonctionner, il transfert ses pouvoirs à la Cour suprême, cour qui validera le résultat de l’élection présidentielle anticipée un an plus tard, et qui reconduit le président Assoumani grâce à une révision de la Constitution obtenue par référendum[60].
A propos de l’Amérique latine, Arnaud Martin souligne « que la justice constitutionnelle est désarmée face à un pouvoir autoritaire, incapable de se protéger elle-même, et que le droit ne saurait être un bon antidote contre la dérive autoritaire des systèmes politiques dominés par le modèle présidentialiste »[61]. Si cela est souvent visible dans des pays comme le Pérou, le Guatémala ou le Chili, l’Argentine a connu encore quelques soubresauts entre l’automne 2005 et la fin de l’année 2006 lorsque deux sièges restaient inoccupés au sein de la Cour suprême, rendant difficiles la prise de décision à un majorité de cinq juges sur les neuf que devait théoriquement compter la Cour. A l’initiative de la sénatrice Cristina Fernández de Kirchner, par ailleurs épouse du président en exercice, la loi de 1989 portant le nombre de juges à neuf fut abrogée, ramenant la composition de la cour suprême à cinq juges et permettant à celle-ci de fonctionner de nouveau.
Dans beaucoup de pays donc, la désignation des gardiens de la Constitution est utilisée comme un levier pour le pouvoir en place, trahissant le désir de ne pas faire de la justice constitutionnelle un contre-pouvoir distinct de l’exercice du pouvoir exécutif et/ou législatif.
1.1.2. Les usages non normalisés de la désignation des gardiens de la Constitution dans les démocraties « confirmées »
Les tensions politiques qui peuvent survenir, soit parce qu’une majorité est introuvable, soit parce qu’elle est très faible, soit encore parce que l’on se trouve dans une période de transition politique entre deux camps très opposés, révèlent les enjeux de la justice constitutionnelle dont les compétences consistent à valider ou invalider les actes législatifs d’une majorité politique donnée. Si la justice constitutionnelle est une affaire de droit, c’est à la mesure de ce que le droit est un enjeu politique et économique majeur, le lieu de la plus grande bataille d’idées qui soit, tout en étant souvent réduite à de banals calculs politiciens. Dans les démocraties dites confirmées, les retards et les blocages dans la désignation des gardiens de la Constitution se présentent donc plus couramment qu’on ne le pense.
Parmi les cas les plus emblématiques de ces dernières années se trouve la Cour Suprême américaine dont le décès de l’un de ces membres, Antonin Scalia, en février 2016, a entraîné une vacance de son siège de plus d’une année et, surtout, un usage discutable des prérogatives du Sénat en matière de nomination. Celui-ci doit en effet confirmer, à la majorité de ses membres (ils sont cent), les personnalités proposées par le Président. Or, si l’on compare les suffrages obtenus par les membres nommés ces vingt dernières années avec leurs prédécesseurs[62], on peut en conclure que le remplacement des juges à la Cour Suprême des Etats-Unis est, de fait, un sujet de plus en plus clivant aux Etats-Unis. La collaboration nécessaire entre les deux pouvoirs a longtemps impliqué qu’il y ait en général peu de heurts dans la procédure de nomination, car les uns et les autres tenaient compte d’impératifs sur lesquels, à la longue, ils s’étaient mis implicitement d’accord, même si les candidats étaient bousculés lors de leur audition sénatoriale. Jusque dans le milieu des années 1980, l’accord sur des personnalités hautement qualifiées, indépendamment de leurs opinions politiques, semblait donc pouvoir se faire assez aisément, tandis qu’aujourd’hui, le résultat du scrutin montre une bipolarisation très nette, le Sénat étant très partagé entre les républicains et les démocrates. La succession du juge Antonin Scalia a creusé encore le clivage : bien que la Constitution américaine ne prévoie pas expressément de « délai » pour pourvoir à un siège vacant, la composition constitutionnelle de la Cour suprême fixée à neuf membres oblige à le pourvoir pour qu’elle exerce ses compétences en vertu de ce que la Constitution a prévu. La mort d’Antonin Scalia, juge en exercice à la Cour suprême des Etats-Unis, entraînait donc constitutionnellement l’activation de la procédure de désignation d’un nouveau membre pour remplir le siège laissé vacant. Le président d’alors, Barak Obama, disposait même d’un certain temps – la procédure prend habituellement quelques semaines -., puisqu’encore en exercice pendant près d’une année. Mais l’ambiance politique très clivante de ces dernières années ainsi que la personnalité très conservatrice du juge Scalia ont visiblement changé la donne et bouleversé la pratique : le président en exercice a été, de fait, privé de son pouvoir de nomination à la Cour suprême, certains républicains considérant même que la nomination du remplaçant d’Antonin Scalia par Barak Obama aurait constitué un « coup d’état »[63]. Leur attitude en revanche fut un exemple de ce qui est appelé « constitutional hardball », une sorte d’épreuve de force consistant à repousser les limites de la légalité[64]. Antonin Scalia, nommé en 1986 par le Président Ronald Reagan, était une « figure » de la Cour suprême, conservateur farouche et lecteur d’une Constitution qu’il voulait authentique et originelle. A sa mort, le président des Etats-Unis, Barak Obama, était démocrate, lui-même figure emblématique d’une évolution sans précédent aux Etats-Unis, car premier président noir. Le sénat, à majorité républicaine, refusa le principe même que Barak Obama puisse nommer le successeur d’Antonin Scalia. Son candidat, Merrick Garland, ne put jamais être nommé car le Sénat n’accepta pas de procéder à son audition, nécessaire pour être confirmé. La victoire électorale du candidat républicain Donald Trump en novembre 2016 conforta l’attitude du Sénat qui attendait l’investiture du gagnant pour lui donner la main sur le remplacement d’Antonin Scalia : en avril 2017, avec l’aval du Sénat, Neil Gorsuch, proposé par Donald Trump fut ainsi nommé à la Cour Suprême. Le blocage de la nomination n’eut pas beaucoup de conséquences sur le fonctionnement d’alors de la Cour, mais en eut sur son fonctionnement futur, puisque les circonstances firent que le nouveau président des Etats-Unis fut aussi conduit à nommer deux autres membres à la Cour suprême[65], faisant alors clairement basculer le Cour dans le camp des conservateurs. Pour beaucoup, cet historique explique la décision rendue le 24 juin 2022 remettant en cause le droit des femmes à l’avortement[66].
En Europe, parmi les démocraties de l’Ouest qui ont une cour constitutionnelle, l’Italie se caractérise par les blocages récurrents dans la nomination des juges, et singulièrement ces dernières années. Déjà, avec l’entrée en vigueur de la constitution en 1948, il avait fallu cinq ans au Parlement pour déterminer les règles de son fonctionnement et deux années de plus pour nommer les juges correspondant à son quota (cinq juges sur quinze). Ces dernières années, la Cour constitutionnelle est régulièrement incomplète, en raison des atermoiements du Parlement. Dans la mesure où les nominations par le Parlement ont lieu à la majorité des deux tiers des membres des deux chambres réunies (puis, à partir du quatrième tour de scrutin, à la majorité des trois cinquièmes), il est souvent nécessaire, au regard de la diversité politique des chambres, de se mettre d’accord « à plusieurs ». En général, les difficultés sont liées au travail de la Cour. Par exemple, dans la crise de nomination qui a eu lieu de juin 2014 à décembre 2015, la tension portait sur une réforme du système électoral sur laquelle la Cour constitutionnelle aurait ensuite à se prononcer. Dans cette affaire, il a fallu trente-deux tours de scrutin. L’opposition, soit n’a pas participé au vote, soit présentait des candidats qui n’avaient aucune chance d’être désignés. Le Président de la République d’alors, déjà Sergio Mattarella, lui-même ancien juge à la Cour constitutionnelle (dont le siège était précisément l’un des trois vacants), avait menacé de dissoudre le Parlement si le blocage persistait trop longtemps. C’est un vote du 17 décembre 2015 qui a terminé la crise, avec un accord entre le Partito Democratico et Movimento 5 Stelle sur trois noms[67].
Une autre crise survint encore en Italie entre 2016 et 2018, alors que la fin annoncée de la législature renforçait le blocage d’une nomination et que les parlementaires semblaient se désintéresser de la chose[68]. Le siège laissé vacant par Giuseppe Frigo le 7 novembre 2016 n’avait pas été pourvu par les parlementaires avant le renouvellement du Parlement (à la suite d’une dissolution) malgré les exhortations du Président de la République et du président de la Cour constitutionnelle. A la suite des élections de mars 2018, une alliance Movimento 5 Stelle et Lega Nord permit finalement mais tardivement un accord sur un nom qui fut élu après quatre tours de scrutins[69].
L’image de la Cour constitutionnelle italienne auprès des politiques s’est dégradée ces dernières années, augurant peut-être une inflexion de son rôle futur dans l’équilibre des pouvoirs. D’ailleurs, les crises qui se succèdent ont fait évoluer le rôle du Président de la République dans le processus de nomination puisque, auparavant, il attendait la nomination par le Parlement pour désigner des candidats destinés à faire « équilibre » au sein de la Cour, quand désormais il nomme d’emblée les remplaçants des sièges laissés vacants qui relèvent de sa responsabilité comme autorité de nomination, afin de ne pas laisser la Cour en sous-effectif chronique[70]. Changement donc, par l’effet des crises.
Etonnament, la Commission de Venise n’a pas été saisie de cette question, comme d’ailleurs elle ne l’a pas été non plus des crises qui agitent l’Espagne depuis quelques années et dont la dernière crise a trouvé un écho dans la presse française en 2021[71]. Les nominations de quatre juges au tribunal constitutionnel (sur douze) ont en effet été bloquées pendant quatre ans, ainsi que les nominations auprès de quatre autres institutions fondamentales : la Cour des comptes, le Défenseur du peuple, l’Agence de protection des données ainsi que le Conseil général du Pouvoir judiciaire. S’agissant de ce dernier, qui détermine le fonctionnement général du système judiciaire, le blocage a tout de même alerté la Commission de l’Union Européenne, saisie par un collectif de deux mille quatre cents magistrats invoquant des atteintes au principe de l’Etat de droit. L’exigence des trois cinquièmes du Parlement pour nommer les membres de ces différentes institutions nécessitait que le Partido Popular s’entende avec le Partido Socialista Obrero Español, ce qu’il se refusait à faire. En octobre 2021, un accord a été trouvé, sauf s’agissant du Conseil général du pouvoir judiciaire. Mais l’accord obtenu au forceps comprenait, s’agissant du Tribunal constitutionnel, la nomination d’un juge ultra polémique,Enrique Arnaldo : « les socialistes auraient accepté le choix de ce magistrat au passé trouble afin de débloquer une situation inextricable et que le Tribunal constitutionnel puisse fonctionner normalement. En effet, depuis trois ans, le Partido Popular exigeait que le choix de magistrats lui soit acquis. Pour la majorité des commentateurs, il s’agit ni plus ni moins que d’un scandale qui révèle la politisation croissante de la magistrature »[72]. Pourtant, jusqu’alors, le système de majorité avait fonctionné, même s’il avait été détourné, et même perverti selon certains : « Dans les faits, regrette Jorge Fernandez Vaquero, porte-parole de l’association judiciaire Francisco de Vitoria, la droite et la gauche se sont traditionnellement réparti le nombre de postes à nommer, en fonction de leur représentation parlementaire, pour ensuite fonder leur choix sur des questions d’affinité politique plutôt que sur les trajectoires professionnelles »[73]. Mais cette pratique, qu’elle soit un détournement ou non, suppose l’acceptation réciproque de l’équilibre entre majorité et opposition, dans le cadre d’une politique non clivée à l’excès, ce qui n’était visiblement plus le cas dans le monde politique espagnol de 2016, comme ce n’est plus le cas non plus aux Etats-Unis en 2022, la justice étant le fusible de cet état de fait.
1.1.3. Les maigres solutions techniques et juridiques aux blocages de la nomination
Il est difficile d’imaginer une sanction efficace qui pourrait contraindre le Parlement ou les autres organes à nommer un nouveau juge. Dans tous les cas, la mise en œuvre de la sanction dépend de la volonté des acteurs du moment et de l’équilibre entre les différentes forces en présence. Il paraît difficile aussi d’imaginer une telle sanction de la part d’une autorité externe, internationale ou supranationale, dans un contexte où les souverainetés politiques nationales apparaissent pour beaucoup comme des valeurs refuges[74]. On voit bien l’ambiguïté des relations de l’Union européenne avec la Pologne et la Hongrie sur la dernière décennie, où la première a « dénoncé » continument les secondes, sans parvenir à prendre une décision pérenne et efficace à leur égard qui symboliserait son attachement à l’Etat de droit et aux mécanismes censés le soutenir.
Les solutions qui se présentent sont donc plutôt d’ordre mécanique. A défaut d’une sanction, une solution couramment avancée à l’inertie des autorités de nomination est la prolongation automatique du mandat du ou des juges pour lesquels le ou les remplaçants n’ont pas encore été nommés, pour cause d’un retard ou d’un blocage dans le processus de désignation de leurs successeurs. Cette solution a l’avantage d’obliger les autorités de nomination à respecter « les apparences » puisqu’elles ne pourront délibérément mettre fin aux fonctions du juge. Dans son document sur la composition des cours constitutionnelles en 1997, la Commission de Venise indique que « au Portugal, en Allemagne, en Espagne et en Bulgarie, par exemple, les juges continuent d’exercer leurs fonctions à la cour après la fin de leur mandat jusqu’à la nomination de leur successeur. Ce moyen permet effectivement d’éviter que le blocage du processus de nomination déstabilise la composition de la Cour ». Cette solution est aussi adoptée en Slovénie, au Pérou, en Equateur, en Albanie, en Hongrie, ou encore en Lettonie et en Lituanie. Intuitivement bonne, elle peut toutefois profiter à des anciennes majorités qui retardent la nomination des remplaçants pour maintenir leur ascendant sur la Cour suprême ou constitutionnelle. Une autre règle peut donc venir compléter celle de la prorogation du mandat des juges non remplacés, à savoir le raccourcissement d’autant du mandat du juge qui viendra le remplacer, comme cela est prévu en Espagne[75]. Cela transfère les effets des retards politiques sur ceux-là mêmes qui en sont la cause, en réduisant la durée du mandat des juges présumés plus acquis à leur cause. Evidemment, ces systèmes sont institués en pure perte dans les cas de démission d’un juge ou de décès de celui-ci, comme l’affaire du remplacement du juge de la Cour suprême américaine Antonin Scalia l’a illustré en 2015, puisqu’il n’y a plus de mandat à prolonger.
Un autre mécanisme consiste à limiter les effets de la vacance en l’anticipant, lorsque le mandat est d’une durée limitée ou qu’un âge a été fixé pour la retraite obligatoire : la procédure de nomination du ou des remplaçants est dans ce cas entamée avant la date de la fin du mandat ou l’anniversaire du juge ayant atteint l’âge de la retraite, pour laisser un peu de temps aux autorités de nomination, à l’instar de ce qui est prévu en Espagne, en Bulgarie, en Roumanie ou au Pérou[76]. Mais ce mécanisme suppose aussi des relations fluides entre les pouvoirs et/ou un moment où une transition politique clivante n’est pas en cours, qui ruinerait les effets du mécanisme d’anticipation, comme encore une fois on l’a vu à propos des Etats-Unis ou de la Pologne. En 2022 toutefois, la démission annoncée de Stephen Breyer au mois de février pour le mois de juillet, dans un contexte de coïncidence de majorité entre le Sénat et le président des Etats-Unis, mais aussi d’un clivage avéré entre le camp démocrate et le camp républicain, a permis la nomination de sa remplaçante dès le mois d’avril, en dépit d’auditions difficiles et d’un vote logiquement très polarisé[77].
Lorsque plusieurs autorités doivent conjointement ou successivement se prononcer sur des candidats, il est aussi possible de prévoir que l’inertie de l’une d’entre elles peut se résoudre par une présomption de décision à l’issue d’un certain délai : ainsi, la loi sur la Cour constitutionnelle tchèque prévoit que si le Sénat ne se prononce pas sur les propositions présidentielles dans les soixante jours, celles-ci sont réputées acceptées (article §6 (2)). Cette solution présente l’avantage de son défaut : elle oblige à ne pas être inerte, mais si le conflit politique est important, elle ne conduit pas nécessairement à une nomination – il suffit au Sénat de rejeter les propositions du président – soit, en cas de paralysie du Sénat, elle confère un pouvoir excessif au président de la République. En vigueur mais jamais mise en œuvre, cette disposition paraît aller au-delà de la Constitution tchèque qui établit que les juges sont nommés par le Président de la République avec l’accord du Sénat.
Cette difficulté conduit de rares Etats à faire basculer le pouvoir de nomination des autorités exécutives et législatives vers le pouvoir judiciaire en cas d’inertie des premières. Une faculté de substitution par l’organe judiciaire est ainsi prévue dans la constitution uruguayenne (article 236 de la Constitution), et un pouvoir de proposition de nominations par le tribunal constitutionnel d’Allemagne est prévu en cas de difficulté du Bundestag ou du Bundesrat à s’entendre sur des candidats (article 7 §a de la loi sur la Cour constitutionnelle). Ils peuvent alors saisir le Tribunal qui proposera deux fois plus de candidats qu’il n’y a de sièges à pourvoir. Facilitant, il n’est pas certain que ce système suffise à surmonter un blocage dans le cadre d’une configuration politique particulièrement polarisée.
Enfin, l’assermentation des juges par des autorités politiques étant également une source possible de problème pour la continuité de la juridiction constitutionnelle, comme ce fut le cas en Pologne à la fin de l’année 2015, la Commission de Venise, dans son avis précité sur l’Ukraine en 2005, a recommandé « la mise en place d’un mécanisme par défaut pour recevoir la prestation de serment » et se félicite ainsi « que ce problème soit désormais réglé par l’instauration du système de prestation de serment devant la Cour elle-même ».
Il résulte de ces différents éléments que les règles mises en place et les mécanismes destinés à éviter ou limiter les effets de leur violation ou de leur détournement dépendent encore le plus souvent de la volonté et de l’éthique de leurs acteurs. Les difficultés liées à la volonté ou à l’éthique peuvent être difficilement résolues par des normes obligatoires : en elles-mêmes, les normes ne valent que tant qu’on les considère comme obligatoires et/ou que le système de sanction qui est organisé est efficace. On considère que les « bonnes » règles, celles qui seront facilement intériorisées par les membres du groupe et qui permettront de maintenir ou de parvenir à un état « bon » pour le groupe, sont celles qui sont adaptées à la situation donnée. Ce qui va bien dans une configuration donnée ne va pas dans une autre. Dans les démocraties d’équilibre toutefois, la configuration politique peut changer rapidement en fonction des résultats des scrutins, ce qui complique la possibilité de trouver ces bonnes règles. S’agissant de celles destinées à éviter, palier ou contourner les blocages dans la nomination des gardiens de la Constitution, il est diffile d’imaginer par avance ce qui sera adapté et ce qui ne le sera pas. Ce qui empêche un blocage ici en entraîne un autre ailleurs.
En tout état de cause, l’institution de mécanismes destinés à éviter ou à dissoudre un blocage ne peut elle-même être que la conséquence d’un accord sur leur nécessité, et sur le fait qu’ils n’entament pas le pouvoir de nomination des autorités politiques qui entendent le conserver et garder la main sur les nominations, et donc sur la justice constitutionnelle.
1. 2 L’éthique de la désignation au prisme de la liberté de choix des autorités de nomination
Comme le font remarquer les auteurs d’une analyse comparée sur la désignation des juges constitutionnels en Europe, la plupart des forces politiques semblent ne pas considérer le « statu quo » constitutionnel comme intangible[78], ce qui implique qu’elles font de la nomination des gardiens un levier de leur action présente ou à venir, en tentant toujours de les mettre « de leur côté ». A tel point qu’on a pu parler de « personnalisation du contrôle juridictionnel »[79]. Les personnalités ouvertement indépendantes du « pouvoir », qu’il soit celui de la majorité ou celui de l’opposition, ont donc peu de chance d’être désignées, car elles sont peu fiables, à la fois au regard de leur absence d’allégeance et de leur conception de la justice constitutionnelle, souvent plus exigeante. Sont aujourd’hui presque toujours nommées dans les cours constitutionnelles et suprêmes des personnalités dont la conception du travail de justice constitutionnelle est relativement assurée et desquelles les autorités de nomination attendent qu’elles décident dans le même sens. Les autorités de nomination interrogent donc assez rarement un processus qui somme toute leur convient[80].Mais leur éthique est parfois douteuse (1), qui ne fait pas toujours l’objet d’un intérêt public suffisant (2).
1.2.1. L’éthique parfois douteuse des autorités de nomination
Il arrive certes qu’un juge en qui l’autorité de nomination avait « confiance » ne vote pas comme prévu, mais, bien que repérable et théoriquement toujours possible en raison de l’indépendance statutaire dont jouissent les gardiens de la Constitution à l’égard des autorités qui les ont nommées, c’est finalement assez rare[81]. De là il découle que les autorités de nomination peuvent avoir plusieurs types de raisons à désigner telle ou telle personnalité : s’assurer que les futurs gardiens entendent bien la justice constitutionnelle comme ne devant pas faire obstacle aux politiques menées par les majorités au pouvoir, faire valoir certaines idées sociétales au sein de la juridiction constitutionnelle, ou, parfois, souhaiter simplement que la justice constitutionnelle soit assurée par des personnalités aux compétences reconnues.
L’alternance politique des pays de tradition libérale incite par exemple les autorités de nomination à placer « leurs billes » au bon endroit et au bon moment. Si une thèse estime que moins il y a de cohésion dans la composition de la juridiction, moins celle-ci serait susceptible d’être regardée comme un acteur à part entière, et qu’« une augmentation de la non-cohésivité d’un tribunal compromet la capacité de le considérer comme un acteur institutionnel unitaire »[82], la cohésion peut au contraire servir les intérêts des pouvoirs contrôlés. Limiter la cohésion des juges sur l’idée d’exercice d’un contrôle juridictionnel véritable n’exclut pas de la préserver sur une conception faible de ce contrôle. Par exemple, en pays de tradition libérale, le choix des personnalités qui composent l’organe gardien de la Constitution, peut être analysé en creux comme très « politique » en ce sens qu’il s’agit qu’elles ne viennent pas trop perturber l’exercice du pouvoir politique, même après que la justice constitutionnelle a été érigée en pilier de la construction et du maintien d’un Etat de droit. Ce système est soutenu par une classe politique qui entend à cet égard « garder la main » sur les gardiens, et ce dans la plupart des pays. Bien des analyses tendent ainsi à montrer que « les élites politiques contrôlent massivement la sélection des juges »[83]. Il y aurait même une forme de consensus implicite, même s’il n’est pas identifié, sur la nécessité d’un contrôle maintenu sur la justice constitutionnelle, faisant parfois tenir pour acquis qu’on ne peut pas attendre grand chose du processus de désignation des gardiens de la Constitution, et ce même dans les démocraties dites avancées[84].
Dans les pays libéraux, la nomination des juges est souvent discrète, mais ce n’est pas toujours le cas. Elle n’échappe pas toujours à la polémique publique, surtout lorsque les autorités de nomination se soucient moins des qualités des futurs juges que de la manière dont elles estiment qu’ils exerceront leurs fonctions, quitte à metre l’éthique de côté. Tel est le cas lorsque les personnalités choisies sont ou ont été mises en cause sur le plan pénal, paraissent avoir eu un comportement discutable dans des affaires politiques et/ou judiciaires, ou simplement portent avec elles des orientations politiques et sociétales qui suscitent des interrogations fortes sur le sens de la justice constitutionnelle. Devant de telles hypothèses, l’implication de différentes autorités dans le processus de nomination ne parvient pas toujours à « bloquer » une nomination contestable. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, plusieurs candidats ont été nommés à la Cour suprême alors qu’ils étaient accusés de harcèlement sexuel[85] ou d’agression sexuelle[86]. En France, une personnalité a été nommée au Conseil constitutionnel alors qu’il avait fait l’objet d’une condamnation pour prise illégale d’intérêt en lien avec l’exercice de fonctions politiques et que sa peine avait été assortie d’un an d’inéligibilité[87]. En Espagne, le blocage de la nomination pendant quatre ans a abouti à un compromis obtenu de guerre lasse autour de la nomination de Enrique Arnaldo, magistrat impliqué dans un scandale d’écoutes téléphoniques et dans une affaire de délits fiscaux[88]. Mais aucune de ces nominations n’a été le fait discrétionnaire d’un seul : le Sénat américain a confirmé les candidats proposés par le président, les parlementaires composant la commission d’audition du candidat proposé par le président de l’Assemblée nationale française également, et, enfin, la coalition politique en Espagne, certes de fortune, mais à la fin responsable d’une nomination peu éthique.
Les circonstances peuvent donc faire que les autorités de nomination se limitent mutuellement, ou pas. Par exemple, Richard Nixon – qui pour le coup méprisait le travail de la Cour suprême – avait désigné le juge George H. Carswell pour y siéger, opposé aux droits des femmes et des noirs, une nomination que le Sénat rejetta néanmoins, le considérant comme un « mauvais » juge dans la mesure où le taux d’annulation de ses décisions en appel était très important[89]. Il en avait été de même pour le juge Robert Bork, proposé par le président Ronald Reagan en 1987, et qui donna l’occasion au sénateur démocrate Ted Kennedy de tenir un discours particulièrement alarmiste sur ce que la justice constitutionnelle deviendrait si Robert Bork était nommé : « L’Amérique de Robert Bork est un pays où les femmes seraient forcées d’avorter dans des ruelles, où les noirs s’assiéraient à des comptoirs ségrégués, où des policiers véreux pourraient enfoncer les portes des citoyens lors de raids nocturnes, où les écoliers ne pourraient pas recevoir d’enseignement sur l’évolution, où les écrivains et les artistes pourraient être censurés selon le bon vouloir du gouvernement, et où les portes des tribunaux fédéraux se fermeraient sur les doigts de millions de citoyens pour qui le pouvoir judiciaire est – et est souvent le seul – protecteur des droits individuels qui sont au cœur de notre démocratie. […] Les dommages que le président Reagan causera par cette nomination, si elle n’est pas rejetée par le Sénat, pourraient perdurer bien au-delà de la fin de son mandat présidentiel »[90]. La nomination de Robert Bork fut finalement rejetée par le Sénat à 58 voix contre et 42 pour, six sénateurs républicains ayant voté contre et deux sénateurs démocrates pour. A l’inverse, la juge américaine Amy Coney Barrett a pu être finalement nommée à la Cour suprême malgré ses positions extrêmement conservatrices (confirmée par la Sénat par 52 voix contre 48). En décembre 2021, la nomination par le président Bolsonaro d’un juge ouvertement évangéliste au Tribunal Suprême Fédéral du Brésil, André Mendonça, son ancien ministre de la justice, a suscité de vives inquiétudes, au-delà des frontières nationales. Cette décision a entraîné une comparaison avec la stratégie de nomination de Donald Trump, même si, dans le cas du Brésil, la question de la représentation des évangélistes à la Cour suprême pouvait légitimement se poser puisqu’ils constituent environ 30 % de la population[91].
De nombreux pays, le plus souvent issus d’un processus de transition démocratique entamé durant ces dernières décennies, posent des conditions quant aux « bonnes » qualités des personnes des gardiens de la Constitution : pour être nommé dans une cour constitutionnelle ou suprême, il faut ainsi parfois être un citoyen « irréprochable » (République tchèque) ou à la « réputation irréprochable » (Brésil, Lituanie, Lettonie), avoir une « bonne réputation » (Afghanistan), faire preuve de probité (Maroc, Bénin, Guinée), être de « bonne » ou de « haute moralité » (Bénin, Côte d’Ivoire, Bosnie, Estonie), ou faire preuve d’une « intégrité morale » (Burundi) ou d’une « grande intégrité morale » (Cameroun), disposer de « hautes qualités professionnelles et morales » (Bulgarie), être de « notoire honorabilité » (Paraguay) ou « reconnu comme honorable » (Vénézuéla) ou encore faire preuve de « sagesse » (Guinée), « être personnellement intègre et honorable » et « être juste » (Indonésie). L’effectivité de ces qualités, inappréciables « objectivement », et donc à la discrétion des autorités de nomination, dépendra évidemment des conditions culturelles et politiques d’un pays donné. Parfois, l’entrée à la Cour est conditionnée par une clause à la fois spécifique et anecdotique : en Allemagne par exemple, il est demandé que les personnalités déclarent explicitement consentir à être candidats à la cour[92] ; en Islande les candidats doivent disposer des « capacités mentales et physiques nécessaires »[93] ; en Ukraine, il faut y avoir résidé au moins vingt ans et maîtriser la langue officielle[94]. Il est fréquent aussi que l’absence de condamnations préalables soit une condition posée par les lois organisant ces cours[95].
Quelles que soient les raisons motivant le choix des juges constitutionnels, il n’est donc pas toujours complètement libre. Au-delà de la variabilité des interprétations des conditions posées pour le recrutement des juges, il est difficile d’apprécier la part réelle des contraintes et les raisons véritables qui président au choix des juges constitutionnels. Mais le fait est que les autorités de nomination sont souvent prises dans un réseau de contraintes diverses : il peut exister des contre-pouvoirs réels dans le processus de désignation, la configuration politique peut être polarisée ou très pluraliste, une situation de clientélisme politique peut s’être instaurée. Dans certains pays, la procédure de désignation peut être un sujet de connaissance et d’intérêt public de telle sorte que les médias et l’opinion public jouent comme une contrainte supplémentaire.
1.2.2. La désignation des gardiens de la Constitution : sujet d’intérêt public variable
Bien que les institutions internationales fassent de la justice constitutionnelle un élément-clé de l’Etat de droit, elle ne constitue pas souvent un sujet de débat public de tout premier plan. Dans beaucoup de pays de tradition libérale, pourtant construits autour de la philosophie du constitutionnalisme, qui en gros consiste à considérer les constitutions comme libératrices des peuples, les enjeux de la justice constitutionnelle sont, à quelques exceptions près, très largement ignorés, minimisés ou fantasmés. Il peut y avoir un intérêt public et historique pour la Constitution – qui se marque par exemple par le fait qu’il existe dans presque toutes les villes des rues ou des places « de la Constitution » – mais pas nécessairement les conditions institutionnelles pour permettre un regard intéressé sur la justice constitutionnelle, soit parce que le contrôle de constitutionnalité n’est pas diffus et s’exerce exclusivement par un organe spécial[96], soit et/ou parce que les juges constitutionnels ne sont pas autorisés à exprimer des opinions individuelles, comme c’est le cas en Belgique, en France, en Autriche, en Italie ou au Luxembourg.
En tout état de cause, il est difficile de se faire une idée juste de la perception du travail des cours constitutionnelles par le « grand » public, notamment quand il n’apparaît pas d’évidence qu’il y porte un véritable intérêt. Au-delà du symbole, sait-on vraiment ce que les gens pensent du contrôle de constitutionnalité et des gardiens de la Constitution ? Par exemple, lorsque les juges publient des opinions, ce qui est le cas dans presque tous les pays européens, cela permet certes à tous de suivre l’évolution leur philosophie juridique et de vérifier les éventuels changements ou incohérences de celle-ci, mais cela n’emporte pas que leur nomination attire « l’attention du public », relève Katalin Kelemen[97]. Et lorsque l’opposition politique dispose d’un pouvoir spécifique de saisine de la juridiction constitutionnelle, comme en France par exemple, ou lorsque celle-ci est spécifiquement chargée de régler des conflits entre organes constitués, comme en Italie par exemple, cette « judiciarisation » de la vie politique représente un potentiel d’intérêt supplémentaire pour les citoyens à la justice constitutionnelle[98], mais n’empêche pas du tout l’appréciation « clivante » et idéologisée, voire fantasmée de celle-ci, ni une méconnaissance globale de l’activité de justice constitutionnelle. Selon une étude de Statista menée en 2017 sur le niveau de connaissance du conseil constitutionnel parmi les français « près de la moitié des personnes interrogées connaissaient le Conseil Constitutionnel de nom mais n’étaient pas informées sur ses fonctions »[99], le grand public peinant à identifier même ses membres. Dans beaucoup de pays, les enjeux de la désignation des gardiens de la Constitution paraissent finalement peu discutés, voire n’apparaissent pas comme un sujet essentiel ou prioritaire, les politiques s’en saisissant peu, les médias modérément, et pas toujours la doctrine académique.
Les situations nationales apparaissent assez différentes et les mêmes conditions n’entraînent pas toujours les mêmes effets. Mais on peut se laisser aller à supposer que plusieurs conditions pour une appropriation publique de la justice constitutionnelle doivent être minimalement réunies, sans pour autant que leur réunion entraîne mécaniquement cette appropriation : des conditions historiques et sociétales et des conditions institutionnelles. L’exemple américain est sans aucun doute le plus complet pour l’illustrer. Aux Etats-Unis, il y a une valorisation quasi-ininterrompue dans le temps de la Constitution dans les espaces publics et culturels. Elle se présente comme le symbole de la réussite de l’indépendance des Etats-Unis et du compromis historique réalisé en 1786-1787 ; les « pères fondateurs » qui l’ont rédigé ou participé à sa rédaction constituent une référence obligée de tout discours américain valide, celui des politiques, des hommes d’affaires, des universitaires, des militants des droits, ou des milieux culturels. Des conditions institutionnelles contribuent aussi à entretenir la symbolique constitutionnelle : d’abord, la Constitution fait partie des normes invocables lors de tout procès ou conflit de droit, et n’importe quel juge ou arbitre se fait interprète de la Constitution, quelle que soit l’affaire concernée. Ensuite, les juges, et notamment ceux de la Cour suprême, expriment individuellement des opinions sur la Constitution et la manière dont elle est interprétée et appliquée dans les procès auxquels ils participent, ce qui a pour effet d’inscrire le débat sur la constitution dans l’espace public partagé, même si dans la réalité peu de gens lisent les fameuses « opinions ». Pour les américains, la Cour suprême fait en tous cas partie des institutions politiques principales du pays à laquelle ils portent donc une attention particulière. En juin 2022, Brett Kavanaugh a été visé par une tentative d’assassinat de la part d’un homme qui déclare avoir voulu tuer un membre de la Cour suprême en raison de ce qu’elle s’apprêtait à renverser la jurisprudence Roe v. Wade sur la constitutionnalité de l’avortement (ce qu’elle fit en effet le 24 juin). Des semaines durant aussi, Ginni Thomas, la femme du juge Clarence Thomas, a fait l’objet de toutes les attentions médiatiques à propos de son implication dans les événements du 6 janvier 2021, dont certains aspects sont jugés par la Cour suprême, interrogeant ainsi la réelle impartialité de la justice. Une attention donc est portée aux membres de la Cour suprême, en lien avec les décisions rendues par la Cour, dans un pays où beaucoup de conditions sont réunies pour que les individus s’y intéressent.
Mais cette attention n’est pas si ancienne. Même si les auditions devant le Sénat américain sont retransmises en direct à la télévision depuis 1981, on s’accorde généralement sur le fait que c’est avec la tentative par le président Ronald Reagan de nommer Robert Bork en 1987, que les nominations à la Cour suprême des Etats-Unis sont devenues un sujet très « médiatique », faisant entrer de nouveaux acteurs dits « externes » dans le processus de nomination. Et, depuis le début des années 2000, la société Gallup mène plusieurs enquêtes par an sur la popularité de la Cour Suprême, ce qui n’était pas le cas auparavant : il apparaît ainsi que son président actuel, John Roberts, est la personnalité politique la plus appréciée aux Etats-Unis, avec plus de 60% d’opinions positives. Aujourd’hui cependant, la Cour apparaît trop « politisée » et ne recueille en septembre 2022 que 40% d’opinions favorable, le pourcentage le plus bas depuis l’existence de l’enquête[100].
Plusieurs éléments concourent également à une forme d’appropriation publique de la justice constitutionnelle en Allemagne, faisant de la juridiction allemande un cas à part en Europe : l’importance historique et symbolique de la Loi Fondamentale de 1949, rédigée dans le souvenir tout à la fois du régime nazi et de la République honnie de Weimar, la création par cette même loi d’un Tribunal constitutionnel auprès de qui les citoyens peuvent réclamer le respect de leurs droits par l’action publique, l’existence fortement symbolique d’un « Office fédéral de protection de la Constitution » chargé de surveiller les activités contraires à la Constitution, ainsi que la possibilité pour les juges constitutionnels, depuis 1970, d’exprimer des opinions individuelles sur les affaires soumises au Tribunal[101]. Dans un document de travail, les universitaires allemands Benjamin G. Engst, Thomas Gschwend et Sebastian Sternberg estiment ainsi que « les élites ont un intérêt vital à sélectionner des candidats à la magistrature dont les décisions sont largement acceptées par le public, et particulièrement lorsque la Cour prend une décision dans l’intérêt politique des élites politiques plutôt que du public »[102]. Et un membre du Bundestag de déclarer qu’« il n’y a pas un seul député ici qui pense qu’il serait souhaitable d’aller à l’encontre du tribunal. Une confrontation sérieuse ne ferait que créer une discussion publique dans laquelle on pourrait facilement avoir le nez en sang »[103]. Cette vision, « allemande », n’est pas généralisable, surtout à l’échelle européenne.
Le cas américain et le cas allemand ne préjugent pas de la nature du regard qui est posé sur la justice mais font apparaître qu’il n’est possible qu’à certaines conditions. On peut évidemment discuter de ce qui fait que le regard public en question est plus moins approfondi ou plus ou moins pertinent, et s’interroger sur son effet même sur le contenu de la justice constitutionnelle.
Si, comme le fait remarquer Georg Vanberg, « la capacité du tribunal à maintenir sa position en tant qu’institution qui établit les points de convergence en matière d’interprétation constitutionnelle dépend – du moins à long terme – de la capacité des juges à convaincre les citoyens que, tout compte fait, ils servent l’intérêt des citoyens »[104], cette réalité est difficile à établir. Certaines pratiques même peuvent venir parasiter la compréhension de ce que font vraiment les gardiens de la Constitution. Par exemple, il a été remarqué que la rhétorique utilisée par le Conseil constitutionnel français pour présenter son propre travail, qui consiste à insister sur son rôle de gardien des droits et libertés, a longtemps été en quelque sorte recopiée par la doctrine et les médias, contrastant avec la réalité de ses débats lors de l’élaboration des décisions de constitutionnalité[105]. Ainsi, l’image du Conseil gardien des droits et libertés, est véhiculée sans qu’il y ait de connaissance et de compréhension de ses décisions par l’ensemble des citoyens, l’image véhiculée par le Conseil constitutionnel, et relayée par les médias et la doctrine, faisant écran[106]. S’il arrive fréquemment que, dans l’espace public, telle ou telle nomination soit discutée, contestée ou au contraire parfois saluée, cette actualité, à la fois ponctuelle et récurrente, reste de l’ordre du fait et ne repose sur ni n’aboutit à une réflexion de fond sur les enjeux de la justice constitutionnelle. S’agissant du cas français, la série de trois nominations au Conseil constitutionnel au mois de février 2019 a donné lieu à plus de commentaires critiques qu’auparavant, dénonçant ici les nominations de complaisance ou là l’inadaptation des compétences des personnalités nommées, commentaires sous forme de tribunes trouvant toujours une petite place dans différents médias de la presse écrite, mais sans relais dans la presse audiovisuelle, ni véritable intérêt de la classe politique. Quelques papiers sont aussi sortis aussi sur la bizarrerie qui consiste à faire du Conseil constitutionnel un lieu où ne peut se déployer une véritable justice constitutionnelle, à la fois par les collusions des membres avec le personnel politique et administratif qui fait les lois[107] et par celles entretenues avec des lobbys[108], mais aussi en raison de l’illégalité de la rémunération de ses membres[109].
Toutefois, cela n’a pas entraîné que la question de la désignation des membres du Conseil soit considérée comme un sujet majeur de la politique française. Ce qu’on appelle couramment le « train » de nomination, au mois de février 2022, pour le remplacement de trois membres de l’institution, a encore révélé l’inattention totale des autorités de nominations aux critiques qui avaient été émises précédemment, puisque les trois personnalités proposées avaient toutes des liens préalables de travail avec les autorités qui les ont nommées[110]. Même si les critiques ont été beaucoup plus nombreuses et même quasi-unanimes parmi les observateurs, il est bien difficile de dire si elles auront à terme des effets réels, tant c’est une autre vision qui semble primer chez les autorités de nomination. La publicisation – les auditions parlementaires des candidats sont diffusées sur le site des assemblées parlementaires – et la médiatisation du processus de nomination – il y a désormais une couverture du processus de nomination – n’apparaissent donc pas comme une garantie pour de meilleures candidatures.
Les effets de la publicisation et
de la transparence du processus de désignation des gardiens de la Constitution
ne font pas l’objet d’une appréciation claire et uniforme par les observateurs.
Il est même soutenu que la publicité « expose les candidats au danger de
devenir l’objet d’une campagne politique, mais elle les expose aussi au regard
du public et de la société civile »[111]. La
médiatisation extrême de la nomination des juges peut en effet conduire à une
plus grande politisation des juges. La publicisation depuis 2003 des curricula vitae des candidats à la Cour
suprême d’Argentine trois mois avant leur possible nomination n’a pas empêché
la forte politisation des juges et du processus de nomination– conduisant même
à une prise de pouvoir douteuse du président de la Cour en avril 2022[112]. Pour
citer encore le cas exemplaire des Etats-Unis, les propositions de nomination
de Robert Bork par le président Reagan en 1987 et de Clarence Thomas par le
président Bush en 1991 ont été chaque fois accompagnées d’une très large
couverture médiatique et ont occasionné de fortes actions de lobbying[113]. La
non confirmation du premier emporta d’ailleurs création d’un verbe à partir de
son nom, faisant ainsi dire plus tard à une féministe qu’elle allait
« borker » la nomination de Clarence Thomas[114],
néanmoins confirmé ensuite par le Sénat. On considère parfois que la
« franchise » dont avait fait preuve Robert Bork devant le Sénat en
1987, est ce qu’il lui avait en grande partie coûté son poste à la Cour suprême
des Etats-Unis[115], si
bien que les candidats se montrent depuis beaucoup plus réservés sur leur
déclaration. Les auditions sont donc le lieu de discours stratégiques de la
part des candidats. A proprement parler, aucun des trois candidats nommés
pendant le mandat de Donald Trump, entre 2017 et 2021, n’a explicitement dit
aux sénateurs qu’ils souhaitaient remettre en cause l’inconstitutionnalité de
l’interdiction de l’avortement, en se contentant par exemple de dire qu’ils
savaient que l’arrêt Roe V. Wade de
1974 était un précédent, ce qui était un minimum « neutre » et
factuel, laissant un voile sur leurs intentions véritables et révélées par la
suite. Ainsi que le soutiennent Benjamin G. Engst, Thomas Gschwend et Sebastian
Sternberg[116], le public apprécie la
compétence des juges à la mesure de leur propre idéologie, relativisant ainsi
les effets susceptibles d’être apportées par une plus grande transparence de la
procédure de désignation des gardiens de la constitution.
[1] « La procédure suivie pour la nomination des juges constitutionnels est un élément essentiel de la construction d’un modèle de justice constitutionnelle et influe significativement sur la manière dont une cour perçoit son propre rôle », Katalin Kelemen, « Appointment of Constitutional Judges in a Comparative Perspective – with a Proposal for a New Model for Hungary », Acta Juridica Hungarica, 2013, vol. 54, n°1, p. 5. Pour l’ensemble des textes ou écrits scientifiques cités depuis une langue étrangère dans la suite de cette étude, la traduction est libre.
[2] Article 8 et dernier du Titre VII de la constitution du 3 septembre 1791.
[3] Avis sur la Constitution de la Finlande, n°420/2007, CDL-AD (2008)10, § 118.
[4] Voy. par ex. l’article 120 § 4 de la constitution grecque de 1974 : « L’observation de la Constitution est confiée au patriotisme des Hellènes, qui ont le droit et le devoir de résister par tous les moyens à quiconque entreprendrait son abolition par la violence ».
[5] Voy. par ex. l’article 8 de la constitution espagnole de 1978 : 1. Les forces armées, composées de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air ont pour mission de garantir la souveraineté et l’indépendance de l’Espagne, de défendre son intégrité territoriale et son ordre constitutionnel ».
[6] Voy. par ex. l’article 5 de la constitution française de 1958 : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ».
[7] Article 119 de la Constitution du Vietnam : « 2. The National Assembly, its organs, The State President, the Government, the People’s Courts, the People’s Procuracies, other state organs, and the entire people are responsible to protect the Constitution ».
[8] Voy. par exemple l’article 127 point 3 de la Constitution du Portugal de 1976 qui indique que « Lors de la cérémonie d’investiture, le président de la République élu prêtera le serment suivant : Je jure sur mon honneur d’exercer fidèlement les fonctions dont je suis investi et de défendre, de respecter et de faire respecter la Constitution de la République portugaise. » ; voy. aussi le point 8 de la section 1 de l’article II de la constitution des Etats-Unis de 1787 : « 8. Avant d’entrer en fonctions, le président prêtera serment ou prononcera la déclaration suivante : « Je jure (ou je déclare) solennellement que je remplirai fidèlement les fonctions de président des États-Unis et, que dans toute la mesure de mes moyens, je sauvegarderai, protégerai et défendrai la Constitution des États-Unis » ; voy. encore l’article 139 point 2 de la constitution du Cap-Vert de 1981 : « 2. Lors de son investiture le président de la République élu prête le serment suivant : « Je jure sur mon honneur d’exercer avec loyauté le mandat de président de la République du Cap-Vert dont je suis investi, de défendre, de respecter et de faire respecter la Constitution, d’observer la loi et de garantir l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale ».
[9] La commission a ainsi produit plusieurs documents généraux sur la justice constitutionnelle (Vademecum sur la justice constitutionnelle, 2007, CDL-JU(2007)012) et sur la composition des cours constitutionnelles (La composition des cours constitutionnelles, 1997, CDL-STD(1997)020, les éditions du Conseil de l’Europe, collection Sciences et techniques de la démocratie, n° 20), et produit constamment des avis sur les réformes ou révision portant sur le système de justice constitutionnelle dans les différents pays membres du Conseil de l’Europe.
[10] Voy. Bruce Ackerman, « The Rise of World Constitutionalism », Virginia Law Review, 1997, vol. 83, pp. 771 et s. L’inexistence d’un système de justice constitutionnelle n’est toutefois pas rédhibitoire pour la Commission de Venise : il suffit que le système soit organisé de telle sorte que l’on puisse considérer que les droits et libertés sont garantis, comme cela ressort de son avis sur la Finlande, CDL-AD(2008)010, Avis sur la Constitution de la Finlande, § 115.
[11] Sur les éléments de la controverse, voy. Olivier Beaud, Pasquale Pasquino (dir.), La controverse sur « le gardien de la constitution » et la justice constitutionnelle : Kelsen contre Schmitt, éd. Panthéon-Assas, 2007.
[12] L’article 247 de la Constitution du Paraguay indique à cet égard que « le pouvoir judiciaire est le gardien de cette Constitution. Il l ́interprète, la respecte, et la fait respecter », et la Constitution du Brésil que « la compétence essentielle du Tribunal fédéral suprême est de veiller au respect de la Constitution » (Art. 102).
[13] Sur le caractère que l’on affirme très souvent « politique » de la justice constitutionnelle, qui la placerait hors des critères habituels des organes judiciaires, voy. Alec Stone Sweet, « The Politics of Constitutional Review in France », I•CON, January 2007 Vol. 5, p. 69.
[14] Le modèle constitué autour d’une cour constitutionnelle est aujourd’hui le plus représenté dans le monde : il est très présent en Europe, mais la plupart des pays du nord de l’Europe – Danemark, Irlande, Suède, Islande, Norvège, Pays-Bas, Finlande, Royaume-Uni – ainsi que la Suisse ont une cour suprême, qui n’exerce d’ailleurs pas toujours un contrôle de constitutionnalité, comme en Finlande. Il est très présent en Afrique (mais le Rwanda, l’Angola, l’Ethiopie et la Lybie ont une cour suprême). La situation est plus partagée en Asie (la Corée du Sud, le Cambodge, l’Indonésie la Thaïlande ou la Mongolie ont une cour constitutionnelle) et en Amérique du sud (le modèle de la cour suprême reste très présent, comme en Argentine, au Paraguay, au Costa Rica, au Vénézuéla, ou au Brésil).
[15] C’est le cas presque toujours dans les pays fédéraux, à l’instar des Etats-Unis, du Canada, du Brésil ou de l’Inde.
[16] Par exemple, la Constitution de Serbie prévoit ainsi que la Cour constitutionnelle statue sur la constitutionnalité des lois « et des autres normes générales » (article 167 de la Constitution), celle de la Lituanie indique que sont concernés aussi les actes du Président de la République et ceux du Gouvernement de la République (article 105), et la Constitution bolivienne dresse une liste comprenant « les lois, les statuts autonomes, les chartes organiques, les décrets et toutes sortes d’ordonnances et de résolutions non judiciaires » (article 202 de la Constitution).
[17] Comme dans les Etats fédéraux ou régionaux, mais aussi en France s’agissant de la répartition entre les compétences législatives et les compétences réglementaires (article 37 al. 2 de la Constitution), en Italie où la cour constitutionnelle statue sur « les conflits d’attribution entre les pouvoirs de l’État, ceux entre l’État et les régions, et entre les régions » (article 134 de la Constitution), ou encore au Cameroun où l’on retrouve exactement le même type de formulation (le Conseil constitutionnel statue sur « les conflits d’attribution : entre les institutions de l’État ; entre l’État et les régions ; entre les régions », article 47 de la Constitution).
[18] Au Gabon par exemple, la cour constitutionnelle statue sur « la régularité des élections présidentielles, parlementaires, des collectivités locales et des opérations de référendum dont elle proclame les résultats » (article 84 de la Constitution). En France le Conseil « veille à la régularité de l’élection du Président de la République » (article 58 de la Constitution) et, en cas de contestation, statue « sur la régularité de l’élection des députés et des sénateurs » (article 58 de la Constitution), et, au Portugal, le tribunal constitutionnel juge « en dernière instance la régularité et la validité des actes de la procédure électorale » (article 223, 2° de la Constitution).
[19] Cette compétence se retrouve par exemple pour la Cour constitutionnelle allemande (article 21 de la Loi Fondamentale), la Cour constitutionnelle serbe (article 167 de la Constitution) ou la Cour constitutionnelle chilienne (article 82- 7° de la Constitution).
[20] Voy. Eugénie Mérieau, « Le juge constitutionnel face à l’exigence de moralisation de la vie politique : le pouvoir de destitution des élus pour corruption dans les démocraties émergentes », Annuaire International de Justice Constitutionnelle, 2018, vol. 33, p. 653 et s.
[21] C’est le cas de l’énigmatique Conseil d’enquête constitutionnelle présidé par le président de la Cour suprême d’Ethiopie (article 84 de la Constitution).
[22] Le Conseil constitutionnel français dispose par exemple du pouvoir d’abroger une disposition législative déjà en vigueur (article 62 de la Constitution), tout comme le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire (article 137 de la Constitution).
[23] Par exemple au Portugal (le Tribunal constitutionnel constate la destitution du chef de l’Etat entraînée par sa condamnation par l’Assemblée de la République : articles 130 et 223 combinés de la Constitution), en Albanie (l’article 131 de la Constitution indique que la Cour statue sur « la révocation du Président de la République et la vérification de son incapacité à exercer ses fonctions ») ou encore en Bulgarie (la Cour constitutionnelle se prononce sur des accusations formulées par l’Assemblée nationale à l’endroit du Président et du vice-président selon l’article 149 de la Constitution. Eugénie Mérieau répertorie plusieurs cas de destitution par les cours constitutionnelles dans ce qu’elle désigne comme des démocraties émergentes : Afrique du Sud, Corée du Sud, Thaïlande ou Pakistan par exemple (« Le juge constitutionnel face à l’exigence de moralisation de la vie politique : le pouvoir de destitution des élus pour corruption dans les démocraties émergentes », op. cit.).
[24] Pour une telle analyse s’agissant du Conseil constitutionnel français, voy. Lauréline Fontaine, La Constitution maltraitée. Essai sur l’injustice constitutionnelle, Amsterdam, mars 2023.
[25] Voy. en ce sens Lauréline Fontaine, « Choix des juges constitutionnels : la mauvaise exception française », Libération, 25 février 2022.
[26] Anna Chmielarz-Grochal, Marzena Laskowska, Jarostaw Sutrowsk, « Selección de magistrados constitucionales. Aspectos legales y políticos de la crisis de nombramiento en algunos países europeos ». Estudios constitucionales, 2018, vol.16, n°2, p. 485.
[27] Site de la Commission, publication du 16/03/2016.
[28] CDL-AD(2016)026, 14 octobre 2016.
[29] « Laurent Fabius vante l’indépendance du conseil constitutionnel devant des étudiants », Ouest France, 22 sept. 2019.
[30] Voy. par ex. Julien Jeanneney, « Les parlementaires tiennent leur rôle dans la nomination des candidats au Conseil constitutionnel de façon superficielle », Le Monde, 18 février 2022 ; Elina Lemaire, « Pour un contrôle véritable des candidatures au Conseil constitutionnel », Le Monde, 18 février 2022 ; Lauréline Fontaine, « Choix des juges constitutionnels : la mauvaise exception française », op. cit. ; Patrick Wachsmann, « Le cru 2022 des nominations au Conseil constitutionnel : en dessous du médiocre », Jus Politicum, 23 février 2022 ; Jean-Philippe Derosier, « Vers une mise au pas du Conseil constitutionnel? », Libération, 17 février 2022 ; Entretien avec Guillaume Drago, « Les ‘politiques’ majoritaires au Conseil constitutionnel : est-ce souhaitable ? », Figarovox, 16 février 2022 ; Jean Quatremer, « Nominations au Conseil constitutionnel : une république d’obligés », Libération, 15 février 2022.
[31] Voy. par exemple le colloque organisé par Elina Lemaire et Thomas Perroud, Le Conseil constitutionnel à l’épreuve de la déontologie et de la transparence, juin 2021, Paris (Publication par l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, 2022). Voyez aussi par exemple Lauréline Fontaine et Alain Supiot, « Pour une vraie réforme du Conseil constitutionnel », Le monde, 17 juin 2017, et « Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction sociale ? », Droit social, sept. 2017, p. 754.
[32] Voy. SCOTUSblog, Retirement of Stephen Breyer, janvier 2022 (www.scotusblog.com).
[33] Cf. infra : la présente étude fait référence à plusieurs des études en question.
[34] David A. Strauss et Cass R. Sunstein, « The Senate, the Constitution, and the ConfirmationProcess », Yale Law Journal, 1992, vol. 101, p. 1491 : « [i]t is difficult to find anyone who is satisfied with the way Supreme Court Justices are appointed today. »
[35] Par exemple celle-ci : Bruce Ledewitz, « Has Nihilism Politicized the Supreme Court Nomination Process? », Brigham Young University Journal of Public Law, 2017, vol. 32, pp. 1 et s.
[36] « Crise politique au Mali : la Cédéao se mobilise sur le terrain », site de RFI, 19 juin 2020 (www.rfi.fr).
[37] Le Président a ainsi nommé les trois juges que le Conseil Supérieur de la Magistrature avait désignés, ce dernier ayant par ailleurs utilisé ses propres prérogatives de nomination de trois membres de la cour constitutionnelle, et le Président de l’Assemblée nationale (dont l’élection avait été mise en cause par la Cour elle-même), a nommé les trois membres désignés inhabituellement par le bureau de l’Assemblée sur six noms proposés par la société civile. Néanmoins, « La composition de la cour constitutionnelle violerait encore l’article 91 de la constitution » selon certains juristes, en ce que qu’elles ne satisfont pas l’exigence que « à titre principal », « les conseillers sont choisis parmi les professeurs de droit, les avocats et les magistrats ayant au moins quinze ans d’activité, ainsi que les personnalités qualifiées qui ont honoré le service de l’État », cette formule précisant ainsi l’exigence formulée à l’alinéa précédent que sur les trois personnalités qu’ils nomment, le Président de la République et le président de l’Assemblée nationale doivent inclure au moins « deux juristes ».
[38] Voy. après la première partie de cette étude.
[39] CDL-AD (2013)010, Avis sur le projet de nouvelle constitution islandaise, § 135.
[40] CDL-AD (2008)010, Avis sur la Constitution de la Finlande, § 112.
[41] Katalin Kelemen, « Appointment of Constitutional Judges in a Comparative Perspective – with a Proposal for a New Model for Hungary », op. cit., p. 21.
[42] Natasa Danelciuc-Colodorovischi, « Enjeux politiques et composition des juridictions constitutionnelles en période de transition démocratique », in Olivier Lecucq, La composition des juridictions : perspectives de droit comparé, Bruylant, 2014, pp. 141-142.
[43] Voyez d’abord la résolution 1466 (2005), adoptée le 5 octobre 2005 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, puis la Déclaration commune de la Commission de Venise et la Présidence lituanienne de la Conférence des cours constitutionnelles européennes du 16 décembre 2005 sur la nomination de juges à la Cour constitutionnelle de l’Ukraine, et ensuite l’avis élaboré par la Commission de Venise à la suite de cette crise : CDL-AD (2006)016, Avis sur les améliorations constitutionnelles et législatives possibles pour assurer un fonctionnement ininterrompu de la Cour constitutionnelle d’Ukraine adopté par la Commission de Venise lors de sa 67e session plénière (Venise, 9-10 juin 2006).
[44] Ce système intéressant et apparemment de nature à privilégier une dépolitisation de la nomination n’a toutefois pas empêché que la cour constitutionnelle ukrainienne, sur la demande de son actuel président, fasse l’objet d’un nouvel avis très critique de la Commission de Venise à propos de l’un de ses arrêts invalidant la législation anti-corruption, dont la commission estime qu’il ne répond pas aux critères d’une bonne justice constitutionnelle (CDL-AD (2020)039, Avis n° 1012/2020, Avis urgent sur la réforme de la Cour constitutionnelle), ce qui illustre que de « bonnes » procédures ne suffisent pas à faire une « bonne » justice constitutionnelle.
[45] Voyez notamment CDL-AD (2017)001-f, République slovaque – Avis sur des questions relatives à la nomination des juges à la Cour constitutionnelle, adopté par la Commission de Venise lors de sa 110e session plénière (Venise, 10-11 mars 2017), et aussi le document de travail des services de la commission européenne à propos de la Slovaquie, 30 septembre 2020, Rapport 2020 sur l’état de droit – Chapitre consacré à la Slovaquie.
[46] Recommandation du Conseil du 9 juillet 2019 concernant le programme national de réforme de la Slovaquie pour 2019 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la Slovaquie pour 2019.
[47] Voy. Maria Kruk, « La Pologne : la Constitution, la cour constitutionnelle et les inquiétudes de l’opinion internationale », Krytyka Prawa, 2017, vol. 9, n°1, p. 43.
[48] CDL-AD (2012)026, Avis concernant la compatibilité avec les principes constitutionnels et l’Etat de droit des mesures adoptées par le Gouvernement et le Parlement de Roumanie à l’égard d’autres institutions de l’Etat, etc..
[49] Voyez par exemple la conférence d’Angelika Nussberger le 10 février 2022 au collège de France qui estime qu’elle n’est pas conforme à l’esprit de l’Etat de droit (Les divergences et controverses concernant le rôle d’un État européen au XXIᵉ siècle, conférence disponible sur le site du Collège de France, www.college-de-france.fr).
[50] La « résistance » qu’a pu offrir la Cour, en refusant par exemple au mois de décembre 2015 d’admettre trois juges sélectionnés aux postes déjà occupés, n’a pu tenir face aux actes et révisions successives de la majorité politique.
[51] Maria Kruk, « La Pologne : la Constitution, la cour constitutionnelle et les inquiétudes de l’opinion internationale », op. cit., p. 44.
[52] Voy. par exemple Richard D. Parker, « ‘Here, the People Rule’: A Constitutionalist Populist Manifesto », Valparaiso University Law Review, 1993, n°3, vol. 27, pp. 531 et s.
[53] Mais l’absence d’apparents dysfonctionnements peut aussi recouvrir une situation où la Cour constitutionnelle est en réalité un démembrement du pouvoir en place.
[54] Il faut toutefois signaler le rôle croissant de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest dans la gestion des crises politiques, dont font partie les problèmes de nomination des juges constitutionnels. Créée en 1977 dans un but économique, elle s’est progressivement orientée vers la prévention des conflits en Afrique de l’Ouest et porte ainsi tant attention aux relations entre les différents pays qu’aux questions institutionnelles intérieures.
[55] Outre les quarante-six membres du Conseil de l’Europe (la Russie en ayant été exclue en 2022), sont membres de la Commission de Venise l’Algérie, le Brésil, le Canada, le Chili, la République de Corée, Costa Rica, les Etats-Unis, Israël, le Kazakhstan, le Kirghizistan, Kosovo, le Maroc, le Mexique, le Pérou et la Tunisie. L’Argentine, le Japon, le Saint-Siège et l’Uruguay sont observateurs. L’Afrique du Sud et l’Autorité nationale palestinienne bénéficient d’un statut spécial de coopération.
[56] Malgré plusieurs sessions de vote à l’Assemblée des représentants du peuple, seule une membre sur les quatre attendus avait réussi à obtenir la majorité des votes, à savoir Raoudha Ouersighni élue le 14 mars 2018
[57] CDL-PI (2022)026, Avis n°1085/2022 du 27 mai 2022, Avis urgent sur le cadre constitutionnel et législatif concernant le referendum et les élections annoncées par le président de la République, et notamment sur le décret-loi n° 22 du 21 avril 2022 amendant et complétant la loi organique sur l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE).
[58] « La Cour constitutionnelle de nouveau au complet avec la nomination d’un nouveau juge », site de KBS World, 10 novembre 2017 (http://world.kbs.co.kr).
[59] « RDC : les 9 membres de la Cour constitutionnelle ont prêté serment », site de RFI, 5 avril 2015 (www.rfi.fr).
[60] « Suspension de la Cour constitutionnelle aux Comores », site de Voice of America Afrique, 19 avril 2018 (www.voaafrique.com).
[61] Arnaud Martin, « L’indépendance de la justice constitutionnelle en Amérique latine », in Arnaud Martin (dir.), Le glaive et la balance. Droits de l’homme, justice constitutionnelle et démocratie en Amérique latine, l’Harmattan, 2012, p. 177, faisant référence à Edmondo Orellana, « La jurisdicción constitucional en Honduras », in Ruben Hernandez Valle et Pablo Pérez Tremps, La justicia constitucional como elemento de consolidación de la democracia en Centroamérica, Valence, Tirant lo blanch, 2000, p. 192.
[62] Et notamment lorsque les juges nommés n’ont pas le profil de l’« homme blanc ». Voy. plus loin cette étude la partie 2.2.1. Le cadre politique et culturel des critères de diversité des gardiens de la constitution.
[63] Voy. l’article du AA, « Republican Candidates Unite Against Obama on Replacing Scalia », par Jonathan Martin, 13 février 2016.
[64] Mark Tushnet, « Constitutional Harball », John Marshall Law Review, 2004, vol. 37, pp. 523 et s.
[65] A la suite de la démission de Anthony Kennedy et du décès de Ruth Bader Ginsburg, successivement remplacés par Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett.
[66] Arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization du 24 juin 2022.
[67] Augusto Barbera, Franco Modugno et Giulio Prosperetti.
[68] Pour le détail, ibid. p. 11.
[69] Céline Maillafet, « L’alliance gouvernementale fait élire le nouveau juge constitutionnel Luca Antonini », La lettre d’Italie, Revue Droit et Vie politique italienne, Centre de droit et de politique comparés Jean-Claude Escarras, Université de Toulon, 2019, n° 13-14, pp. 18-19.
[70] Voyez en ce sens Céline Maillafet, « La Consulta, entre évolutions et recherche de quiétude », La lettre d’Italie, Revue Droit et Vie politique italienne, Centre de droit et de politique comparés Jean-Claude Escarras, Université de Toulon, 2018, n° 12, p. 12.
[71] Plusieurs quotidiens français l’ont répercutée, notamment le 14 septembre 2021, avec un article dans le journal Le Monde (Sandrine Morel, « En Espagne, la nomination des juges bloquée pour des raisons politiques ») et un article dans le journal Libération («la droite refuse de nommer des juges qui enquêtent sur sa propre corruption »).
[72] François Musseau, « En Espagne, un nouveau juge constitutionnel très polémique », publié le 12/11/2021 sur le site de RFI (www.rfi.fr).
[73] Propos rapportés par Sandrine Morel pour le journal Le Monde, op. cit.
[74] Voyez Katalin Kelemen, op. cit., p. 19
[75] Article 16.5 de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel.
[76] Par exemple, l’article 68 de la loi sur la Cour constitutionnelle roumaine prévoit que la nomination d’un nouveau juge doit avoir lieu un mois au moins avant l’expiration du mandat du juge remplacé.
[77] Voy. plus loin cette étude la partie 2.2.1. Le cadre politique et culturel des critères de diversité des gardiens de la Constitution.
[78] Anna Chmierlarz, Marzena Laskowska, Jarostaw Sutrowsk, « Selección de magistrados constitucionales. Aspectos legales y políticos de la crisis de nombramiento en algunos países europeos », Estudios constitucionales, 2018, vol.16, n.2, p. 482.
[79] Voy. l’étude sur la nomination et la sélection des juges en Israël de 1995 à 2016, Gad Barzilai, Maoz Rosenthal, Assaf Meydani, « The Personalization of Judicial Review: The Cohesiveness of Judicial Nominations and Constitutional Courts », Address at the Comparative High Court Decision Making Workshop, Jérusalem,
[80] Ces dernières années, parmi les pays s’étant illustré pour leur intérêt portée à la procédure de désignation des gardiens de la constitution, on peut citer le Canada qui modifie et ajuste régulièrement le processus et « rapporte » publiquement sur celui-ci (https://www.fja-cmf.gc.ca/scc-csc/2017-SheilahMartin/smartin-report-rapport-fra.html#bm08), mais aussi l’Australie, productrice de plusieurs rapports de référence sur la question (voy. le site du Parlement australien,
https://www.aph.gov.au/About_Parliament/Parliamentary_Departments/Parliamentary_Library/FlagPost/2021/November/Judicial_Appointments) , ou enfin l’Angleterre dont la chambre des Lords avait institué un groupe de réflexion sur la nomination des juges dans le cadre de son comité de réflexion sur une réforme constitutionnelle (House of Lords, Select Committee on the Constitution, Judicial Appointment Process: Oral and Written Evidence, Mar. 28, 2012,
http://www.parliament.uk/ documents/lords-committees/constitution/JAP/JAPCompiledevidence28032012.pdf)
[81] Voyez les exemples cités par Guillaume Tusseau dans son étude sur la Cour suprême américaine, « Façonner le ‘gardien de la conscience’. Les présidents des Etats-Unis et les juges de la Cour suprême », Pouvoirs, 2014, vol. 150, n°3, pp. 53 et s. Il relève, page 60, que « sur un plan statistique, sur cent cinquante nominés à la Cour suprême, cent trente-trois ont été membres du parti du président qui les désigne » et qu’il existe un alignement fort des votes de confirmation des membres du Sénat en fonction de leur appartenance politique.
[82] Gad Barzilai, Maoz Rosenthal, Assaf Meydani, « The Personalization of Judicial Review… », op. cit., p. 3 et 6.
[83] Benjamin G. Engst, Thomas Gschwend et Sebastian Sternberg, Who reaches the Bench? Evaluation of Judicial Nominees for Constitutional Courts, working paper, 2018, en ligne : https://dochero.tips/who-reaches-the-bench-evaluation-of-judicial-nominees-for.html.
[84] C’est le cas par exemple en France : voy. Julien Icard, « Il n’y a plus rien à attendre du Conseil constitutionnel », Libération, 3 avril 2018, et par exemple la vidéo postée au sujet du Conseil constitutionnel français en 2017 par la chaîne Youtube Osons causer : https://youtu.be/SD0oNXnXwbU.
[85] Clarence Thomas en 1991, confirmé par le sénat à 52 voix contre 48.
[86] Brett Kavanaugh en 2018, confirmé par le sénat à 50 voix contre 48.
[87] Alain Juppé nommé en 2019 par le président de l’Assemblée nationale avec l’approbation de la commission parlementaire à 21 voix contre 4 et 2 votes blancs.
[88] Voyez François Musseau, « En Espagne, un nouveau juge constitutionnel très polémique », site internet de RFI, 12/11/2021 (www.rfi.fr).
[89] Sur ce point voy. Guillaume Tusseau, « Façonner le ‘gardien de la conscience’… », op. cit., p. 58.
[90] Senate floor speech made in response to the announcement of Bork’s nomination; July 1, 1987. Senator Edward M. Kennedy. Congressional Record. United States Senate. pages 18518-18519. 100th Cong. 1st Sess. 133 Cong Rec S 9188. Vol. 133 No. 110.
[91] Voy. par ex. Samuel Ravier-Regnat, « Brésil : un pasteur ‘terriblement évangélique’ et proche de Bolsonaro à la Cour suprême », Libération, 16 décembre 2021.
[92] §3 (1) de la Loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale.
[93] Loi de 1998 sur l’organisation de la justice en Islande.
[94] Et, en Slovaquie, il faut avoir son domicile sur le territoire. La plupart du temps, la nationalité du pays est exigée, que cela soit explicitement précisé concernant l’accès à la cour constitutionnelle ou suprême ou que ce soit dans des textes plus généraux concernant l’exercice de fonctions publiques, politiques ou électives.
[95] Aucune condition n’étant fixée pour les membres du Conseil constitutionnel français, la condamnation d’Alain Juppé en 2004 par la Cour d’Appel de Versailles à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité n’a pas empêché qu’il y soit nommé en 2019 par l’alors président de l’Assemblée nationale.
[96] Voyez pour un historique et un panorama du contrôle diffus de constitutionnalité dans le monde, Albrecht Weber, « Notes sur la justice constitutionnelle comparée : Convergences et Divergences », Annuaire International de Justice Constitutionnelle, 2003, p. 29.
[97] Katalin Kelemen, op. cit., p. 21.
[98] Yoav Dotan, Menachem Hofnung, « Legal Defeats – Political Wins. Why Do Elected Representatives Go to Court? », Comparative Political Studies, vol. 38, 2005, p.75.
[99] https://fr.statista.com/statistiques/661605/connaissance-conseil-constitutionnel-france/.
[100] https://news.gallup.com/poll/4732/supreme-court.aspx.
[101] Même si l’usage de ces opinions reste modéré et concerne surtout les dits « choix de société » : voyez à ce sujet Christian Walter, La pratique des opinions dissidentes en Allemagne », Les cahiers du Conseil constitutionnel, n°8, juillet 2000.
[102] Benjamin G. Engst, Thomas Gschwend et Sebastian Sternberg, Who reaches the Bench ?…, op. cit.
[103] Cité par Georg Vanberg, The Politics of Constitutional Review in Germany, Cambridge University Press, 2005, p. 121.
[104] Georg Vanberg, « Constitutional Courts in Comparative Perspective : A Theoretical Assessment », Annual Review of Political Science, vol. 18, 2015, p. 179.
[105] Voyez Elina Lemaire, « Dans les coulisses du Conseil constitutionnel. Comment le rôle de gardien des droits et libertés constitutionnellement garantis est-il conçu par les membres de l’institution ? », Jus Politicum, 2012, n° 7.
[106] Voyez mes développements dans « Bilan et réflexions sur une éthique de la justice constitutionnelle à la lumière de ce qu’en font et de ce qu’en disent ses acteurs. Que doit-on attendre d’une réforme – nécessaire – du conseil constitutionnel ? », in Elina Lemaire et Thomas Perroud (dir.), Le Conseil constitutionnel à l’épreuve de la déontologie et de la transparence, op. cit., spéc. pp. 173 et 175.
[107] Les amis de la terre et l’Observatoire des multinationales, Les sages sous influence ? Le lobbying auprès du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat, 2017 (en ligne : https://www.amisdelaterre.org/wp-content/uploads/2018/06/les-sages-sous-influence—rapport-amis-de-la-terre—odm.pdf)
[108] Mathide Mathieu, « Dans les coulisses du Conseil constitutionnel, cible des lobbies », Mediapart, 12 ocotbre 2015.
[109] Voy. Elina Lemaire, A l’occasion des nominations de 2022, repenser les conditions de la désignation et le statut des membres du Conseil constitutionnel, Position paper, 19 janvier 2022, observatoire de l’éthique de la vie publique, https://www.observatoireethiquepublique.com/wp-content/uploads/2022-OEP-Nominations-CC-mis-en-forme-MA.pdf.
[110] La membre proposée par le Président de la République était ministre du Gouvernement en exercice, le membre proposé par le Président du Sénat était directeur de son cabinet, et la membre proposée par le Président de l’Assemblée nationale avait été la supérieure hiérarchique du Procureur ayant classé sans suite une affaire dans laquelle il avait été impliqué cinq ans auparavant.
[111] Katalin Kelemen, op. cit.
[112] Hernán Cappiello, « Horacio Rosatti ya se instaló al Consejo de la Magistratura y tuvo sus primeras reuniones », La Nacion, 26 avril 2022.
[113] Voy. Richard Davis, Justice: Fixing the Supreme Court Nomination Process, Oxford University Press, 2005, p. 76.
[114] « We’re going to bork him. We’re going to kill him politically … This little creep, where did he come from? », propos de Florynce Kennedy lors du Congrès du National Organization for Women à New York en juillet 1991, rapportés par le Wall Street Journal qui rapporte l’action de « Borking », The Borking Begins, The Wall Street Journal, 17 août 2007.
[115] Voy. par exemple Guillaume Tusseau, « Façonner le ‘gardien de la conscience’… », op. cit., pp. 59 et 60.
[116] Benjamin G. Engst, Thomas Gschwend et Sebastian Sternberg, Who reaches the bench?…, op. cit..