Les évolutions du genre constitutionnel : premiers éléments d’une « radiographie » engagée
par Lauréline Fontaine
Avertissement : ce texte avait été conçu initialement pour la revue Droit et Littérature n°2. J’ai été un peu attristée de ne pas recevoir l’autorisation de publier ce texte sur ledroitdelafontaine.fr dont la vocation certes est d’être un espace de déploiement d’une certaine parole, mais le relais aussi, au regard des visites que le site occasionne, des publications « papiers » qui peuvent aussi recevoir, d’une manière ou d’une autre, cette parole. J’ai donc décidé, pour être cohérente et parce que je tiens aux propos de ce texte, qui se déploient progressivement tout son long, d’en réserver la lecture aux visiteurs de www.ledroitdelafontaine.fr. Ce texte constitue encore un essai au sens premier du terme, à développer, toujours. Bonne lecture donc !
Avez-vous déjà « lu » une constitution ? ! Il est rare en effet qu’on lise un texte constitutionnel de bout en bout, comme une histoire que l’on pourrait raconter ensuite. D’une taille souvent comparable à la nouvelle ou au petit roman[1], une constitution est, parmi les textes juridiques, un récit singulier : une constitution, lorsqu’elle est envisagée comme un ensemble d’énoncés intentionnellement écrits comme faisant constitution, ne fait du même coup pas seulement discours, mais bien aussi récit puisqu’elle est en effet une action de raconter une chose. Elle a ainsi une certaine vocation totalisante en ce qu’elle concerne la société toute entière et dans la plupart de ses aspects ; elle est formée d’une suite de dispositions qui, ensemble, « racontent » quelque chose de la société pour laquelle et au sein de laquelle elle est écrite. Tout y est ou presque : la situation initiale souvent, à travers un préambule[2], un élément de changement de la situation, par le fait même du texte, des personnages clés (le peuple, les individus, les institutions ou même Dieu), des événements (et souvent même des situations d’anticipation comme l’hypothèse de l’empêchement), une situation finale à travers le plus souvent des dispositions transitoires, et enfin, un vocabulaire nominal et conceptuel « de son temps », ce qui n’est pas là la moindre des choses. Entre l’intrigue, la mise en scène et la radiographie politico-sociale, la constitution appartiendrait ainsi à un genre qui permet de savoir à l’avance quoi attendre du texte au moment où l’on en entame la lecture[3].
Une micro-analyse statistique de 101 textes constitutionnels[4] montrent à la fois une diversité et une grande unité dans les récits constitutionnels : une grande diversité parce que par exemple, tous ne contiennent pas de préambule et qu’on ne relève pas non plus de continuité nationale de ce point de vue[5], que certains invoquent l’histoire et d’autres pas, que certains sont incantatoires et d’autres exclusivement prescriptifs. Une grande unité en revanche parce qu’il y a une stylistique commune : des articles numérotés qui se suivent, souvent peu longs, le caractère répétitif et scandé de certains énoncés, un vocabulaire mixte, à la fois technique et commun[6] mais presque toujours adossé à des théories politiques et juridiques antérieures[7], et, dans certains cas, un préambule aux accents plus lyriques et fleuris, qui oblige presque toujours à une lecture systémique des constitutions (lire une disposition constitutionnelle séparément des autres dispositions constitutionnelles prive le lecteur de potentialités compréhensives du récit). Comme l’a fait remarquer Armel Le Divellec, « la propension dominante des juristes publicistes contemporains – comme de la plupart des juristes en général – à se focaliser sur le droit écrit, voire à surévaluer l’importance des textes, notamment les constitutions écrites, n’a paradoxalement pas empêché qu’ils négligent assez largement l’histoire de l’écriture de ces textes, et plus encore l’analyse du style de leur objet de prédilection »[8]. Les tentatives en ce sens sont donc assez récentes[9], et les analyses américaines issues du mouvement Droit et Littérature se sont plutôt focalisées sur la Constitution américaine et le potentiel interprétatif de celle-ci[10].
Il est possible pourtant que cette relative lacune ne soit pas complètement injustifiée, en ce sens que l’analyse de la spécificité stylistique des constitutions ne contribue peut-être pas à une analyse véritablement heuristique du droit constitutionnel, pour relever simplement d’une science typologisante à l’intérêt limité. Et si les constitutions écrites relèvent véritablement d’un genre littéraire, il est possible que ce soit plus en raison de leur contenu que de leur signification chez le lecteur – conformément à la théorie du récit développée par Paul Ricoeur[11] – que par des caractéristiques syntaxiques et sémantiques singulières. C’est bien ce que raconte une constitution, comment et dans quel contexte[12] elle le raconte qui en fait un genre à part dans la littérature juridique. Dans et par une constitution, il se passe indéniablement quelque chose de sociétal. Et dès lors que l’on envisage une constitution comme un genre littéraire, faire ressortir des filiations et des parentés avec d’autres genres littéraires « marqués » socialement, politiquement et idéologiquement, peut aider à réintégrer le genre constitutionnel dans l’histoire littéraire en général, mais surtout, à partir des analyses et fictions littéraires, à dévoiler des caractéristiques essentielles du genre constitutionnel pour partie passées inaperçues ou tenues pour secondaires. Je propose ici une esquisse seulement de ce travail, à gros traits encore, qu’il conviendra certainement d’affiner.
- Les données premières des parentés littéraires du genre constitutionnel
Les constitutions et le récit constitutionnel ont longtemps et souvent été comparés à des textes sacrés qui emportent avec eux toute une série de mythes et de mythologies, ces deux derniers termes étant couramment associés à celui nominal de « constitution » ou adjectival de « constitutionnel ». Cette comparaison se comprend au regard du statut de ces différents textes, qui se trouvent être tous au fondement d’un système de pensée, d’institutions et de règles. Les textes sacrés ont ainsi quelque chose de « constitutionnels » au sens premier et simple du terme : ils « constituent » quelque chose. La comparaison a ainsi une vocation argumentative sur l’autorité à accorder aux textes politiques constitutionnels comme fondement d’un système normatif juridique. Et ce n’est pas là la moindre des choses car, comme le remarque Philippe Ségur, le droit est une tragédie en ce sens qu’il s’agit d’une « tentative de contrôle de la réalité légale, c’est-à-dire de cette fiction dont on sait à l’avance qu’elle sera tôt ou tard mise en échec par les faits »[13] : la Constitution n’échappe pas à ce destin tragique qu’il s’agit de compenser par le recours au sacré, en faisant des principes constitutionnels le socle d’une « religion civile »[14]. La Constitution laïciserait ainsi les Ecritures, voire se substituerait à elles. Sur la base de cette comparaison, il existe ainsi toute une série de discussions, analyses et controverses sur l’interprétation des textes constitutionnels[15]. Au-delà de cette sainte comparaison, il faut pourtant rappeler que la naissance du genre constitutionnel est le fruit d’un processus incarné par les premiers textes du XVIIIè siècle[16]. Il s’inscrit dans un environnement intellectuel qui fait, directement ou indirectement, la part belle à la réflexion politique : le développement de l’humanisme, les théories du droit naturel et les théories contractualistes côtoient des récits littéraires dont la substance politique n’est pas discutable : les utopies sont de ce genre, qui naissent avec la publication de la fameuse Utopia de Thomas More[17], mais les contes peuvent aussi être rangés dans cette catégorie, dont les premières analyses comme genre voient précisément aussi le jour au XVIIIè siècle, lorsque leur succès est important en France et en Angleterre. Du XVIè au XVIIè siècles, l’ensemble de ces écrits, traités et écrits philosophiques, religieux et politiques, récits littéraires utopiques, fables et contes, ont une parenté évidente en ce qu’elles articulent, dans des styles différents, une comparaison, expresse ou implicite, entre le monde et la société tel qu’ils sont et tels qu’ils devraient être[18]. Cette littérature du devoir-être est présente dans nombre d’écrits qui naissent et se propagent sur ces trois siècles en Europe. L’inscription normative de ce devoir-être espéré présente évidemment une nouveauté, mais qui ne semble pas devoir vraiment au hasard[19]. Le propre de l’utopie est d’ailleurs, selon Pierre Moreau, que « la politique entre dans le normatif »[20]. Thomas More et Francis Bacon, les auteurs des premiers récits utopiques[21], sont des juristes avertis qui ont participé à l’exercice du pouvoir politique. Thomas More, érudit, juriste et conseiller politique influent de l’Angleterre, écrit une Utopia au XVIè siècle qui est autant une critique implicite des institutions de son époque que l’élaboration d’un modèle qui pourrait être suivi. L’utopie est sans doute, avec le pamphlet, l’un des premiers courants de littérature politique et « engagée », c’est-à-dire « consciente de sa fonction sociale. Cette qualité suffit à trouver intérêt à l’existence d’une filiation littéraire entre leurs récits utopiques et les constitutions qui seront rédigées plus tard, parce que l’utopie n’est pas simplement un genre littéraire mais participe d’un courant de réflexion humaniste et critique (Thomas More est un ami intime d’Erasme) dont les constitutions peuvent être considérées comme un prolongement, tous étant le produit de l’analyse de l’écriture du droit, peut-être initié lointainement par des juristes comme Alciat au tout début du XVIè siècle[22]. Le contenu de l’ambition constitutionnelle incarnée par son texte avait donc été préparé par des juristes critiques à l’égard de l’exercice du pouvoir, déployant leur savoir et leur imagination à travers ce nouveau genre dont ils furent les créateurs.
Le procédé de l’imaginaire et de la fiction pour ancrer et informer une réalité tangible était déjà à l’époque un procédé classique et antique du droit. Mais ce qu’apporte le genre constitutionnel aux XVIIè et XVIIIè siècles, c’est une totalité sociétale inédite qui l’inscrit en cela dans une filiation littéraire tout à fait évidente avec le genre de l’utopie né au XVIè siècle[23]. C’est le moment où la fiction devient délibérément un procédé narratif destiné à provoquer une réflexion sur le présent. Il n’y avait que peu de pas à franchir pour que l’écriture juridique, spécialiste des fictions, s’empare complètement du terrain politique. La chronologie est favorable à cette association, qui fait tout juste précéder les premières constitutions politiques complètes des premiers récits utopiques, ceux-ci connaissant un grand succès, notamment en France, aux XVIIè et XVIIIè siècles. A propos des préambules constitutionnels, Jacky Hummel note qu’ils « portent, en certaines de leurs dispositions, la tension entre réalité et fiction qui caractérise le ‘genre littéraire utopique’ : on y retrouve, en effet, la même relation particulière entre littérature et politique que dévoile le sentiment d’une rupture entre l’idéal poursuivi ou espéré et la réalité des faits sociaux »[24].
La filiation est donc certaine, mais le genre est différent. Le constitutionnalisme en effet ne saurait être réduit comme il l’est parfois à « un mouvement qui vise à mettre en œuvre un idéal par les moyens propres du droit constitutionnel»[25]. Il serait ainsi possible, comme l’avance Jacky Hummel, de penser que l’utopie n’est pas, par nature, une tentation constitutionnelle sauf si l’on croit à la possibilité, fort incertaine et délétère, d’une Constitution parfaite »[26]. Relire toutefois le contenu des constitutions à partir d’une connaissance des caractéristiques générales du récit utopique n’est pas un vain travail puisqu’il éclaire sous un autre jour le récit et la philosophie des constituants[27].
- L’appropriation des principes économiques et sociaux de l’utopie subvertie par le genre constitutionnel
La spécificité normative de la constitution impliquait de ne pas s’en tenir à un processus exclusivement « utopistique ». Comme l’a souligné Robert M. Cover, que je cite longuement ici, « dans l’univers normatif, la signification juridique est créée par l’engagement et le dégagement, l’identification et l’objectivation simultanées. Parce que le nomos n’est que le processus de l’action humaine tendue entre vision et réalité, une interprétation juridique ne peut être valide si personne n’est prêt à vivre en conformité avec elle. Certains penseurs peuvent être écartés comme « simplement » utopistes, non seulement parce qu’il posent des standards de conduite radicalement différents de ceux selon lesquels nous sommes habitués à vivre mais aussi parce qu’ils ne parviennent pas à proposer des alternatives de vie auxquelles nous voudrions adhérer en tirant notre réalité vers leur vision »[28]. Robert M. Cover ajoute en note que « l’utopie de Thomas More n’est pas tranchante parce qu’elle n’est pas, dans le contexte, un appel à l’action ». Cette action qu’est la constitution, autant qu’elle est un appel et un cadre à l’action future, l’incruste dans cette réalité humaine environnante qui la prive d’une aspiration possible à l’impossible. Cela n’empêche pas les constituants « d’y croire » un peu, plus ou moins selon les lieux et les époques. Des récits utopiques, ils retiennent le principe d’égalité et la nécessité d’une affirmation de la supériorité d’un intérêt transcendant. En revanche, l’hypothèse d’une société collectiviste et sans commerce, qui caractérise les utopies est plutôt assez clairement exclue du genre constitutionnel.
* L’égalité, la justice sociale et la transcendance du politique comme héritage utopique. Le principe d’égalité a été porté par les auteurs des premiers récits utopiques porteurs d’une volonté de justice sociale. Les interrogations sur le point de savoir si l’égalité n’est pas une utopie se retournent aujourd’hui étonnamment contre le genre utopique, accusé de ne pas avoir eu d’assises philosophiques et psychologiques suffisantes pour proposer un modèle viable de réalisation de l’égalité. Le genre constitutionnel a dès l’origine intégré le principe d’égalité dans son code génétique, en postulant l’égalité entre les différents membres d’un corps, du corps social ou de l’ensemble des individus. Si à proprement parler la première Constitution suédoise de 1720 ne postule pas l’égalité, et maintient d’ailleurs tous les privilèges existants (article 51), elle exprime plusieurs principes destinés à promouvoir un état global de justice et de non discrimination dans le pays : « Il appartient à la Majesté Royale d’affermir, d’aimer, de protéger des Loix, la Justice et la vérité ; d’empêcher, de détruire et d’anéantir la violence et l’injustice, afin que personne de soit exposé à perdre sa vie, ou ne soit lézé dans son corps, ou dans ses biens, son honneur (…) » (article 2), et, par exemple, postule que « afin que les charges ne tombent pas dans le mépris, on ne donnera à l’avenir à personne aucun Caractère (titre), supérieur à celui qui est propre à l’emploi qu’il exerce effectivement. Cependant lorsqu’un homme aura été préféré à un autre pour quelque emploi, le Roi sera le maître de donner à ce dernier un caractère, suivant son mérite, pour le consoler du refus qu’il aura essuyé. Et si quelqu’un qui a servi longtemps et avec honneur veut prendre son congé, on peut bien lui donner un Caractère plus relevé, en sorte pourtant qu’un homme qui a reçu un pareil congé, ne doit pas être revêtu de quelque nouvel emploi au préjudice des autres. ». Le principe d’égalité entre les membres du corps des nobles propriétaires qui constitue la Pologne est lui proclamé au titre 2 de la Constitution de 1791, le principe d’égalité entre les « hommes » à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen mise au fronton de la Constitution française de 1791 comme un « droit naturel », tout comme la liberté et l’égalité des citoyens sont considérés comme des droits qu’ils tiennent de la nature dans la première constitution suisse de 1798 (Titre XII), ou enfin que « les Grecs sont égaux devant la loi, sans distinction de titres ni de rangs », dans la première constitution grecque d’Epidaure en 1822, une formulation présente dans la quasi totalité des constitutions contemporaines.
C’est sur ces bases qu’est aussi permise l’affirmation de la transcendance du politique, évidemment base de l’utopie mais indispensable à la légitimité et à l’efficacité du texte constitutionnel. Cette transcendance est incarnée par différentes notions comme la nation, la collectivité, le peuple, l’intérêt public ou l’intérêt général. C’est ainsi qu’un léger déplacement s’opère puisque non seulement le texte « raconte » souvent cette transcendance, mais encore la situe à son fondement même : ainsi de la nation qui est source du pouvoir, formulation dont le succès ne s’est jamais démenti. Dès la constitution de Pologne, le principe est posé (« Dans la société, tout pouvoir émane essentiellement de la volonté de la Nation »), ainsi que dans la constitution française de 1791 (« La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs (…) »), autorisant aussi des formules plus lyriques comme celle du préambule qui met « au-dessus de notre félicité individuelle, au-dessus même de la vie, l’existence politique, la liberté à l’intérieur et l’indépendance au dehors de la nation dont la destinée nous est confiée », ou celle de la première constitution helvétique de 1798 indiquant qu’ « il n’y a plus de frontières entre les cantons et les pays sujets, ni de canton à canton. L’unité de patrie d’intérêt succède au faible lien qui rassemblait et guidait au hasard des parties hétérogènes, inégales, disproportionnées et asservies à de petites localités et des préjugés domestiques. On était faible de toute sa faiblesse individuelle : on sera fort de la force de tous », mettant en cela en parfaite application le principe du pays utopique.
Le pas suivant de l’utopie est naturellement le principe de la société collectiviste, qui ne pouvait être franchi dans la mesure où il n’est un secret pour personne aujourd’hui que le développement d’une société d’égaux protégés par une puissance transcendante et souveraine a été promu par un ensemble d’individus et de groupes cherchant à protéger leurs biens et leurs libertés contre l’arbitraire et l’infortune des rois. Le récit utopique en ce sens a joué son rôle de puissant moteur au service d’un autre type d’idéologie, plus « bourgeoise », qui en renverse en partie le principe.
* Le rejet d’une société collectiviste et sans commerce et la défense de la propriété. Comme le souligne Raymond Trousson, dans l’utopie, « le bonheur est collectif, non une jouissance individuelle et partout suspecte »[29]. Sauf exceptions tout à fait notables et singulières, le constitutionnalisme s’est précisément construit en dehors des thèses collectivistes qui sont elles fondées à la fois sur l’uniformité sociale des individus, l’inexistence de classes sociales et de la famille, le rejet de la propriété, l’absence de commerce et la plupart du temps d’une monnaie. Ces caractéristiques majeures et fondamentales du récit utopique, n’ont pas seulement été délaissées ou ignorées mais carrément, sauf exception, rejetées par le genre constitutionnel. « Les utopistes redoutent le système monétaire, générateur d’inégalités et d’injustices, et qui tend à rompre l’uniformité et la symétrie des conditions que réclame la cité idéale »[30], tandis que les premiers constituants défendent et protègent la propriété et les biens, garantissent la monnaie et encouragent le commerce.
La première constitution de Suède contient un article de « détail » mais déjà très signifiant sur cette question[31], tandis que la première constitution de Pologne affiche le principe du respect de « la sûreté personnelle et la propriété légale de tout citoyen, comme le premier lien de la société et le fondement de la liberté civile, nous les confirmons, assurons et garantissons, et voulons que, respectées dans tous les siècles, elles restent à jamais intactes ». On pouvait difficilement être plus prophète… La Déclaration française de 1789 fera ainsi du droit de propriété un « droit inviolable et sacré » (article 17 et dernier) et la première constitution de 1791 y revient plusieurs fois[32]. Certes les premières constitutions prévoient aussi la possibilité que les propriétés individuelles puissent céder parfois le pas à la transcendance de l’intérêt public, mais ça n’est jamais sans « compenser » la cession par un avantage individuel traduit par la notion de « juste et préalable indemnité », formule que l’on retrouve aujourd’hui dans presque toutes les constitutions. Sur cette question, l’histoire constitutionnelle présente une étonnante stabilité. Le genre constitutionnel n’a que peu évolué sur le point crucial – et peut-être donc constitutif du genre – de la propriété.
- L’unité réalisée de l’Utopie et l’Unité à construire par la constitution
« L’apport de la littérature utopique consiste principalement à avoir laissé ses grandes ambitions en héritage au roman. Décrire une société parfaite signifie avoir affaire à la condition humaine en son entier, se mesurer avec la totalité, affronter la multiplicité du réel d’un point de vue unificateur (…) »[33]. La double et indécidable étymologie de l’utopie est bien connue : ce topos n’est « nulle part », ou-, ou simplement parfaitement « heureux », eu-.
Si l’utopie est une littérature du devoir-être, sa caractéristique est bien que le monde dont elle parle est déjà réalisé. Le récit utopique se confond ainsi en quelque sorte avec la société qu’il décrit. Le récit constitutionnel, en revanche, en prise avec un réel qu’il a pour ambition de former à sa mesure, est donc confronté matériellement à lui. L’utopie n’a pas de passé, son unité et sa régularité étant ainsi en elles-mêmes accomplies. « L’utopie est, dans un présent définitif qui ignore le passé et même l’avenir puisque, parfaite, elle ne changera plus »[34]. Evidemment ce n’est pas le cas de la société politique dont parle la constitution. Une analyse des premiers textes constitutionnels fait apparaître en partie cette difficulté. Une constitution doit mettre en place les éléments de la construction de son unité, à la fois en simulant celle-ci par la fiction d’une histoire « nationale » – et donc commune, et d’une éventuelle continuité historique. Mais l’histoire racontée, créée, re-créée, n’est pas le seul facteur d’unité sur lequel comptent les constituants : le moyen de l’éducation paraît aussi important, celui-ci pouvant être au service de celui-là.
* La construction constitutionnelle d’un récit national et l’existence d’une continuité historique. Le caractère aimable de la société politique en construction par le récit constitutionnel passe souvent par la référence à un passé opprimant ou délétère. Ainsi la Constitution polonaise de 1791 contient-elle ce récit à la fois épique, douloureux et porteur d’espoir que « tous les revers qui ont été la suite du bouleversement qu’a périodiquement éprouvé la constitution à chaque interrègne, l’obligation, essentielle pour nous, d’assurer le sort de la Pologne et d’opposer la plus forte digue à l’influence des puissances étrangères, le souvenir de la gloire et de la prospérité qui ont couronné notre patrie sous le règle non interrompu de rois héréditaires, la nécessité pressante de détourner, et les étrangers, et les nationaux puissants de l’ambition de régner sur nous, et d’exciter au contraire, dans ces derniers, le désir de cimenter de concert la liberté nationale ». Avant ce récit, fut rédigé ce très simple et fameux préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, « Les Représentants du Peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements », par lequel s’opère le lien entre le passé, le présent et le futur et qui permet en même temps d’asseoir la légitimité de l’action constitutionnelle. On retrouve la même idée dans le Statut albertin de 1848 qui indique dans son préambule qu’ « Avec la loyauté d’un roi et l’affection d’un père, nous venons aujourd’hui accomplir ce que nous avons annoncé à nos bien-aimés sujets dans notre proclamation du 8 février dernier, par laquelle nous avons voulu prouver, au milieu des événements extraordinaires qui se passaient autour du pays, combien notre confiance en eux augmentait avec la gravité des circonstances, et comment, prenant conseil de la seule impulsion de notre cœur, il était de notre ferme intention de leur faire un sort conforme aux besoins de l’époque, aux intérêts et à la dignité de la nation ». On peut ici croire avec Gilles Deleuze qu’« une communauté est saine tant que règne une sorte de consensus qui lui permet de se faire des illusions sur elle-même, sur ses motifs, sur ses désirs et ses convoitises, sur ses valeurs et ses idéaux : illusions « vitales », illusions réalistes plus vrais que la vérité pure »[35]. Comme texte politique, et surtout, normatif, le texte constitutionnel entame donc une tradition essentielle d’écriture de l’histoire nationale. Selon Roger Muchielli, « le rêve de la Cité libérée, porté par le mythe de la Cité idéale, s’enracine profondément dans le sentiment de la Nation »[36], ce que semblent avoir parfaitement compris les constituants, tandis que l’écriture juridique avait depuis longtemps révélé sa capacité de « constitution » de ce dont elle parle : le droit institue ce qu’il dit, c’est bien connu.
Un peu étrangement, les expressions de « roman national » ou de « récit national » et de « Constitution » ne sont pas si souvent associées[37], tandis que la notion de « roman d’Etat » est au contraire appliquée à l’utopie[38]. L’idée de roman national trouve son origine dans les modalités du récit de l’histoire nationale[39]. En ce sens, il est un « formidable vecteur de diffusion d’une vision nouvelle du passé »[40]. Associé à l’idée qu’un modèle – la constitution étant souvent donné comme tel – « est un puissant opérateur d’histoire »[41], le texte constitutionnel paraît être le meilleur espace de la maîtrise des éléments constitutifs du récit national (frontières, couleurs, langues, voire éléments historiques, etc.) mais tellement visible qu’il oblige le plus souvent à des compromis dans son élaboration comme n’aurait pas pu mieux l’illustrer le processus d’élaboration de la Constitution espagnole de 1978. L’espace plus confidentiel de la rédaction des manuels d’histoire autorise moins de compromis et peut-être donc moins de « modération » et une opération de sélection plus libre et restrictive. L’utopie est largement dépassée, qui n’a pas d’histoire, contrainte avec laquelle, en dépit d’un espoir entretenu de la possibilité d’une tabula rasa, le genre constitutionnel doit composer, quoi qu’il arrive.
* Le moyen de l’éducation et de la pédagogie. En tout état de cause, même si des concepts impliquant l’unité de la nation peuvent jalonner les textes constitutionnels, il demeure une différence importante avec le genre utopique dans le fait d’une prise directe de la constitution avec la configuration sociale, économique et politique existante : ainsi, des « groupes » ayant objectivement des intérêts distincts ne peuvent-ils « comme par magie » disparaître au profit de l’Unité, sauf à dénaturer le discours constitutionnel. Le « travail » de la Constitution elle-même (et dans son application), apparaît donc comme une tâche inhérente au genre. Cette entreprise apparaît plus ou moins consciente et plus ou moins réussie : Marie-Bénédicte Vincent souligne ainsi la difficulté de la République de Weimar à faire de sa Constitution un « livre populaire », en raison d’un « vide de symbolique républicaine de Weimar », comparée à « la richesse de l’imagerie républicaine française »[42]. Alors que chez les utopistes l’éducation et la pédagogie offrent « la meilleure prise d’action directe sur le matériel humain afin d’uniformiser les consciences »[43] dans le sens d’une absence de différenciation sociale, elles apparaissent aux yeux des constituants comme un moyen de provoquer l’adhésion à la fiction du récit national et à l’intérêt de la nation toute entière. Aussi le thème de l’éducation est-il présent dans presque toutes les constitutions dès les premiers textes constitutionnels, à l’instar de la première constitution de Suède en 1720[44]. La Constitution polonaise de 1791 organise elle 4 commissions destinées à conseiller le roi, en matière de police, de guerre, de trésor, et enfin d’éducation, celle-ci étant en réalité citée en premier (titre VII). Et cette commission, indique le titre X consacré à l’éducation des princes royaux, devra « rédiger pour eux, sous l’approbation des états, un plan d’instruction, et cela afin que, d’après des principes constants et uniformes, les futurs héritiers du trône se pénètrent de bonne heure des sentiments de religion, de vertu de patriotisme, d’amour de la liberté et de respect pour la Constitution nationale », disposition intéressante puisque montrant que les premières constitutions avaient sans doute surtout pour vocation de faire « aimer » la nation constitutionnelle aux gouvernants dont l’exercice du pouvoir ne devrait plus être arbitraire et despotique. La première constitution française prévoyait elle qu’ « il sera fait une loi pour régler l’éducation du roi mineur, et celle de l’héritier présomptif mineur » (dans le titre II sur les pouvoirs publics). Plus solennelle, mais dans le même esprit, la constitution Helvétique de 1798 demande à tout citoyen, à l’âge de vingt ans accomplis, de « se faire inscrire sur le registre civique de son canton, et de prêter le serment : ‘De servir sa patrie et la cause de la liberté et de l’égalité, en bon et fidèle citoyen avec toute l’exactitude et le zèle dont il est capable, et avec une juste haine contre l’anarchie et la licence » (article 24).
Le principe de l’éducation à la nation comme inhérente au genre constitutionnel n’est-il pas aujourd’hui obsolète au regard des évolutions du genre ? L’article 24 de la Constitution du Portugal de 1976 ne dit-il pas en effet que « L’État ne peut programmer l’éducation et la culture selon des directives philosophiques, esthétiques, politiques, idéologiques ou religieuses » ? Cela signifierait qu’il n’est pas possible de « former à la constitution » et à la nation qu’elle institue, et éventuellement fantasme, sauf à imaginer qu’elle serait neutre. Les évolutions du genre constitutionnel sont précisément allées dans le sens de cette conception un peu utopique – au sens commun et contemporain de l’usage du terme – de la neutralité de la norme.
- Le « genre constitutionnel » à maturité (le « néoconstitutionnalisme ») : une évolution « mécaniciste » – et donc utopistique
L’épopée constitutionnaliste a traversé l’Europe tout le long du XIXè siècle jusqu’à l’aube du XXIè siècle et le monde entier s’est trouvé touché : pas un Etat contemporain ou presque qui n’ait aujourd’hui sa Constitution. Beaucoup des Etats ont pensé par là accéder à un idéal démocratique qui, abouti ou non, a semblé avoir épuisé l’utilité du recours à des récits utopiques partiellement réalisés par le biais des régimes constitutionnels. Dans le même temps, ou presque, mais pas sans raison, les sciences sociales se sont développées dans un « esprit scientifique » dont le droit et le droit constitutionnel ne sont pas sortis indemnes : avec la scientifisation et la technicisation des sociétés, les normes juridiques ont été conçues comme pur instrument technique de réalisation d’idéaux conçus séparément. La dissémination du genre constitutionnel et ce qu’on appelle couramment la globalisation du monde ont ainsi été des facteurs d’évolution continue du genre constitutionnel dans le sens d’un « objectivisme » permettant d’étayer l’hypothèse d’une ingénierie constitutionnelle. Il se trouve que l’un des caractères essentiels de l’utopie est la régularité, quasi mécanique et horlogère: « le fonctionnement interne de l’univers utopique doit être impeccable comme celui d’un mécanisme d’horlogerie, prêter le moins possible à la fantaisie, à l’exception »[45]. En général, l’utopiste « fait de la loi un véritable mythe, il est institutionnaliste convaincu et c’est pourquoi il est à la recherche du meilleur des mondes possibles obtenu par un jeu subtil et compliqué de règlement et d’obligations »[46]. Le trait principal du développement de l’ingénierie constitutionnelle est de « laver » le texte constitutionnel de sa valeur de récit, au profit d’une conception du texte comme mode d’emploi, guide technique de réglementation universelle de la société politique et juridique. A cette nouvelle manière de concevoir la constitution donne les noms de patriotisme constitutionnel et de néoconstitutionnalisme, qui en réalité masquent une transformation du genre constitutionnel en performance constitutionnelle.
* La normalisation technique et universalisante du genre constitutionnel. La constitution comme mode de structuration du pouvoir tend à ne plus être pensée que comme tel, coupée de l’aspect originel du récit de la meilleure cité pour une société donnée, incarnée par des valeurs historiques données. La perméabilité sociale du texte constitutionnel s’estompe. En Europe, cette réflexion se déploie au niveau d’abord de la théorie juridique, qui devient parfaitement positiviste – voire scientiste – puis au niveau des premières institutions européennes de promotion de la démocratie et de l’Etat de droit, dont le Conseil de l’Europe est l’incarnation dès 1949. On tend ainsi à privilégier les dispositions numérotées sur le récit constitutionnel fondateur, en considérant les premières comme véritablement importantes. En bref, on tente d’ériger un constitutionnalisme de raison contre un constitutionnalisme des passions[47]. Est ainsi recherchée une certaine « neutralité constitutionnelle », l’aspiration souvent non dite à des règles à la valeur univoque : le contrôle de constitutionnalité des lois réalisé dans des conditions objectivement organisables partout serait ainsi, en soi, un gage de réalisation d’un bon régime. Exit donc toute idée de récit constitutionnel. Seuls les mécanismes effectivement organisés par le texte constitutionnel comptent. C’est ainsi que, à son corps défendant sans doute, Jurgen Habermas, empruntant l’expression à Dolf Sternberger[48], élabore la théorie du patriotisme constitutionnel, version philosophique la plus élaborée de l’ingénierie constitutionnelle rampante depuis la moitié du XXè siècle. Par cette théorie, il s’agit que « les citoyens d’une république s’identifient avec l’esprit et avec les principes de leur constitution, parce qu’ils ont appris, à partir du contexte historique de leur pays, à considérer cette constitution comme une conquête »[49]. Clairement donc, « la théorie du patriotisme constitutionnel avance une conception de l’identité collective qui rompt avec une conception de celle-ci fondée sur le récit d’une histoire nationale et promeut des valeurs universalistes prennent forme dans l’Etat démocratique constitutionnel »[50]. Le patriotisme constitutionnel correspondrait à une « tentative d’édification d’un ‘universel concret’, pour reprendre la formulation hégélienne, c’est-à-dire une réconciliation entre la concrétude propre à toute collectivité nationale et les principes universels défendus par l’Etat de droit et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen »[51].
Ce qu’il y a d’intéressant dans cette proposition du patriotisme constitutionnel est la rupture assumée avec la question du récit national incarné par les constitutions, dont le développement et l’existence n’avaient de toute évidence pas empêché, voire pouvait-on penser parfois, avait entraîné, les multiples pratiques et régimes inhumains de la première partie du XXè siècle. Il est étonnant pourtant que les aspirations et inspirations mécanicistes et organiques des promoteurs de la destruction d’êtres humains, n’aient pas été plus réfléchies par la suite : en effet, la conception prétendue neutre des techniques juridiques, à laquelle le corpus constitutionnel n’a pas échappé, répond à peu de choses près aux mêmes dogmes d’une conception organique, biologique et technologique ayant eu cours dans différents endroits de la planète et occasionnant des destructions humaines massives. Alors que « c’est dans le sentiment de rupture avec les tendances ayant favorisé le nazisme et dans les valeurs de l’ordre libéral d’après-guerre que Habermas veut ancrer la mémoire des allemands »[52], il entend promouvoir un universalisme qui ne tient pas nécessairement compte de l’histoire. Tandis que d’un côté, un discours naturaliste sur les droits se propageait, les moyens affichés pour y parvenir prétendaient à un absolu universel que seules finalement des règles techniques étaient en mesure de promouvoir. Lorsque donc les institutions internationales et régionales se sont imposées comme promoteurs d’un discours politique et normatif particulier, elles ont aussi promu ce qui se répandait depuis plusieurs décennies partout dans l’espace social : une apologie de la technique et de l’efficacité[53]. L’idée d’ingénierie constitutionnelle s’est faite alors jour, sur la base de laquelle de nombreux « guides de conduite » et « modes d’emploi » ont pu être produits, amenant le genre constitutionnel tout droit vers celui du discours normalisant d’entités à la vocation universalisante.
La production la plus intéressante et la plus achevée est évidemment celle de la fameuse Commission Européenne pour la Démocratie par le Droit dite « Commission de Venise », née en 1990 dans le cadre du Conseil de l’Europe spécifiquement pour assister les nouveaux Etats indépendants issus du bloc soviétique à adopter des constitutions les faisant entrer dans les « standards » du régime démocratique. L’idée de « standard » a été très utilisée depuis une quarantaine d’années, analysée aussi[54], dans le cadre de ce qu’on a appelé plus tard le néoconstitutionnalisme[55], ignorant en partie cette perversion et cette totalisation mécanisante sous le prétexte de la morale et de la démocratie. Les analyses savantes et souvent « internes » à la discipline, quoique la faisant entrer de plain-pied dans le comparatisme, ont peu souvent mis en avant les changements impliqués dans le genre constitutionnel et la similitude avec d’autres secteurs de la vie sociale. On est ainsi plutôt frappé par une certaine communauté de langage entre le secteur assumé de la normalisation qu’incarnent les normes ISO, et le langage de la Commission de Venise, et en général des institutions ayant vocation à définir les « standards » constitutionnels, au rang desquels les Nations Unies figurent désormais en bonne place : sont ainsi produits[56], en plus des classiques rapports, avis et études – qui ne sont plus depuis longtemps l’apanage des institutions publiques, des « guides » et « lignes directrices »[57], « codes de bonne conduite »[58], « listes de critères » ou « indicateurs »[59], tous destinés à produire un « meilleur » régime constitutionnel.
* Du genre à la performance constitutionnelle. La constitution, pour être efficace, doit être considérée d’un point de vue plus « technique ». A la recherche probable d’un graal de l’efficacité constitutionnelle, la réflexion autour des meilleures techniques constitutionnelles – et non plus des meilleures constitutions et régimes – s’affine de plus en plus, se sophistique, et s’universalise, coupant la réflexion constitutionnelle de la société elle-même. Comme les meilleures techniques de management, sont également produits des « outils d’auto-évaluation » auquel les Etats sont invités à recourir[60]. La littérature constitutionnelle devient ainsi « cadrée » par un ensemble de normes techniques standardisées, d’accès normalisé pour les Etats, dirigeants et responsables divers à qui on donne des « outils de gestion » : en ce sens, les Indicateurs de l’état de droit des Nations Unies et le Guide qui les supporte « s’inscrivent, comme le Guide lui-même l’écrit dans son introduction, dans le cadre d’un nouvel ensemble d’approches empiriques utilisées pour mesurer les points forts et l’efficacité des institutions chargées de l’application des lois, de l’appareil judiciaire et des établissements pénitentiaires »[61]. Les indicateurs sont numérotés et, naturellement, des systèmes de suivi de la performance de telle ou telle institution sont mis en place qui aboutissent à leur notation[62]. Dans ce contexte, la capacité imaginante de l’écriture constitutionnelle est réduite presque à néant, sauf pour les institutions à élaborer un nouveau mécanisme technique astucieux qui pourrait alors prétendre à la qualité de standard, par le biais de ces échanges de « bonnes pratiques ».
C’est donc cette « normalisation » de la technique constitutionnelle qui prend le nom de néoconstitutionnalisme et se pare des vertus du dialogue des juges et des institutions. Le trait le plus important de cet irrésistible chemin de la normalisation du discours constitutionnel est le développement très important de la justice constitutionnelle, dans un cadre d’échange et de globalisation, qui serait le garant d’une « juridicité » – entendez d’une neutralité – de la norme constitutionnelle. Cet aspect tout à fait insensé du projet – faire croire à la neutralité du droit – a pourtant eu un succès pour le moins retentissant : des patrouilles de constitutionnalistes se sont mises au service de cette neutralité salvatrice, les institutions internationales ont organisé la justice constitutionnelle partout où elles le pouvaient, et les organes de la justice constitutionnelle ont déroulé leur lecture techniciste des textes constitutionnels : ni romantisme du texte, ni légende, mais des principes et règles juridiques tangibles, au moins dans ce méta discours offert à qui voulait[63], performant[64]. Il est malaisé de prétendre absolument que ceci explique cela, mais il est nécessaire de s’interroger : à la normalisation des règles constitutionnelles et à l’abandon partiel du genre constitutionnel des origines, semblent aujourd’hui succéder une « re-nationalisation » du discours et une tendance à l’insularisation du récit constitutionnel réhabilité.
- L’insularisation constituante à l’époque contemporaine : le genre constitutionnel devenu utopie
Le récit utopique se caractérise d’abord par l’insularisme du monde qui est décrit, un « cosmos miniaturisé » où les lois échappent au « champ magnétique du réel »[65]. L’insularisme dont il est question dans le genre utopique a pour lui de faciliter l’action institutionnelle et la non contamination par des éléments imperméables à la réussite du projet. Il est intéressant de remarquer que le genre constitutionnel semble aujourd’hui être instrumentalisé dans le sens d’une fermeture au monde extérieur, la capacité constitutionnelle étant le symbole de cette fermeture.
Les théories et idéologies véhiculées par les institutions internationales et européennes à propos de l’écriture et de l’agir constitutionnel ont eu sans conteste une influence sur les textes en cours de rédaction à travers le monde. L’ensemble des textes adoptés à la suite de l’effondrement du « bloc soviétique » ont été très fortement influencés et assistés techniquement par les « pèlerins constitutionnels »[66] de la vieille Europe et du nouveau continent, qui ont parfaitement bien reproduit les dogmes européens de la technique constitutionnelle, même légèrement mâtinés des traditions et institutions juridiques locales. Comme je l’ai indiqué dans un texte précédent, « en portant seulement l’attention sur la signification des énoncés constitutionnels, ce qui a pour conséquence de faire de l’écriture de la constitution une technique particulière, on ne peut que maintenir l’ignorance de ce qui justement ne s’écrit pas »[67]. L’accent qui a alors été mis sur l’organisation de mécanismes et techniques visant à assurer l’efficacité des règles constitutionnelles a eu comme effet réel – mais presque complètement négligé par les juristes constitutionnalistes – d’affaiblir la portée du discours constitutionnel comme facteur d’un bon ou du meilleur régime. Le développement extraordinaire des textes constitutionnels à travers le monde montre toutefois le maintien de la croyance dans la possibilité de ce meilleur régime. Une autre manière d’envisager le texte constitutionnel comme facteur possible de cet idéal devait donc en quelque sorte logiquement refaire surface, parce que, tout simplement, aucune identité narrative universelle n’est possible. Le genre constitutionnel ne semble pas pouvoir exclure la singularité du récit constitutionnel.
Résolument, une constitution semble demeurer un écrit politique de situation, touché par les mouvements intellectuels implicites ou explicites traversant les sociétés, et qui ont toujours des répercussions littéraires identifiables. Il n’est maintenant plus un secret que ce qui peut s’analyser comme un mouvement où les lois du capitalisme tendent à s’imposer partout au moyen d’une vision en apparence désidéologisée des relations et activités sociales[68], s’accompagne aujourd’hui de « réactions », parfois violentes, tendant à la désuniformisation. Le genre constitutionnel s’en fait incontestablement l’écho, en infiltrant, par tous ses bords, le texte constitutionnel universalisé de considérations spécifiquement nationales, par le recours à une histoire singulière, des coutumes ou des mœurs locales et nationales. Le genre constitutionnel tend ainsi à être ou un écrit de propagande et de promotion, ou un écrit culturel qui tend fortement à singulariser l’Etat.
Les textes constitutionnels les plus récents font ainsi de manière presque inédite la part belle à des préambules très longs, très historiques, très nationalistes, très culturels, très religieux parfois. Les exemples de la constitution de la Hongrie de 2011 et des trois textes nord-africains adoptés à la suite du Printemps arabe ne peuvent mieux l’illustrer. Ces textes constitutionnels tendent à recréditer la parole symbolique en forme d’arme et de protection contre le cours du temps et des choses : la stylistique demeure globalement inchangée mais ses préambules s’étoffent et visent à marginaliser l’ensemble constitutionnel national, un exemple plus ancien en la matière pouvant être trouvé dans la Constitution de la République populaire de Chine, véritable récit idéologique, nationaliste et donc insularisant[69].
Ainsi, le préambule d’une Constitution, lorsqu’il existe – et il tend à plus exister aujourd’hui qu’hier – n’est pas une « enclave imaginaire »[70] mais bien un élément essentiel de la Constitution toute entière. La Constitution hongroise de 2011 commence par une Profession de foi comprenant l’énoncé d’une mythologie historique (« Il y a 1000 ans… ») et se poursuit par l’exposé d’un état des choses fondant la Constitution : « Nous croyons que notre culture nationale est une riche contribution à l’unité européenne dans la diversité ». La voie à suivre est alors exposée, qui tend à fonder l’essentiel de la Constitution et surtout, à la suite, les normes adoptées par des autorités au service de cette constitution[71] : « Nous croyons qu’un renouveau intellectuel et moral est absolument nécessaire, après les décennies du vingtième siècle qui ont conduit à la décadence morale et Nous avons confiance en un avenir bâti en commun et dans l’engagement des jeunes générations. Nous croyons que nos enfants et nos petits-enfants rendront la Hongrie plus grande encore par leur talent, leur persévérance et leur force morale ». L’histoire « racontée » et « proposée » ici est le résultat d’un processus de sélection et de transformations de faits plus ou moins historiques dont la capacité de cristallisation idéologique apparaît forte. Déjà la Bulle d’Or hongroise de 1222 avait en quelque sorte « fabriqué » les premiers éléments de cette histoire. Les hongrois n’ont en effet originellement aucune unité ethnique. C’est la puissante royauté qui élabore au XIIIè siècle le mythe de l’unité nationale par la création d’une généalogie officielle à partir de la dynastie des Huns dont la Bulle d’Or se fait le premier raconteur officiel[72].
L’analogie avec le préambule de l’une des premières constitutions en Europe est patente, celle de la Suède en 1772, qui commence également par un récit historique, suivi d’un exposé du projet et des valeurs de la société[73]. Comme dit dans une étude précédente, « l’imagination à laquelle il est recouru est au service de l’idée de raconter la réalité telle qu’elle ne peut pas se dire par l’observation de ses éléments matériels, c’est-à-dire implicitement, dans ce qui fait lien entre ces différents éléments, même si ces liens sont fantasmés. Ce qui importe est que le fantasme soit partagé »[74].
Les préambules des constitutions adoptées au Maroc en 2011, en Egypte en 2014 et en Tunisie également en 2014, comprennent tous de longs développements, destinés sans doute à légitimer le processus constituant mais qui ont surtout pour effet d’incarner le caractère unique et riche de la nation, souverain et indépendant : c’est avec « Nous écrivons maintenant une Constitution qui préserve nos libertés et protège notre nation contre tout ce qui la menace ou qui menace notre unité nationale » et « nous, le peuple d’Egypte, souverain dans une patrie souveraine, voici la manifestation de notre propre volonté. Voici la Constitution de notre révolution », que s’achève le préambule de la Constitution d’Egypte. Le préambule de la Constitution du Maroc contient quant à lui beaucoup de développements à tendance humaniste, qu’il assoit cependant sur un socle national solide comme si l’un et l’autre étaient indissociables, rejet implicite et pas nécessairement conscient d’un universalisme neutre de la règle constitutionnelle : « le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».
Le rapprochement de ces différents textes montre que le biais de l’ingénierie constitutionnelle – quoique toujours très présente dans les textes contemporains, pourrait apparaître comme un potentiel détour de l’histoire. Et lorsqu’aucune constitution nouvelle n’est écrite, il existe très clairement une volonté d’interprétation du texte constitutionnel ancien adaptée au contexte national entendu dans un monde plus grand et plus inquiétant, quitte à sur-interpréter et sur-évaluer un peu le contexte en question. L’idée de « nationalisme constitutionnel »[75] comme genre pourrait ainsi s’appliquer à quelques situations contemporaines en Europe, dont évidemment le « groupe de Visegrad » emmené par une Hongrie déjà au faîte d’une renationalisation du genre constitutionnel, est parfaitement emblématique : qu’il s’agisse de la République tchèque dont la cour constitutionnelle défie l’Union Européenne et son droit[76], de la Pologne dont les révisions constitutionnelles défiant tous les standards véhiculés par les institutions européennes[77] ou de la Croatie qui réhabilite le titre 1er de sa constitution sans préambule pour lui donner une valeur idéologique et anti-européenne prononcée[78]. Les exemples sont sans doute destinés à se multiplier. Le « genre constitutionnel » s’affiche ainsi comme un positionnement politique critique face à une situation mondiale et historique particulière.
Il ne faut évidemment pas ignorer que cette tendance à l’insularisation constitutionnelle n’a pas encore complètement gagner ni l’Europe ni le Monde (et encore moins beaucoup de constitutionnalistes très attachés au dogme du genre constitutionnel « neutre »), mais les discours politiques autour des constitutions sont de plus en plus imprégnés de cette « réaction » nationaliste, faisant des textes constitutionnels de véritables éponges capricieuses des temps politiques. L’avenir du genre constitutionnel est donc des plus incertains, pris entre les feux d’une technologie universaliste que l’on n’est pas prêt à abandonner et l’espoir d’un discours humain et proprement politique. L’héritage du genre utopique aurait ainsi laissé la place à une impossibilité structurelle des visées du récit constitutionnaliste.
L.F. 15 septembre 2017
[1] On parlerait de roman à partir de 40 000 mots environ, ce qui place les Constitutions dans leur ensemble en-dessous de cette catégorie (la Constitution indienne de 1950 contient cependant plus de 70 000 mots dans la langue anglaise, la Constitution du Brésil de 1988 en contient environ 54 000 en portugais, et celle de Bolivie de 2009 près de 40 000 en espagnol). Mais l’exemple souvent cité de l’ouvrage d’Ernest Heminguay, Le vieil Homme et la Mer, qui comprend 26 000 mots, permet d’interpréter plus librement la notion volumique de roman. Relevant plus du volume de la nouvelle, voire du conte avec lequel il présente beaucoup de traits communs (voy. plus loin), le texte constitutionnel quoiqu’il en soit connaît un allongement historique constant : en France, la moyenne des textes constitutionnels avant 1958 est de 5000 mots – mais la première Constitution de 1791 en comprenait plus de 11 000 – tandis que le texte de la Vè République est aussi à plus de 11 000 ; la première Constitution de Pologne en 1791 comptait à peine plus de 5000 mots tandis que la Constitution de 1997 comporte près de 20 000 mots ; la première constitution lituanienne de 1922 contenait un peu plus de 4600 mots tandis que celle de 1992 en comprend près de 13 000. Ces chiffres apparenteraient donc les textes constitutionnels plus à la nouvelle, voire au conte, qu’au roman.
[2] Même s’il convient de remarquer qu’un tiers des Constitutions observées pour cette étude (101, voy. note 5) ne comprend pas de préambule.
[3] Voy. sur la notion de « genre constitutionnel », qui pourrait faire relever les Constitutions d’un genre littéraire spécifique, A. Jussiaume, « Existe-t-il un genre littéraire constitutionnel ? », Revue d’Histoire des facultés de droit, 2011, n° 3, p . 181 et s.
[4] Une liste qui comprend la plupart des Constitutions contemporaines et historiques des pays européens (Allemagne, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Estonie, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Tchécoslovaquie), les constitutions contemporaines de quelques pays de l’Amérique du Sud et du Nord (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Etats-Unis), d’Afrique du Nord (Egypte, Tunisie, Maroc, et d’Asie (Inde, Chine, Japon). La prégnance de l’Europe s’explique essentiellement par le fait que, Etats-Unis mis à part, c’est bien le continent de naissance des premières constitutions historiques, qui explique d’ailleurs en partie la problématique de la diffusion uniformisée et uniformisante du constitutionnalisme à l’époque contemporaine à l’échelle du monde entier.
[5] Les pays qui ont connu plusieurs constitutions n’ont pas nécessairement instauré de continuité constitutionnelle sur la forme : par exemple, la Suède, connue pour avoir adopté la première Constitution politique en Europe en 1720, y avait alors un long préambule, à l’instar de celles de 1772, 1778 et 1809, tandis que celle de 1866 contient un très court préambule qui ne vise qu’à identifier l’auteur de la Constitution, et que celle encore en vigueur de 1974 n’en contient plus du tout. Les préambules des Constitutions françaises (celle de l’an VIII n’en contient pas et ceux de 1795, 1830 et 1852 sont purement formels), sont d’une très grande diversité. On note seulement une constance en Roumanie et au Danemark qui n’ont jamais fait précédé leurs dispositions constitutionnelles numérotées d’un quelconque préambule (4 textes pour la Roumanie et 3 textes pour le Danemark).
[6] Voy. encore Anne Jussiaume, évoquant la possibilité de dégager des caractéristiques, des « détails » pour employer son vocabulaire, sémantiques, linguistiques, syntaxiques et para-textuels aux différents textes constitutionnels, « Existe-t-il un genre littéraire constitutionnel ? », op. cit.
[7] C’est l’éternelle problématiques de l’existence ou non d’un patrimoine juridique continué par chaque nouvelle Constitution : sur les termes de cette question, voy. J. Hummel, « Les préambules de constitution : une forme du « genre littéraire utopique » ?, Revue d’Histoire des Facultés de Droit, 2011, n°31, p. 203.
[8] A. Le Divellec, « Le style des constitutions écrites dans l’histoire moderne. Une esquisse sur les trois types d’écriture constitutionnelle (XVIIè – XXè siècle) », Jus Politicum, n°10, 2013.
[9] On peut citer par ex. les analyses de Armel Le Divellec, Anne Jussiaume et Jacky Hummel précitées. D’une manière générale l’analyse stylistique du droit (comme en général les analyses extra-juridiques du droit), n’a jamais concerné les textes constitutionnels, sauf par évocation (il n’y a rien sur la Constitution par exemple dans l’ouvrage de Gérard Cornu, Linguistique juridique, Montchréstien, 3è éd., 2005). De la même manière, le droit « dans la littérature » est presque toujours judiciaire, pratiquement jamais constitutionnel. Etrangement, l’objet « Constitution » demeure ainsi un objet très largement en-dehors de la sphère d’analyse du social, comme les 2 colloques organisés à la Sorbonne Nouvelle sur les perceptions extra-juridiques de la Constitution et les analyses extra-juridiques du constitutionnalisme en octobre 2015 et juin 2017 ont pu l’illustrer (Voy. à ce propos le texte de L. Fontaine, N. Forster, O. Peiffert et T. Racho, Penser la constitution à partir de ses approches extra-juridiques, http://www.ledroitdelafontaine.fr/rubrique/les-constitutions/). Le colloque sur les analyses extra-juridiques du constitutionnalisme a montré en revanche que l’on pouvait « chercher » à identifier la Constitution au travers d’expériences littéraires (Marcelo Raffin, La Constitution de la nation en Argentine à travers la fiction littéraire) ou artistiques (Gérard Bras, L’homme qui tua Liberty Valance), voy. « Du discours au récit constitutionnel : analyses extra-juridiques du constitutionnalisme », Premières impressions et premières images, http://www.ledroitdelafontaine.fr/du-discours-au-recit-constitutionnel-analyses-extra-juridiques-du-constitutionnalisme-premieres-impressions-et-premieres-images/
[10] Mais, voy. par ex. Robert Cover dans F. Michaut dans Le droit dans tout ses états à travers l’œuvre de Robert M. Cover, éd . L’Harmattan, 2001.
[11] P. Ricoeur, Temps et récit 1, Paris, Seuil, 1983.
[12] J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur cette question de la prise en compte sérieuse et systématique du contexte pour l’approche du droit constitutionnel, dans « Le texte constitutionnel est toujours un contexte. Quels outils pour « lire » les constitutions ?, version remaniée du texte publié en 2014 dans Une Constitution, pour quoi faire ?, Budapest, en ligne : http://www.ledroitdelafontaine.fr/le-texte-constitutionnel-est-toujours-un-contexte/
[13] Voy. son texte, « Droit et littérature. Eléments pour la recherche », paru dans le numéro inaugural de la revue Droit et Littérature, 2017.
[14] Donnant ainsi naissance à de véritables mythes et dogmes. Voy. par ex. B.Lecoq, Les fondements mythiques du droit constitutionnel français. A propos du mythe de la « volonté générale », texte disponible sur le site de l’AFDC, congrès de Lyon, 2014 : http://www.droitconstitutionnel.org/congresLyon/CommLE/E-lecoq_T2.pdf
[15] Voy. pour un excellent panorama de la question aux Etats-Unis l’intervention de Françoise Michaut, « Le mouvement Droit et Littérature » dans le développement d’une science du droit aux Etats-Unis » lors du colloque « Droit et Littérature » organisé à l’ENS – Ulm en 2012 et publié dans la revue Clio@Thémis, 2014, n° 7 (www.cliothemis.com ).
[16] Voy. à propos des premiers textes écrits analysables comme des constitutions la thèse de Charles Reiplinger, Naissance de la constitution écrite : la constitution des corps politiques en Angleterre et en Amérique du Nord aux seizième et dix-septième siècles, Paris II, 2004, et du même auteur, « Les Fundamental Orders du Connecticut, première constitution écrite effective en Amérique du Nord », Jus Politicum, 2008, n°1.
[17] T. More, De optimo rei publicae statu, deque nova insula Utopia, Louvain, 1516, traduit par « L’Utopie ou le traité de la meilleure forme de gouvernement, GF – Flammarion, 1987.
[18] Raymond Trousson indique que « l’utopiste, constatant ce qui est, se sent obsédé par un ‘devoir-être’ », Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Ed. de l’Université de Bruxelles, 3è éd. revue et augmentée, 1999, p. 14.
[19] Du point de vue formel, le genre conte présente une particularité notable qui pourrait inviter à une réflexion sur la parenté que le genre constitutionnel pourrait entretenir avec lui : il est en effet le seul des genres littéraires de type oral « qui soit passé dans la littérature dite savante » (Jean Marcel, Jacques Ferron malgré lui, éd. du Jour, Montéal, 1970, p. 52), ce qui est d’une certaine manière aussi un trait de l’écriture constitutionnelle, qui n’invente pas en tant que telle la norme constitutionnelle, mais le genre littéraire écrit. Ce n’est pas tant le seul principe du passage de l’oral à l’écrit qui importe ici, puisque c’est là un trait caractéristique des évolutions du droit en Europe depuis la toute fin de l’Empire romain, mais le fait que ce passage concerne l’idée d’une réflexion entre le constat d’une société telle qu’elle est et la possibilité d’une société telle qu’elle pourrait (le conte) ou devrait être (l’utopie). Le « droit » constitutionnel a ceci de particulier qu’il vise, en peu de mots, à l’organisation sociale toute entière, comme, en peu de mots, le conte prodigue une fable déformante de la réalité, entraînant toutefois une « sorte très particulière d’adhésion faite d’une croyance absolue et d’un scepticisme averti » (J. Demers et Lise Gauvin, « Autour de la notion de conte écrit : quelques définitions », dans Etudes françaises, 1976, n°1-2, pp. 160-161). En d’autres termes, « pour créer l’illusion du vrai, et c’est là le seul but du conteur, il convient de faire appel à un sentiment de la réalité ». L’écriture du conte n’empêche pas que « le conteur parle seul, il est la substance même de son récit », ce qui rend l’analogie avec le texte constitutionnel plus patente dans la mesure où c’est l’auteur de la constitution qui parle seul, qu’il soit un gouvernant (un roi, un empereur) ou le peuple lui-même. Le passage à l’écrit que réalise le genre conte doit certainement donc être pris en considération dans l’analyse de la naissance et des origines du genre constitutionnel. Puisque le conte fait d’une certaine manière croire à sa propre réalité, puisqu’il est une « élaboration de l’événement par le jugement du conteur, en substance communicable et directement assimilable au jugement d’autrui », il fait du même coup croire aussi à la vertu de l’écrit comme facteur de succès d’une vision politique et sociétale nouvelle, ce qui est autre chose en soi que le fait d’écrire les règles de droit.
[20] P. Moreau, Le récit utopique. Droit naturel et roman de l’Etat, PUF, 1992, p. 18.
[21] Francis Bacon écrit New Atlantis (La nouvelle Atlantide) en 1624, qui paraît à Paris en 1627 après sa mort.
[22] Jacky Hummel évoque à ce sujet les propos de Jérémy Bentham (en se référant sur ce point à E. de Champs, La ‘déontologie politique’ ou la pensée constitutionnelle de Jérémy Bentham, Paris, Genève, Droz, 2008) pour qui « l’écriture constitutionnelle, dans son sens le plus littéral, n’est rendue possible qu’au terme d’une réflexion menée sur les rapports entre le langage, la raison et la volonté », qui « voyait dans la clarté du droit un de ses mérites primordiaux car le droit doit être l’expression claire de normes rationnelles et permettre ainsi une diffusion plus aisée et plus efficace de la volonté du souverain », op. cit., p. 208.
[23] Raymond Trousson propose de parler d’utopie « lorsque, dans le cadre d’un récit (ce qui exclut les traités politiques), se trouve décrite une communauté (ce qui exclut la robinsonnade) organisée selon certains principes politiques, économiques, éthiques, restituant la complexité de l’existence sociale (ce qui exclut le monde à l’envers, l’âge d’or, Cocagne ou l’arcadie), qu’elle soit présentée comme idéal à réaliser (utopie positive) ou comme la prévision d’un enfer (anti-utopie), qu’elle soit située dans un espace réel, imaginaire ou encore dans le temps, qu’elle soit enfin décrite au terme d’un voyage imaginaire vraisemblable ou non », op. cit., p. 24.
[24] Jacky Hummel, op. cit., p. 204.
[25] J.-M. Denquin, « Situation présente du constitutionnalisme. Quelques réflexions sur l’idée de démocratie par le droit », Jus Politicum, 2008, n°1, p. 1.
[26] J. Hummel, op. cit., p.220. La tentation d’assimiler le genre constitutionnel à des tentatives de réalisation de l’utopie est récurrente chez les observateurs ;
[27] Pour sonder les traits généraux de l’Utopie – la bibliographie en la matière est immense – je me fonde principalement sur l’ouvrage devenu classique de Raymond Trousson, Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, op. cit.
[28] R. M. Cover, texte traduit par Françoise Michaut dans Le droit dans tout ses états à travers l’œuvre de Robert M. Cover, op.cit., p. 120.
[29] R. Trousson, op.cit., p. 19.
[30] Ibid., p. 16.
[31] Article 36 : « Le Grand Gouverneur doit veiller sur le Château et la Maison du Roi dans l’enceinte de Stockholm, et en qualité de Chef de la ville et de la Bourgeoisie, il aura l’œil conjointement avec le Magistrat au Gouvernement de la ville et des Faubourgs, au bon ordre de la Police, aux Privilèges, Bâtiments publics, Revenus, Commerce, et autres choses de cette nature : Il doit défendre la Bourgeoisie contre toutes sortes de violences, oppression, et injustices ; prendre connaissance des Revues et des armes des Bourgeois, garder soigneusement les effets précieux de la Couronne qui se trouvent à Stockholm, en sorte qu’ils ne soient ni diminués ni détériorés ; de plus c’est à lui à faire en sorte que toutes les exécutions aient leur plein effet, et à s’acquitter des autres devoirs attachés à cette charge. »
[32] Article II (« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression »), Titre 1er, Dispositions fondamentales garanties par la Constitution (« La constitution garantit l’inviolabilité des propriétés ou la juste et préalable indemnité de celle dont la nécessité publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice »), Titre III, des pouvoirs publics, Chapitre 2 de la Royauté, de la Régence et des Ministres, Section Des Ministres, article 5 (« Les ministres sont responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté nationale et la constitution ; – de tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle»).
[33] A.-B. Anguissola, Ombres de l’Utopie. Essais sur les voyages imaginaires du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, coll. « L’atelier des voyages », 2011, p. 91.
[34] R. Trousson, op.cit., p. 16.
[35] Gilles Deleuze, « Cinéma 1: L’Image-Mouvement », dans L’image-action : La grande forme, Les Editions de Minuit, pp. 204-205.
[36] R. Mucchielli, Le mythe de la cité idéale , PUF, 1960, p. 53.
[37] Voy. clairement en ce sens J. Hummel, op.cit., p. 208.
[38] Voy. en ce sens P. Moreau, op.cit. et l’introduction du Dictionnaire critique de l’utopie au temps des Lumières, dirigé par B. Baczko, M. Porret et F. Rosset, Genève, Georg, 2016.
[39] L’expression a été popularisée par Pierre Nora après que celui-ci ait constaté que l’enseignement de l’histoire découlant du très classique manuel d’Ernest Lavisse sur l’histoire de France tendait à la glorification de la nation française.
[40] A.-M. Thiesse, « Des fictions créatrices : les identités nationales », dans Romantisme, 2000, n° 110 (numéro spécial sur De la Représentation, histoire et littérature), p. 55 et voy. aussi La création des identités nationales. Europe, XVIII-XXè siècles, Seuil, 1999 (chap. 6 sur Histoires nationales).
[41] L. Giavarini, « Autour de l’écriture des juristes. Sur la question de l’écriture et du droit », Revue Clio@Thémis, n° 7 (www.cliothemis.com) .
[42] M.-B. Vincent, « ‘La Constitution doit devenir un livre populaire’. Enseigner le patriotisme constitutionnel sous la République de Weimar », dans Histoire de l’éducation, 123, 2009, Varia, p. 105.
[43] Trousson p. 19.
[44] Article 29 : « Comme les avantages et le bonheur des États, sont en grande partie fondés sur le soin que l’on prend d’y cultiver les études et les sciences, et qu’au contraire ils tombent dans le désordre et l’obscurité quand on les méprise, les détruit, et les néglige. Tous ceux qui sont dans l’intention de destiner leurs enfans aux études, (ce qu’on leur rendra le plus aisé qu’il sera possible en perfectionnant les ordonnances concernant les écoles, et par d’autres moyens nécessaires) y seront d’autant plus encouragés qu’ils pourront s’en promettre pour l’avenir de l’avancement, de l’avantage, et de la récompense »
[45] R. Trousson, ibid. p. 16.
[46]Ibid., p. 17.
[47] Voy. P.-X. Boyer, « Constitutionnalisme de la raison et constitutionnalisme des passions », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, 2003/2, p. 279 et s.. Voy. aussi G. Scwhartz, La Constitucion, la literatura y el Derecho, Buenos Books America, 2011.
[48] Dolf Sternberger, pionnier d’une nouvelle vision de l’histoire avec la publication en 1938 de Panorama oder Ansichten von 19, traduit chez Gallimard par J.-F. Boutout en 1996, Panorama du XIXè siècle.
[49] Entretien avec Jurgen Habermas, « Il faut nous ancrer à la France », L’Evènement du jeudi, 30 janvier- 5 février 1997, p. 69, cité par F.-G. Dufour, Patriotisme constitutionnel et nationalisme. Sur Jurgen Habermas, Uber, 2001, p. 55.
[50] Ibid.
[51] G. Benhessa, « Identités nationale et identité postnationale », dans C. Husson-Rochcongar et L. Jourdain (dir.), L’identité nationale : instruments et usages, CURAPP, 2014, p. 234.
[52] F.-G. Dufour, op. cit., p. 65
[53] Voy. L. Fontaine, « Effectivité et droit de l’Union Européenne sous le regard d’une analyse sociétale », dans A. Bouveresse et D. Ritleng (Dir.), Le droit de l’Union européenne à l’aune de l’effectivité, à paraître, Bruylant, 2017 et en ligne, www.ledroitdelafontaine.fr/effectivite-et-droit-de-lunion-europeenne/
[54] Voy. sur cette question J. Mercier, Sur la standardisation constitutionnelle, IXè Congrès Mondial de l’AIDC, 16-20 juin 2014, Oslo, Atelier ° 5, en ligne : https://www.jus.uio.no/english/research/news-and-events/events/conferences/2014/wccl-cmdc/wccl/papers/ws5/w5-mercier.pdf
[55] La littérature est abondante : voy. not. M. Barberis, « Neocostituzionalismo, democrazia e imperialismo della morale », dans Ragion pratica, 14, 2000, p. 147.
[56] Les notes qui suivent ne constituent qu’un « piochage » très restreint dans une littérature très abondante et en constante expansion. Un coup d’œil rapide permet de se rendre compte de l’ampleur de cette nouvelle littérature politico-constitutionnelle « technique ».
[57] Voy. par ex. le Guide pour l’évaluation des élections adopté par la Commission de Venise en 2006 ou les Lignes directrices sur la liberté d’association du Bureau des Institutions démocratiques et des Droits de l’Homme de l’Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe adoptées en 2014, ou encore, les Lignes directrices sur la réglementation des partis politiques, adoptées ensemble par les deux institutions en 2010.
[58] Voy. par ex. le Code de bonne conduite en matière référendaire adopté par la Commission de Venise en 2007
[59] Voy. par ex. la Liste des critères de l’Etat de droit adoptée par la Commission de Venise en 2016, rejoignant ainsi les Indicateurs de l’Etat de droit des nations Unies. Guide d’application et outils de gestion de projet, 1ère éd. 2012.
[60] Voy. par ex. Outil d’auto évaluation pour l’amélioration de la préparation des états face aux conséquences transfrontalières des crises adopté en 2013 par le Bureau des Institutions démocratiques et des Droits de l’Homme de l’Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe.
[61] Indicateurs de l’état de droit des Nations Unies. Guide d’application et outils de gestion de projet, op. cit.
[62] Tout cela figure dans le Guide.
[63] La justice constitutionnelle est ainsi le fondement de la fameuse base CODICES de la Commission de Venise, fonds plus technique qu’intellectuel et qui doit servir d’outil à toute institution constituée et tout juge constitutionnel en Europe, voire au-delà de l’Europe.
[64] Voy. par exemple les « bons points » donnés par le patron du Medef français au Président du Conseil constitutionnel à propos de la jurisprudence de ce dernier, mis au jour sans y voir de difficulté particulière dans le livre de J.-L. Debré, Ce que je ne pouvais pas dire, R. Lafont, 2016, p. 257, cité par L. Fontaine et A. Supiot, « Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction sociale ? » Droit social, sept. 2017, p. 757.
[65] C.-G. Dubois, Problèmes de l’utopie, 1968, p. 25, cité par R. Trousson, ibid. p. 15.
[66] Voy. R. Dorandeu, « Les pèlerins constitutionnels. Eléments pour une sociologie des influences juridiques », dans Y. Mény (dir.), Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, L’Harmattan, 1993, p. 83 et s..
[67] L. Fontaine, « L’imaginaire constitutionnel contre la fiction du droit constitutionnel », à paraître dans Jurisprudence, Revue Critique, en lugne, http://www.ledroitdelafontaine.fr/limaginaire-constitutionnel/
[68] Voy. déjà K. Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, (1944) 1983.
[69] Extraits du préambule de la Constitution de 1978 : « Toutes les victoires remportées dans la révolution et l’édification de notre pays ont été obtenues à la lumière du marxisme, du léninisme, de la pensée mao-tsétoung. Porter toujours haut levé et défendre fermement le grand drapeau du président Mao, c’est la garantie fondamentale, pour notre peuple multinational, de pouvoir combattre dans l’unité et poursuivre jusqu’au bout la révolution prolétarienne. », ou « Nous devons consolider et développer le front uni révolutionnaire dirigé par la classe ouvrière, basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans, et unissant dans ses rangs la masse des intellectuels et des autres travailleurs, les partis démocratiques patriotiques, les personnalités patriotes, nos compatriotes de Taiwan, Hongkong et Macao, et ceux résidant à l’étranger ».
[70] Contrairement à la proposition intuitivement séduisante de Jacky Hummel pour qui, « à l’instar de l’utopie qui se comprend comme un espace arraché à l’espace, le préambule peut donc se lire comme un texte arraché au corpus constitutionnel, une enclave imaginaire au sein de l’espace constitutionnel », « Les préambules de constitution : une forme du ‘genre littéraire utopique’? », Revue d’Histoire des Facultés de Droit, 2011, n°31, p. 213.
[71] Ce qu’illustre l’actualité hongroise depuis l’adoption de la Constitution, ses rédacteurs demeurant depuis au pouvoir sans discontinuer.
[72] « Comme la liberté, tant des nobles de notre royaume que d’autres aussi, instituée par le roi saint Étienne, a été diminuée sur plusieurs points par l’arbitraire de quelques rois, qui tantôt satisfaisaient leurs ressentiments personnels, tantôt écoutaient les conseils perfides d’hommes iniques et occupés seulement de leur profit particulier, nos nobles eux-mêmes ont bien des fois frappé les oreilles de notre sérénité et celles de leurs rois, nos prédécesseurs, par leurs prières et nombreuses instances au sujet de la réforme de notre royaume. »
[73] « nous avons résolu d’affermir notre liberté, de telle manière qu’elle ne puisse recevoir aucune atteinte des entreprises d’un chef ennemi du bien public, ni de l’ambition de citoyens égoïstes et traitres à la patrie, ni du ressentiment et de l’orgueil de ses ennemis, et que l’antique État de Suède et Gothie puisse demeurer à toujours un royaume libre et indépendant », et surtout, la désignation des valeurs ennemies : « tenant pour ennemi de nous et de l’État quiconque voudra vous déterminer à l’enfreindre dans les termes ci-dessous transcrits mot pour mot »
[74] « L’imaginaire constitutionnel… », op.cit.
[75] L’idée de « nationalisme constitutionnel » a pu être évoqué à propos des libéraux russes du début du XXè siècle, pro-occidentaux, anglophiles et plutôt germanophobes, opposés au « nationalisme dynastique », autocratique et anti-occidental, anglophobe et plutôt germanophile (voy. C. Ferenczy, Nationalismus und neoslawismus in Russland vor dem erstern Weltkrieg, 1984, O. Harrassowitz, Wiesbaden, BRD) mais elle a surtout été employée à propos de l’Irlande à la fin du XIXè siècle (voy. par ex. Ph. Cauvet, « Le nationalisme irlandais entre déterritorialisation et reterritorialisation », Etudes irlandaises, 2006, n°1, pp. 141 et s.). L’idée de nationalisme constitutionnel ici va plutôt dans le sens d’un certain républicanisme constitutionnel universalisant.
[76] Arrêt du 31 janvier 2012, Pl. ÙS 5/12.
[77] Voy. la crise entamée entre la Cour constitutionnelle et le gouvernement réformateur depuis 2015.
[78] Extrait de ce titre 1er de la Constitution croate de 1990: « Considérant les faits historiques et les principes universellement acceptés dans le monde actuel, comme le droit inaliénable et indivisible, incessible et perpétuel de la nation croate à l’autodétermination et à la souveraineté étatique, y compris son droit inviolable à la sécession et à l’association, en tant que condition essentielle à la paix et à la stabilité de l’ordre international, la République de Croatie est, par la présente, établie en tant qu’État national de la nation croate (…) ».