Compte-rendu de la séance « Les usages du droit »,
lundi 26 octobre 16h-18h,
animée par Lauréline Fontaine et Yves-Edouard Le Bos,
5, rue de l’école de médecine, 75005 Paris.
avec Yves-Charles Zarka, philosophe, Université Paris Descartes
Avertissement : ce compte-rendu rend compte, non de l’intervention elle-même, mais des impressions et analyses qui en résultent, au regard de l’objet du séminaire.
Yves-Charles Zarka, philosophe, est un universitaire prolixe qui essaie de penser le monde contemporain, et s’essaie à des formulations de concepts destinés à mieux comprendre le monde et à agir sur lui (ex. L’inappropriabilité de la terre). Sa « carte de visite » est disponible ici.
Dans le cadre du séminaire, Yves-Charles Zarka a souhaité interroger son rapport au droit dans trois cadres : celui de la légitimité, celui de l’Europe et celui du cosmopolitique. C’est naturellement le premier cadre qui a été le plus développé, réfléchissant sur le rapport déjà abondamment pensé de la légitimité et de la légalité, mais qui ne cesse, il est vrai, d’être d’actualité (voir. par ex. l’ouvrage Droit et légitimité (L. Fontaine, dir.), Bruylant2010). Dans ce cadre, comme dans celui de l’Europe, il est apparu que le droit était fondamentalement conçu comme un instrument que l’on n’interroge pas pour lui-même, mais était envisagé comme une pure ressource, essentielle certes mais implicitement, « parmi d’autres ». Le droit apparaît comme le soutien indispensable des changements que l’on entend impulser dans une société. Il faudrait ainsi que, selon Yves-Charles Zarka, au soutien de la légitimité nécessaire dans une société démocratique, existe une « charte » (entendez un instrument juridique) relative à l’exercice du pouvoir, à l’aune de laquelle il pourra être jugé de la légitimité de l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire de la manière dont s’exerce le pouvoir. Deux idées surprennent : la première est que la réalité de l’efficacité du droit ne semble pas interrogée : le droit semble être pris pour lui-même comme une ressource efficace. Si l’on se limite au monde occidental, celui précisément qui entend penser le politique en termes de légitimité, l’histoire culturelle et juridique montre la difficulté du droit à être toujours efficace, et on pourrait même dire que c’est le problème crucial aujourd’hui. Le droit apparaît insuffisant à offrir une légitimité au politique qui cherche des solutions alternatives (et réciproquement). L’instrument du droit se pose plutôt plus souvent en termes de défiance qu’en termes de solution. A l’écoute de l’intervention de Yves-Charles Zarka et des discussions qui ont eu lieu à la suite, une deuxième idée surprend un peu, qui n’apparaît pas sans lien avec la première : il existe « déjà » un instrument juridique censé remplir cette fonction de charte relative à l’exercice du pouvoir, cet instrument est dénommé « Constitution », et il paraît pourtant, dans cette fonction, ignoré. Certes, dans la théorie politique et juridique, la Constitution ne remplit pas que cette fonction de charte relative à l’exercice du pouvoir servant de référence à cet exercice ; la Constitution a aussi pour fonction d’ instituer ce pouvoir lui-même ; mais, une fois fait, au plan théorico-historique, la fonction de la Constitution s’est essentiellement développée dans le sens de norme de référence pour l’action (ce qui a été pendant longtemps le propre de toute norme juridique). La Constitution n’est donc pas une inconnue du monde non juridique, et il est assez étonnant qu’elle ne soit pas perçue dans cette fonction principale. Cette surprise est liée à la première, puisque, l’on peut imaginer, supposer au moins, que si la fonction principale de la Constitution n’est pas perçue, c’est précisément parce que son efficacité n’est pas réalité… Or, si l’on ne s’interroge pas sur cette efficacité de la norme, le résultat est simple : elle est symboliquement, imaginairement, politiquement, philosophiquement donc, inexistante. Puisque le modèle traditionnel de la légitimité politique fondée notamment sur la représentation semble en partie échouer, il apparaît nécessaire aussi de rechercher un nouveau modèle de légalité qui y serait associé (voir. not. Patrice Duran, « Légitimité, droit et action publique », L’année sociologique, 2009, n°2, pp. 303 et s.).
On peut donc parfaitement bien réfléchir aux évolutions et aux inflexions de la société sans avoir connaissance du droit et de son rôle ? Pour quel résultat ? C’est sans doute ce qu’il faut encore se demander.
L.F. 6 novembre 2015
Voy. aussi le compte-rendu des deux premières années de séminaire.