Vive la post-justice constitutionnelle !
Pourquoi pas ? Il y a beaucoup de pensées « post » ces dernières décennies, à la valeur assez inégale il faut bien le dire : le postmodernisme, le post-situationnisme, le post-structuralisme, le post-colonialisme, mais aussi la post-vérité, la post-démocratie ou le post-humanisme.
« Post » ou non, il y a actuellement une potentialité à ne pas manquer, celle d’organiser en France une justice constitutionnelle enfin digne de ce nom, c’est-à-dire remplissant les conditions élémentaires de toute justice dans un Etat démocratique et un Etat de droit : une instance qui ne pourrait pas être qualifiée de juge et partie, une instance qui connaitrait les règles de la délivrance d’une justice dans les conditions de l’indépendance, de l’impartialité et de la déontologie, une instance qui serait hermétique aux différentes influences susceptibles de s’exercer sur elle, un procès qui s’organiserait selon les principe du débat contradictoire en fonction des différents intérêts en cause, des décisions qui rendraient compte d’un véritable débat et d’argumentations sérieuses et approfondies, à la fois parce qu’elles censurent des textes législatifs mais tout autant parce qu’elles les valident aussi. Là ne s’arrête pas la liste des sujets autour desquels réfléchir pour organiser une autre justice constitutionnelle en France.
La sortie de mon ouvrage, La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel aux éditions Amsterdam le 3 mars 2023, a coïncidé avec la séquence politique entamée à la fin du mois de janvier par le dépôt du projet de loi sur les retraites par le Gouvernement devant le bureau de l’Assemblée nationale, et qui s’est prolongée par l’attente fébrile de la décision du Conseil constitutionnel le 14 avril prochain. Ce livre avait une vocation, que l’actualité a servi : mettre la question de la délivrance de la justice constitutionnelle en France dans le débat public.
Au regard du contenu du livre, on peut dire que c’est un certain succès. En effet, je peux saluer Anne Chemin du journal Le Monde pour avoir écrit que ce livre n’était pas un pamphlet, mais qu’il était un « examen approfondi des règles déontologiques et procédurales qui régissent le Conseil, une analyse pointue de sa jurisprudence depuis 1958 et une comparaison détaillée avec les cours constitutionnelles du monde entier ». Et de fait, ma démarche a été de rassembler un ensemble de faits, tous avérés, et de les confronter à des idées aussi simples et fondamentales que « qu’est-ce qu’un juge ? », « qu’est-ce qu’une justice impartiale », « qu’est-ce qu’une décision de justice motivée ? », etc., toutes ces questions étant entendues à partir de leur acception courante dans les régimes démocratiques et au regard des constructions institutionnelles et intellectuelles autour de la notion d’Etat de droit. Il s’ensuit que si j’ai évidemment fait un livre politique parce qu’il analyse une institution au cœur du système politique, il n’est ni politicien ni partisan, en dépit du fait qu’il est effectivement « à charge », car je ne suis pas juge. Ce que le livre contient renouvelle néanmoins à certains égards la critique, ce qui ne devrait pas dispenser certains de le lire alors qu’ils en parlent.
Il résulte en tous les cas de cette écriture que des médias à la consistance et aux propos forts différents s’y intéressent et s’y sont intéressés (vous pouvez voir la liste que j’essaie de tenir à jour sur cette page), et que, donc, j’entretiens, dans ce moment unique, la mise à disposition de ce qui résulte de mon travail. Du Figaro Vox à l’Humanité en passant par Le Monde, Regards ou Cnews (oui oui, car le sujet mérite l’attention de tous), France Inter ou RTL, cette parole est presque toujours prise pour elle-même. Chacun, comme c’est le cas pour n’importe quel type de parole, en usera comme il le peut et comme il l’entend.
D’autres rendez-vous sont à venir encore et c’est le moment pour dire que, si d’aventure, le Conseil constitutionnel venait à censurer la loi en totalité comme beaucoup l’y invite, il ne me semble pas que ça devrait lui conférer un brevet de légitimité, ni pour le passé ni pour l’avenir, car, comme je l’analyse dans le dernier chapitre de mon livre, les décisions de censure ne sont pas celles qu’il faut regarder le plus : ce sont toutes celles qu’il ne censurent pas qu’il faut également regarder pour déterminer si on peut ou non faire du Conseil constitutionnel ce qu’il prétend être depuis plusieurs décennies, à savoir un contre-pouvoir.
Pour tous ceux qui estiment que la question ne doit pas cesser au lendemain du 14 avril, je reste à disposition pour en débattre, y compris, voire surtout avec les étudiants, juristes ou non. Vous pouvez m’écrire à cette fin.
Et pour continuer et alimenter toujours la réflexion sur cette question, je vous propose aujourd’hui deux textes, l’un écrit avant la rédaction de mon livre et qui en préfigure certains passages, et l’autre également écrit avant le livre, mais « peaufiné » après.
- Les enjeux éthiques de l’administration de la « justice » constitutionnelle (à paraître dans les Mélanges Sériaux)
- Les enjeux éthiques et démocratiques de la désignation des gardiens de la Constitution. Etude comparée (à paraitre dans Le Tribonien, 2022), 1/3. La version anglaise est à venir.
Bonne lecture à tous.
Lauréline Fontaine, avril 2023