« Les administrateurs des CID (common-interest developments) exercent un pouvoir substantiel sur la vie privée des résidents et affectent ainsi les droits des propriétaires sur l’exclusivité du contrôle de leur patrimoine. Entre autres, explique McKenzie, ‘la plupart des CID donnent aux administrateurs le droit de pénétrer dans votre domicile quand bon leur semble sous prétexte de préserver les intérêts de la communauté des copropriétaires’ (Privatopia: Homeowner Associations and the Rise of Residential Private Government, Yale University Press, New Heaven, CT, 1996, p. 12). L’administration des CID peut imposer aux résidents des restrictions à l’usage de leur espace domiciliaire, à leur comportement privé et même à celui de leurs hôtes.
Les restrictions réglementaires imposées à l’usage du domicile privé sont nommées ‘servitudes’. Certains de ces règlements sont si exhaustifs et si envahissants qu’ils en viennent à faire mentir la formule selon laquelle chacun est maître chez soi. A Rancho Bernardo, un CID de 33 000 habitants au nord de San Diego, la liste de ces servitudes est interminable et confine souvent à l’absurde. Dans son ouvrage America II (Penguin, New York, 1982, p. 93), Richard Louv en décrit quelque uns :
Même les potagers sont très mal vus (…). Clôtures, haies et murets ne peuvent pas dépasser un mètre de hauteur. Toute inscription est interdite, à l’exception des écriteaux « A VENDRE ». Les arbres doivent être soigneusement taillés et ne pas dépasser la hauteur des toits, lesquels doivent être couverts de tuiles rouges. Les résidents n’ont pas le droit de garer des véhicules de loisir ou des bateaux dans leur allée privée, ils disposent pour ce faire d’une aire de stationnement collective. Dans un village réservé aux retraités, les petits-enfants des résidents n’ont pas le droit d’accéder au centre de loisirs et, en général, les visites à domicile des enfants sont strictement limités.
Rancho Bernardo n’est pas le seul CID à appliquer des règles aussi draconiennes. On trouve des règlements de ce type dans tous le pays. McKenzie cite un certain nombre d’exemples. A Ashland, dans le Massachusetts, un vétéran de la guerre du Vietnam s’est vu interdire de déployer la bannière étoilée le jour de la fête nationale du drapeau. A Monroe, dans le New jersey, un homme a été poursuivi en justice par l’administration du CID parce que sa femme, âgée de quarante-cinq ans à l’époque des faits, avait trois ans de moins que le minimum exigé par les statuts de l’association des résidents. Les tribunaux ont donné raison aux plaignants et ont ordonné à la personne en question de choisir entre vendre ou louer sa propriété et cesser de cohabiter avec son épouse. A fort Lauderdale, en Floride, l’administrateur d’une copropriété a ordonné à un couple de cesser d’utiliser leur porte de derrière pour entrer et sortir de leur domicile, car leur va-et-vient laissait des traces sur la pelouse. A Boca Raton, toujours en Floride, une association a traîné un résident devant les tribunaux parce que son chien dépassait le poids limité autorisé de 13,6 kilos. (…)
La plupart des résidents des CID se déclarent prêts à renoncer à une partie de leurs droits de propriété pour pouvoir accéder à un réseau d’individus qui partagent les mêmes valeurs, la même sensibilité et le même style de vie »
Ce texte est extrait de Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès. La nouvelle culture du capitalisme (The Age of Access. The New Culture of Hypercapitalism Where All Life is a Paid-for Experience, 2000), La découverte, 2005, p. 157-159.
Pendant ce temps,
Allo Place Beauvau recense toutes les images des blessures de civils liées aux manifestations des gilets jaunes en France depuis 2018.
En dépit de ces images de guerre, les forces politiques et les forces de l’ordre semblent n’avoir pas grand chose à en craindre.
Peut-être parce que ceux qui ne figurent pas sur ces images et qui pourraient en demander des comptes, partagent donc « les mêmes valeurs, la même sensibilité et le même style de vie » … ?