Des règles pour le langage et du langage pour les règles
Séminaire Les usages du droit
lundi 4 avril 2016, 16h-18h,
animé par Lauréline Fontaine et Yves-Edouard Le Bos,
5, rue de l’école de médecine, 75006 Paris.
Avec Patrick Renaud, Linguiste, Université de la Sorbonne Nouvelle
Compte-rendu par Lauréline Fontaine
C’est un fait plus ou moins souligné que l’œuvre centralisatrice de l’Etat moderne occidental s’est tout autant appuyé sur le langage – dont la communauté apparaissait indispensable – que sur le droit, c’est-à-dire au fond, qu’il s’agissait de dire partout la même chose et d’une même voix/e.
Les questions à propos de la structure de la langue, qui la distinguerait par exemple d’un dialecte, titillent le juriste qui s’interroge sur le droit, dans un même mouvement où langage et droit sont réduits à un système abstrait de règles. L’intervention d’un linguiste dans le séminaire Les usages du droit était attendue depuis longtemps, d’autant que Patrick Renaud faisait partie des fidèles du séminaire qu’il avait jusqu’alors animé par ses questions toujours inattendues sur le rapport qu’entretiennent les différents spécialistes académiques non juristes avec le droit.
Certaines affirmations étaient pour ainsi dire « choc », sans être tout à fait inédites : par exemple, « il est certain que le verbe précède la loi ». Si donc le verbe « git » (Austin avec son How to do things with words[1] fut assez fréquemment cité), il s’agissait de se demander dans quelle mesure la loi pouvait avoir la même force. Est-ce la langue qui agit la loi ou la loi qui agit la langue ? Les différents textes cités retraçant une « petite histoire » de la centralisation et de l’unification du français sont autant d’indices pour maintenir cette profonde relation droit-langue. C’est tout autant pour centraliser la langue que pour affirmer la puissance principale et légitime du droit royal que cette histoire s’analyse : affirmer la force de quelque chose, c’est aussi affirmer la force de « ce » qui affirme. Reconnaître l’autre c’est tout à la fois reconnaître, se reconnaître, se faire reconnaître.
La parole est instable ? Le droit l’est tout autant, qui accompagne et se fait accompagner par la langue. Si la linguistique comme discipline tend à réduire la langue à une physique d’un système abstrait et tend à se confondre avec lui, la science du droit tend souvent à la même chose. Mais pourrait-il en être autrement, dès lors que droit et langue sont aux origines de l’humanité, dans un rapport jamais dissout ?
Ce qui reste maintenant à creuser – encore – c’est la différence entre la « parole », verbale dira-t-on, et l’écrit dans ses effets sociétaux. L’histoire retracée de l’unification presqu’exactement parallèle, ou plutôt associée, de la langue et du droit, passe par ce médiat de l’écrit : avant lui, pas de centralité, pas d’unification. Dans quelle mesure l’écrit change-t-il le registre de la loi, de sa force, de ses effets, de son ambition ? D’autres interventions pourront nous renseigner à ce sujet. En attendant, il faut aller évidemment consulter La raison graphique de Jack Goody.
La dernière séance du séminaire avec Patrick Renaud précédait une « pause sabbatique » avant la reprise en 2017, qui s’appuiera sur une nouvelle ligne éditoriale (Voy. Les usages du droit en sabbatique)
Voir aussi le compte-rendu des deux premières années de séminaire et les comptes-rendus des séances de l’année 2015-2016 (rubrique « comptes-rendus »)
[1] J.L.A. Austin, How to do things with words, Ed. Urmson, Oxford, 1962.