Un état d’exception nullement exceptionnel.
La crise souveraine et le crépuscule de la Constitution. Un aperçu historique.
Résumé
En Grèce, la crise de la dette souveraine s’est présentée comme une circonstance exceptionnelle qui menaçait la survie du pays. Durant le 20e siècle, des circonstances similaires ont été traitées juridiquement sous le concept de l’« état de nécessité », qui, d’après la jurisprudence, justifie le sursis provisoire des garanties constitutionnelles, afin que le danger soit affronté et que le régime revient à la normalité démocratique. En revanche, dans la présente situation, les tribunaux ont conclu que le rétablissement de l’équilibre budgétaire et l’adaptation du pays aux règles de la gouvernance économique européenne et mondiale constituent des objectifs d’intérêt public suprême qui conditionnent et déterminent la législation et la politique générale du gouvernement. Ainsi, les circonstances exceptionnelles ont été intégrées à l’édifice constitutionnel de façon permanente et la protection de l’État de droit et des institutions démocratiques a été placée sous leur tutelle. La Constitution en tant que fondement et limite du pouvoir décline et les plus importantes décisions législatives et gouvernementales sont prises par des technocrates sous un contrôle juridictionnel qui s’affaiblit.
Mots clefs : état d’exception, état de nécessité, circonstances exceptionnelles, contrôle juridictionnel des lois, crise souveraine, Constitution, intérêt général.
Keywords : State of Emergency, State of Necessity, Exceptional circumstances, Judicial review of the laws, sovereign crisis, Constitution, general interest.
* *
*
En Grèce, la notion d’« état d’exception » est le fruit de la construction de l’État par étapes[1], ainsi que de l’histoire tumultueuse des institutions politiques du pays. Il s’agit d’une notion forgée principalement par la jurisprudence qui, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité des lois, a élaboré le concept d’« état de nécessité »[2] pour indiquer des circonstances exceptionnelles particulièrement dramatiques menaçant la survie de la patrie ou du régime politique[3]. Leur apparition justifie le sursis provisoire d’importantes garanties constitutionnelles et la mise en oeuvre d’autres règles, moins libérales, afin que les dangers puissent être affrontés et que la vie sociopolitique du pays reprenne son rythme régulier. Dans ce contexte, le pouvoir étatique est principalement exercé par l’exécutif et des restrictions peuvent être imposées aux droits fondamentaux. On peut, donc, considérer que l’« état de nécessité » annonce la construction de l’« état d’exception », initiée par la théorie constitutionnelle européenne après la Grande Guerre et parachevée à la suite des événements du 11 septembre 2001[4].
1. Les circonstances exceptionnelles en tant qu’affaire constitutionnelle : le droit face aux dérives de la matière sociopolitique
C’est la Constitution de 1911 (art. 91) qui a pour la première fois réglementé la gestion des circonstances exceptionnelles, en instaurant l’« institution » de l’état de siège. Les dispositions y afférentes ont été adoptées au sein d’une procédure de révision constitutionnelle, qui fut le principal moyen d’un vaste effort de modernisation du régime politique et de l’appareil administratif, entrepris par le gouvernement d’Elefthérios Venizélos (1864-1936). Ce dernier devait sa montée au pouvoir au coup d’État de Goudi (1909), effectué par des militaires qui contestaient l’exercice personnelle du pouvoir par le monde politique traditionnel, de même que les ingérences royales dans la détermination de la politique générale du pays, notamment dans l’organisation et le fonctionnement de l’armée. Les propositions de la « Ligue militaire », qui revendiquait le rétablissement de l’État de droit et le respect du principe démocratique, ont rencontré le consensus de larges couches populaires, en favorisant la création d’un mouvement dynamique qui aspirait à de profonds changements institutionnels. Dans ce cadre, l’adoption d’une règle constitutionnelle[5] permettant au roi, avec l’autorisation du Parlement, de proclamer l’état de siège ne signifiait nullement la reconnaissance d’un droit du Chef de l’État d’exercer lui seul les attributions qui dérivent de la souveraineté ; au contraire, elle révélait l’aspiration à délimiter les pouvoirs du roi et à préserver le caractère démocratique du régime[6].
En effet, l’idée que la Constitution constitue le rempart le plus effectif contre l’arbitraire des gouvernants et la base de la souveraineté populaire disposait, déjà au début du 20e siècle, d’une solide assise, à savoir du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois : les juges grecs, ayant déclaré que les tribunaux sont obligés d’écarter toute réglementation contraire aux prévisions de la loi fondamentale, ne se sont pas contentés d’affirmer la suprématie formelle de la Constitution[7] ; ils ont consacré la conception suivant laquelle les règles constitutionnelles déterminent le contenu de tout acte étatique et, par conséquent, prédestinent la substance du régime politique. Un grand nombre de décisions judiciaires[8] et un riche dialogue sur la nature juridique de la Constitution avaient, donc, consolidé l’idée que l’État de droit constitue « le lit d’une rivière, droit et lisse, dans lequel la vie sociale devient raisonnée et prévisible »[9], en encadrant la concurrence des partenaires politiques par des procédures susceptibles d’alléger leurs différends et d’organiser paisiblement leur antagonisme.
Cet environnement intellectuel et politique a conduit la Chambre révisionnelle de 1911 à soumettre les circonstances exceptionnelles au droit positif, à tenter de les juguler par des règles spéciales pour garantir la subsistance de la démocratie. Les dispositions habituelles sont suspendues sans que le chaos règne, étant donné qu’un dispositif normatif extraordinaire préserve l’ordre. En plus l’État de droit n’est pas vraiment menacé, puisque les circonstances exceptionnelles, temporaires par nature, sont juridiquement ordonnées à durer provisoirement et aboutir au retour à la normalité démocratique[10].
2. L’état de nécessité, la constitutionnalité extraordinaire et la sauvegarde du constitutionnalisme libéral et démocratique
Les guerres balkaniques (1912-1913) ont offert l’occasion de vérifier les relations entre la réglementation constitutionnelle et les situations extraordinaires. La loi ΔΡΟΒ/1913 prévoyait qu’en cas de réquisition imposée pour satisfaire aux besoins de la marine de guerre, les recours en responsabilité devraient être intentés devant les tribunaux administratifs. Il s’agissait d’une loi « ordinaire », qui n’était pas adoptée dans le cadre de l’état de siège, mais qui réglementait évidemment les actions en dommages et intérêts pour les propriétaires des navires qui ont été réquisitionnés pendant la première guerre balkanique. La Constitution stipulant que nul n’est privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant toujours une indemnité préalable et complète (art. 17), la question s’est posée de savoir si la « transmission » des actions susmentionnées au contentieux administratif ne violait pas la Constitution ; car le juge administratif n’était tenu d’accorder qu’une indemnisation « raisonnable », en compensant uniquement le préjudice résultant de la perte subie par les propriétaires des bateaux et non pas celui de leur manque à gagner[11].
Les procès qui s’y rapportent, ont connu une grande publicité qui a déterminé la formulation des questions juridiques. La Constitution de 1911 ne permettait pas de suspendre la protection du droit à la propriété pendant l’état de siège, conséquemment la tentative des armateurs d’obtenir l’indemnisation complète n’était pas manifestement injustifiée. Pourtant, vu que les classes populaires avaient déjà payé un lourd bilan des morts durant la guerre, leurs recours ont été considérés comme motivés de cupidité, sentiment qui favorisait l’argument que les circonstances d’une « nécessité urgente et suprême, liées à l’existence et à la défense de l’État », justifiaient la dérogation aux prévisions constitutionnelles[12]. De la sorte, la raison éminente de l’État s’est présentée comme le fondement d’un détournement obligé des règles fondamentales.
Le Tribunal de grande instance d’Athènes a fait prévaloir le respect de la Constitution[13] : sans nier que la défense de l’État constitue un motif qui légitime l’éloignement de la procédure concernant l’expropriation, il a jugé que les restrictions imposées doivent finalement assurer le niveau de protection de la propriété prévu par l’art. 17 Const. et il a déclaré la loi ΔΡΟΒ/1913 contraire à la Constitution. Les ardentes critiques qui s’ensuivirent avaient pour objet le caractère antisocial de l’invocation de la Constitution et également la qualification juridique de la réquisition par le juge ordinaire. C’est l’Aréopage[14] qui a éclairci la question cruciale et qui a rétabli le contrôle de constitutionnalité de lois sur une base durable[15]. La Cour de Cassation, en démontrant que la réquisition n’équivaut pas juridiquement à la privation de la propriété, a cassé le jugement d’inconstitutionnalité, tout en préservant son pouvoir d’examiner la conformité d’une norme à la loi fondamentale en toute circonstance : la vigoureuse interprétation de la notion constitutionnelle de la propriété a permis à la Haute Juridiction de rejeter les recours après avoir vérifié que le législateur, pour satisfaire aux besoins nés dans une situation particulièrement grave pour la patrie, s’est tenu dans le cadre constitutionnel et qu’il a su ménager les nécessités urgentes avec les règles fondamentales « sur lesquelles aucun compromis ne peut se faire »[16].
Cette conception de la dimension constitutionnelle des circonstances exceptionnelles a déterminé leur insertion à l’ordre juridique hellénique en tant qu’instrument de régulation des principes fondamentaux et de fondement de la constitutionnalité elle-même. Effectivement, trois années plus tard (1917), l’Aréopage a été appelé à examiner la constitutionnalité de deux décrets-lois qui prorogeaient pour huit mois l’application d’une loi adoptée durant la guerre, qui devait rester en vigueur jusqu’à la fin de la mobilisation générale. Or, la Constitution de 1911 n’accordant pas à l’exécutif de pouvoir réglementaire, l’édiction des décrets-lois violait manifestement le principe de la séparation des pouvoirs. La Cour a explicitement confirmé que les règles découlant de la séparation des pouvoirs ne permettent pas au pouvoir exécutif de légiférer, mais elle en a inventé une exception majeure : les restrictions constitutionnelles ne sont pas inconditionnelle, elles peuvent cependant « justifier le droit absolument extraordinaire, fondé sur l’adage social fondamental “salus publica suprema lex esto” en vertu duquel le pouvoir exécutif a la faculté, de même que le devoir découlant de son autorité, de franchir les limites constitutionnelles et d’édicter des décrets-lois, quand le salut commun l’exige, à savoir quand un danger urgent ou une nécessité urgente presse l’État et quand le pouvoir législatif ne peut pas fonctionner… »[17].
L’urgence et le danger pressants ne font pas naitre ou resurgir un pouvoir personnel de celui qui se charge de la gestion des affaires publiques dans une situation extraordinaire : ils lui attribuent seulement la faculté d’invoquer une norme suprême (celle de la survie de la nation, de la défense de l’État ou de la liberté), qui peut ajuster provisoirement le fonctionnement des institutions aux conditions circonstancielles, afin d’assurer la sauvegarde de la Constitution libérale et démocratique. C’est une situation totalement exceptionnelle qui ne dispense pas les gouvernants des limites constitutionnelles, mais qui modifie provisoirement la portée de ces dernières. C’est d’ailleurs pourquoi le juge conserve le pouvoir de contrôler les choix de l’organe qui appelle à la salus publica et qui met en oeuvre le droit de la nécessité.
Depuis la fin de la Grande Guerre jusqu’à l’établissement de la IIIe République hellénique (1974), les graves crises politiques qui se sont succédées ont souvent permis aux gouvernants d’exercer le pouvoir en dehors du cadre constitutionnel, alors que, durant l’occupation nazie, la guerre civile (1946-1949) et les dictatures[18], les normes constitutionnelles les plus fondamentales ont été totalement suspendues. Pendant ces périodes d’anomalie constitutionnelle, les tribunaux ont été appelés à examiner la constitutionnalité, parfois l’entrée en vigueur, des lois adoptées par des organes dont le pouvoir se fondait sur une profonde altération du fonctionnement régulier du régime, et qui avaient, en d’autres termes, aboli la Constitution, ou en avaient imposé le détournement.
Pour évaluer cette législation, le juge recourait au concept d’état de nécessité, qui paradoxalement l’a aidé à confirmer que la Constitution est le seul titre légitime du pouvoir dans le régime hellénique. Les tribunaux grecs, tout en « validant » les dispositions législatives contestées, ont toujours rappelé que l’état de nécessité est une circonstance extraordinaire, qui appelle en application le principe salus publica suprema lex esto, principe intrinsèque à l’ordre constitutionnel, qui vise la sauvegarde du régime et le rétablissement d’une normalité politique régie par la Constitution. Ainsi, des actes qui abrogeaient des dispositions fondamentales, ont été qualifiés par le juge d’actes constituants, afin que le pouvoir puisse disposer de fondements juridiques et que son exercice puisse apparaître comme soumis aux principes et aux standards du constitutionnalisme hellénique[19].
Le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois n’a assurément pas empêché l’instauration des régimes dictatoriaux ni la déformation matérielle du parlementarisme démocratique et libéral[20] concernant aussi bien le renforcement extraconstitutionnel de l’exécutif que la protection des libertés et des droits constitutionnels. En effet, pendant toute la période susmentionnée, même les gouvernements issus des procédures parlementaires, ont exercé le pouvoir législatif avec ou sans habilitation de l’Assemblée Nationale, en introduisant un arsenal normatif qui privait leurs adversaires politiques d’importants droits constitutionnels. Les idées politiques considérées de « dangereuses » pour le régime ont été pénalisées, alors que les vaincus de la guerre civile, c’est-à- dire les communistes et leurs sympathisants, ont été traités des «ennemis intérieurs », auxquels aucune garantie constitutionnelle n’était reconnue.
La crise souveraine et l’état de nécessité permanent (2010-2014)
Ayant éclaté comme un ouragan sur la société et la vie politique grecques, la crise de la dette souveraine, s’est présentée d’un point de vue juridique comme une situation extraordinaire et particulièrement dramatique. L’éventuel effondrement financier de l’État et son exclusion de la zone euro ont revêtu un aspect existentiel pour la République, étant donné qu’une telle évolution provoquerait des secousses si virulentes que le futur du régime deviendrait incertain. La gravité de la situation a autorisé la gouvernance du pays par des décisions prises en dehors des procédures constitutionnelles, mieux : en dehors même de ses frontières.
Tout d’abord, l’Assemblée Nationale a été complètement marginalisée ; le recours à la procédure extraordinaire d’édiction des lois-décrets s’est banalisé, permettant aux gouvernements successifs d’entériner les mesures administrées par les technocrates de la Troïka (Banque Centrale Européenne, FMI et Commission européenne), en évitant les débats parlementaires et pratiquement tout débat public[21]. En plus, la procédure législative ordinaire a été profondément déformée. Le Parlement votait les lois sous l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête par les créanciers du pays : les majorités qui soutenaient les gouvernements n’ont pas eu la moindre faculté de contester les règles dictées par les Mémorandums (MoUs[22]) et intégrées dans les projets de loi gouvernementaux[23]. De surcroît, d’importantes restrictions ont été imposées aux droits et aux principes constitutionnels, et les règles fondamentales des différentes branches du droit ont été dévaluées ou simplement écartées[24].
Se faisant, la jurisprudence a reconstruit un de ses principaux outils pour résoudre les questions de constitutionnalité des lois en temps de crise[25]. Il s’agit de l’intérêt public qui, au vu des objectifs poursuivis par le législateur, acquiert un caractère suprême et supranational, étant donné qu’il est lié à l’intégration du pays dans l’Union européenne et au respect des règles de la gouvernance économique européenne. L’arrêt 668/2012 du Conseil d’État offre le meilleur exemple de la construction jurisprudentielle de cet intérêt public obscur, qui est surdéterminé par la législation européenne et qui a permis au juge de confirmer la constitutionnalité des mesures imposant des restrictions sérieuses et permanentes aux droits et aux libertés des citoyens[26].
Dans cette « grande décision », largement commentée et critiquée, l’invocation de l’ensemble de la législation européenne sur la stabilité financière et des règles établies par les accords avec les créanciers a servi de principale référence pour la détermination des objectifs visés par le législateur ; l’obligation de se conformer à cette législation s’est présentée comme une urgence suprême qui, au lieu d’imposer la mise en place du droit de nécessité, dicte les composantes essentielles et permanentes de l’intérêt public. De cette manière, l’action étatique dans son ensemble est rythmée par le devoir de satisfaire un intérêt qui ne se définit pas en relation aux donnés sociopolitiques du pays, mais qui découle des réglementations européennes et internationales, dont le respect est une condition de la sauvegarde de la patrie.
Effectivement, la Cour a reconnu que les circonstances exceptionnelles justifient l’adoption des mesures extraordinaires, qui, pourtant, doivent s’intégrer à l’ordre constitutionnel en tant que réglementations permanentes : « (…) les lois 3833 et 3845/2010 ont établi diverses mesures, (…) d’une part, pour faire immédiatement face à la violente crise budgétaire, qui, d’après les constatations du législateur, ne permettait pas au pays de subvenir à ses besoins d’emprunt par la voie des marchés internationaux et qui rendait la faillite de l’État probable et, d’autre part, pour l’assainissement des finances publiques par la réduction du déficit budgétaire (…). La réduction des salaires et des allocations (…) constitue une partie d’un vaste programme d’adaptation, qui, dans son ensemble, vise à faire face à la nécessité immédiate de satisfaire aux besoins économiques du pays, et également à l’amélioration de la situation future des finances publiques et de l’économie. Il s’agit de servir des objectifs qui constituent en principe des buts sérieux d’intérêt public et, parallèlement, des objectifs d’intérêt commun des États membres de la zone euro, en vue de la législation de l’Union européenne qui instaure l’obligation de la discipline financière et de l’assurance de la stabilité de la zone euro ». Obéir aux préceptes de la « théologie » du devenir financier global, codifiées par les « programmes de sauvetage » du pays, se révèle, en conséquence, comme l’objectif principal de l’action étatique et paramètre essentielle du système des droits et des libertés.
De surcroît, la Cour a rejeté l’allégation des requérants d’après laquelle le législateur a violé le principe constitutionnel de proportionnalité[27], car il a manqué de prévoir que les mesures instaurées par les règles contestées seraient de durée déterminée, c’est-à-dire qu’elles allaient expirer au moment du retour à la normalité politique et institutionnelle. Le Conseil d’État, tout en admettant que leur adoption est légitimée par une circonstance d’urgence, a jugé qu’elles s’adaptaient aux exigences de proportionnalité pour autant qu’elles servent à l’assainissement viable des finances publiques. Or, pour consacrer la proportionnalité des dispositions y afférentes, il a modifié « l’orientation » et l’étendue de son contrôle. Le Conseil d’État, s’est écarté de sa jurisprudence des dernières décennies, suivant laquelle les tribunaux, pour faire respecter le principe de proportionnalité, doivent scruter le rapport des mesures législatives aux buts qu’elles sont censées servir, c’est-à-dire inspecter aussi bien la nécessité de ces mesures que leur aptitude à la satisfaction de l’objectif. Dans le cadre d’un tel contrôle « large »[28], le juge, après avoir évalué les objectifs du point de vue de leur légalité, examine si les mesures contestées peuvent effectivement conduire au résultat escompté par le législateur et si il n’y avait pas d’autres moyens normatifs, moins dommageables aux droits et aux libertés, qui ont été négligés par les auteurs de la règle[29]. De cette façon, les choix du législateur sont soumis à un examen approfondi, délimitant le pouvoir de la majorité parlementaire ou de l’exécutif, qui sont souvent enclins à l’arbitraire.
Pour évaluer les lois d’application du premier Mémorandum (MoU), le Conseil d’État s’est écarté de cette tradition et s’est abstenu d’examiner si les mesures législatives en question étaient appropriées à la satisfaction des buts et si elles étaient nécessaires. Il s’est contenté de constater qu’elles « ne se présentent pas comme manifestement inappropriées (…), et on ne peut pas juger qu’elles ne sont pas nécessaires, étant donné que les considérations du législateur (…) se sont fondées sur son évaluation de la situation financière urgente, évaluation qui n’est soumise qu’à un contrôle judiciaire marginal.»[30]. La Cour a abandonné ses outils habituels, à savoir les règles de la logique et les préceptes de l’expérience commune, pour conclure sur la constitutionnalité des règles litigieuses : en déclarant que seules les mesures notoirement inappropriées sont censurées au sein du contrôle juridictionnel des lois, elle a interrompu une pratique jurisprudentielle qui permettait d’évaluer assidûment la qualité de la législation et de l’adapter aux acquis de l’État de droit.
Devant la crise souveraine, le juge grec ne s’est pas démis de sa mission de contrôle de la constitutionnalité des lois. Néanmoins, il a délimité strictement son champ et il a appauvri les moyens qui lui permettaient d’examiner la conformité de toute règle aux principes fondamentaux. La jurisprudence, en reconstituant la notion de l’intérêt public, y a intégré tant la nécessité urgente financière que la stabilité monétaire de la zone euro, et elle a de même infléchi la conception de la Constitution. La déstabilisation financière est envisagée comme une circonstance exceptionnelle, qui a éveillé « le droit et l’obligation » des gouvernants d’adopter des règles permanentes au nom d’une normalité suprême, instituée par les commandements de la gouvernance économique européenne et mondiale. Dorénavant, l’appel à ces derniers semble rendre l’interprétation des règles et des principes constitutionnels imprudente, puisque elle pourrait contrarier l’intégration de la législation nationale dans l’ordre économique mondiale et retarder, sinon annuler, la sauvegarde de la patrie.
L’importance de ce changement de position est confirmée par les décisions récentes du Conseil d’État sur la constitutionnalité de la troisième réduction successive des salaires des fonctionnaires qui sont rémunérés selon un barème spécial, c’est-à-dire des militaires et des policiers. La Haute Juridiction administrative (CE 2192-2196/2014) a affirmé le pouvoir du législateur de prendre des mesures extraordinaires en temps de crise, de diminuer les mensualités des employés au secteur public ; parallèlement, elle a examiné la constitutionnalité des règles corrélatives en invoquant un autre intérêt suprême, mieux : en rappelant que la défense et la sécurité de l’État forment un principe fondamental qui délimite l’action de tout organe étatique. Le juge a étalé les attributions exercées par les corps armés et il a constaté qu’elles appartiennent au « noyau dur de l’État » dont la protection doit être assurée par le législateur. Conséquemment, il a déclaré que les mesures visant à la réduction des salaires des militaires sont contraires aux principes d’égalité et du respect de la valeur humaine.
En d’autres termes, pour assurer le respect des normes constitutionnelles, le Conseil d’État a eu besoin d’un fondement juridique qui lui permettait de balancer le principe de la salus publica financière et de mettre en oeuvre les préceptes de la loi fondamentale. Il a donc invoqué le concept du « noyau dur de l’État », dont la préservation est reconnu comme une obligation des gouvernants aussi bien que du juge auquel il a offert une assise constitutionnelle formelle[31] pour légitimer le contrôle de constitutionnalité. De la sorte, la fabrication d’une norme suprême, qui a su s’avérer de valeur égale aux « règles d’or » financières, a été érigée en condition nécessaire de l’interprétation des dispositions constitutionnelles et de l’application des normes qui en découlent.
On peut, alors, alléguer qu’une continuité existe entre la jurisprudence ayant formulé le dogme de l’état de nécessité et celle développée pendant la crise souveraine ; en effet dans les deux cas le juge recherche à procurer au pouvoir une assise normative, à soumettre son exercice à des règles et à imposer des limites à ses détenteurs. Pourtant, la rupture qui est intervenue n’est pas de la moindre importance : dans la jurisprudence actuelle, la réponse aux circonstances exceptionnelles requiert des mesures normatives permanentes, fléchissant pour une durée indéterminée les préceptes constitutionnels. Le retour à la normalité étant juridiquement organisé comme un processus lent et sans issue prévisible, la loi fondamentale cesse d’être envisagée comme le cadre dans lequel doivent rentrer les gouvernants dès qu’ils auront à faire face à l’urgence. Ainsi, la Constitution, sa suprématie et le respect de ses normes sont soumis au jeu des principes qui soutiennent l’adoption d’une législation endémique de « nécessité » et qui sont formulés par ses interprètes, c’est-à-dire par la majorité parlementaire et par le juge.
En guise de conclusion : l’intégration des circonstances exceptionnelles dans le dispositif juridique ordinaire n’a pas seulement délimité l’étendue du contrôle juridictionnel des lois, qui depuis cent-vingt ans constitue une importante garantie de l’État de droit. Elle a influencé aussi la conception de la Constitution, étant donné que sa représentation en tant que système des normes les plus fondamentales est affaiblie : il semble que l’application de ses dispositions qui protègent les droits et les libertés et qui délimitent l’action des gouvernants dépend d’un motif normatif supérieur. Ce sont des principes, énoncés par l’interprète du droit, qui désormais tiennent lieu de fondement de l’interprétation de la Constitution. La contingence, la casuistique de la jurisprudence corrélative minent l’idée que l’exercice du pouvoir est – et doit être – encadré par un système des normes cohérent et favorisent la gouvernance basée sur les compétences et/ou la morale des gouvernants et des juges.
Depuis cinq ans Cincinnatus[32] ne s’est pas retiré à ses labeurs, tandis que le futur de la société et la vie politique grecque se sont étroitement rattachés à l’antagonisme qui se développe en Europe entre les différents « principes suprêmes » d’organisation du pouvoir. C’est pourquoi le changement politique récent et l’arrivée d’un nouveau gouvernement au pouvoir n’est pas une condition suffisante pour le rétablissement de la normalité constitutionnelle. Certainement, le respect des procédures démocratiques par le gouvernement et sa majorité parlementaire vont rendre gloire à la Constitution. Quant à ses principes, le constitutionnalisme hellénique et européen ne se contente pas d’assurer une légitimité procédurale à l’exercice du pouvoir. Il prescrit que le fonctionnement de la démocratie représentative garantisse l’autonomie politique des citoyens et le respect de leurs droits et libertés fondamentales. Faire rentrer l’exercice du pouvoir dans un tel cadre implique que les lois et les principales politiques ne soient plus dictées par les sages de l’économie mais bien par les délibérations démocratiques sur les différents projets politiques antagonistes ; il implique également que les préceptes de l’État de droit conservent leur suprématie dans la hiérarchie des normes et qu’ils influencent effectivement la réglementation de la vie sociopolitique. Or, une telle entreprise est fortement conditionnée par le fonctionnement de l’Union européenne et l’évolution de ses institutions. Combattre pour la sauvegarde de la Constitution nationale sans réfléchir sur les méthodes d’une restructuration radicale du pouvoir européen, sur le besoin d’une Constitution politique pour l’Europe, rend l’entreprise peu probable, sinon aléatoire.
Iphigenie Kamtsidou
Prof. Associée de Droit Constitutionnel – Université de Thessalonique, Présidente du Centre National de l’Administration Publique et Territoriale.
[1] L’État grec créé après la Révolution contre la Sublime Porte (1821), a été reconnu par les « grandes puissances » (le Royaume-Uni, la France et la Russie), lors de la Conférence de Londres (1830). Depuis, la Grèce a rattaché la Thessalie (1881), la Macédoine et la Thrace grâce surtout aux guerres balkaniques (1912-1913), la Crète (1913) suite à deux révoltes de ses habitants, dont la dernière (1897-98) a débouchée sur un conflit militaire greco-turc et finalement la Dodécanèse, après la 2ème guerre mondiale (1947). Cette lente intégration a crée des troubles sociopolitiques qui ont été envisagées par les gouvernants comme des circonstances exceptionnelles et dont l’affrontement a largement contribué à la formation de l’arsenal juridique concernant l’état d’urgence.
[2] Le juge grec, familiarisé aux outils du droit pénal a « greffé » le concept de l’état de nécessité au droit constitutionnel hellénique, en lui attribuant le sens véhiculé habituellement par celui de l’état d’urgence. Le terme est retenu dans le texte, étant donné que l’état d’urgence est souvent réglementé par la Constitution ou la loi, tandis que la formule jurisprudentielle hellénique vise à décrire les situations dans lesquelles l’exercice du pouvoir excède le cadre juridique sur invocation des circonstances exceptionnelles.
[3] Cf. Y. Drossos, Un essai sur la théorie constitutionnelle grecque (en grec), Athènes, A. Sakkoulas, 1996, p. 225.
[4] Cf. M. Troper, « L’état d’exception n’a rien d’exceptionnel », idem, Le droit et la nécessité, Paris, PUF (coll. Léviathan), 2011, p. 99 ss. ; M. Goupy, L’essor de la théorie juridico-politique sur l’état d’exception dans l’entre-deux guerres en France et en Allemagne : une genèse de l’état d’exception comme enjeu pour la démocratie, Thèse de doctorat, École normale supérieure de Lyon, 2011, https://tel.archives-ouvertes.fr, p. 49 ss.
[5] Intégré dans le chapitre concernant l’organisation de la Justice, l’art. 91 Const. 1911 stipulait qu’une loi spéciale réglemente, en cas de guerre ou de mobilisation en raison de dangers extérieurs, la proclamation de l’état de siège, ainsi que la suspension provisoire de la protection des droits à la sureté personnelle, à la réunion et à l’association, de la liberté d’expression et de l’asile du domicile. Durant l’état de siège, des tribunaux d’exception pouvaient être institués et la disposition constitutionnelle qui instaurait les jurys pour les crimes politiques et ceux de la presse était également gelée. Cette loi était mise en application par décret royal, sur l’ensemble ou une partie du territoire ; sa durée, en cas de mobilisation, ne pouvait pas excéder les deux mois et, en cas de guerre, elle était liée à la fin des hostilités.
[6] Cf N. Alivizatos, Les Institutions politiques de la Grèce à travers les crises, Paris, L.G.D.J., 1979, p. 16 et s.
[7] 7 Cf. A. Manitakis, « Fondement et légalité du contrôle juridictionnel des lois en Grèce », R.I.D.C., 1988/1, p. 39 ss.
[8] La CC 23/1897, qui a explicitement reconnu le pouvoir des juges de ne pas appliquer de lois dont le contenu est contraire à la Constitution, est considérée comme l’arrêt matriciel en la matière et le fondement de la coutume relative. Pourtant, les tribunaux ordinaires pratiquaient le contrôle pendant les trois dernières décennies du 19e siècle et leur jurisprudence a contribué à l’approfondissement de la réflexion sur la Constitution et sa valeur normative (A. Kaidatzis, Histoire du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois en Grèce (en grec), Ed. Sakkoulas, Athènes-Thessalonique, 2014, p. 65 et s).
[9] G. Mertikas, Postface à C. Schmitt, Théologie politique (en grec), Athènes, Leviathan, 1994, p. 125.
[10] De la sorte, le droit constitutionnel grec s’est rallié au courant de pensée européen qui considérait la dictature comme une institution constitutionnelle. En effet, depuis la fin du 19e siècle, Mommsen (Le droit public romain, vol. 3, Paris, Thorin – Fontemoing, 1892) a soutenu que la dictature visait à préserver les principales caractéristiques des institutions romaines et qu’elle faisait partie intégrante de la Constitution républicaine. La légende de Cincinnatus, qui, ayant accompli sa mission de dictateur, a rendu ses pouvoirs exceptionnels dans quinze jours, a grandement favorisé la pérennisation de cette conception. C’est pourquoi, après les événements du 11 septembre 2001, des politologues reconnus (John Ferejohn et Pasquale Pasquino (2004), Bernard Manin (2008) ou Sanford Levinson et Jack Balkin (2010)) ont montré un vif intérêt pour le dictateur romain et ils ont souligné les vertus de l’institution, cf. M. Carpentier, « État d’exception et dictature », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 20 | 2011, http://traces.revues.org/506.
[11] V. A. Kaidatzis, op.cit., p. 297 et s.
[12] TGI D’Athènes 785/1913, opinion dissidente.
[13] TGI D’Athènes 785/1913, 800/1913.
[14] Fondée en 1834, la Cour de Cassation hellénique est dénommée Aréopage, en référence au tribunal d’Athènes, réputé pour sa sagesse et son intégrité.
[15] CC 61/1914.
[16] Rapport du procureur de la République A. Hatzakos à la CC 61/1914.
[17] CC 274/1917.
[18] Durant l’entre-deux-guerres, deux dictatures ont renversé les gouvernements en fonction, celle de Theodoros Pangalos (1925-1926) et celle dite du « 4 Août », imposée par Ioánnis Metaxas en 1936 et terminée par l’occupation nazie (1941). La Constitution de 1952 n’a pas soutenu le fonctionnement des institutions libérales : les vaincus de la guerre civile, c’est-à-dire principalement les communistes, mais aussi les démocrates convaincus, ont été farouchement poursuivis par le pouvoir et privés d’importants droits constitutionnels. Ce parlementarisme « musclé » et fonctionnant sous la tutelle des « alliés », principalement des États Unis, s’est soldé par la dictature des colonels (1967-1974), dernière des dérives autoritaires dans l’histoire constitutionnelle grecque.
[19] Cf. Y. Drossos, op. cit. p. 235 et s.
[20] Cf N. Alivizatos, op.cit. passim
[21] La Constitution (art. 44 al. 1) instaure un pouvoir réglementaire autonome de l’exécutif, qui peut édicter des décrets-lois dans des cas exceptionnels d’une urgence extrême et imprévue. C’est une procédure extraordinaire, visant à permettre au gouvernement de faire face à des situations inattendues, d’où naissent des besoins réglementaires impératifs, qui ne peuvent pas être traités par la procédure législative ordinaire. C’est pourquoi, pendant les premières décennies du régime, le recours aux décrets-lois était limité, tandis que leur usage en temps de crise s’avère manifestement abusif : les décrets-lois de ces dernières années contiennent des règles qui modifient le dispositif juridique structurel du pays, c’est-à-dire qu’ils ne répondent à aucune urgence imprévue et qu’ils n’ont pas de caractère provisoire.
[22] Les MoUs (Memorandums of Understanding) sont des accords conclus entre l’État débiteur, en l’occurrence la Grèce, et ses créanciers, qui fixent les objectifs financiers et structurels à la satisfaction desquels doit oeuvrer le gouvernement emprunteur. Ils contiennent un programme de politique générale bien défini, qui est réalisé au moyen de lois nationales, dites lois d’application des mémorandums. En d’autres termes, les MoUs déterminent essentiellement les décisions politiques et délimitent drastiquement la marge d’appréciation et d’action politiques des organes étatiques.
[23] L’impuissance parlementaire s’est révélée de façon exemplaire lors du vote de la loi 4093/2012, adoptée en novembre 2012 par la procédure d’urgence (art. 76 Const.). Présentée aux députés la veille de sa discussion dans l’hémicycle, cette loi contient un article long de plusieurs dizaines de pages, afin que les députés – surtout ceux de la majorité – ne puissent proposer aucun amendement pour que le gouvernement engage pratiquement sa responsabilité sur un texte qui transforme la réglementation de plusieurs domaines de la vie sociale et publique.
[24] L’exemple le plus caractéristique étant celui du droit de travail, dont les acquis de tout un siècle ont été ébranlés. Parallèlement, des reformes du système de la sécurité sociale ont modifié sensiblement la condition économique et sociale des retraités, des femmes et des chômeurs. Ce flux révisionniste abaisse sensiblement le niveau de la protection sociale et semble exclure les grecs du cadre juridique européen, cf. K. Yannakopoulos, « Un État devant la faillite : entre droit et non-droit », www.constitutionalism.gr (en français).
[25] Cf. Iph. Kamtsidou, « L’intérêt public aux temps de crise », Recherches Internationales, Juillet-Septembre 2013 (en français).
[26] Excepté l’abaissement de la protection sociale, la législation de la crise a imposé des restrictions aux droits et aux libertés classiques pour servir des fins économiques. Pour ne citer que le droit à un procès équitable, la loi 4055/2012 a apporté de sérieuses réformes à tous les Codes de procédure, dont certaines, comme celles concernant les timbres judiciaires, ont un caractère purement financier. Après sept mois, la loi 4093/2012, dit troisième MoU, a encore modifié le Code de Procédure Administrative, pour raccourcir le délai dans lequel les recours fiscaux sont ouverts, et elle a réformé le Code Fiscal et le Code des Avocats afin de satisfaire des motifs principalement économiques, cf. K. Chryssogonos, La fraude à la Constitution en temps des Mémorandums, Athènes, éd. Livani, 2013 (en grec), p. 174 et s.
[27] Depuis la révision constitutionnelle de 2001, le principe de proportionnalité, reconnu déjà par la jurisprudence comme norme fondamentale, est formellement protégé par l’art. 25 al 1 Const.
[28] Cf R. Bousta,« Contrôle constitutionnel de proportionnalité. La spécificité française à l’épreuve des évolutions récentes », Revue française de droit constitutionnel, 2011/4, p. 913 ss.
[29] A savoir le Parlement ou l’exécutif, qui suivant la Constitution dispose du pouvoir réglementaire sur habilitation (art. 43) ou autonome dans des cas exceptionnels d’une urgence extrême et imprévue (44 al. 1 Const.)
[30] Le Conseil a fait preuve de la même « autolimitation » dans les décisions sur le deuxième MoU (CE 1506,1507, 1508/2014, 237/2015), suivant lequel le secteur privé a été obligé de participer à la procédure de réduction de la dette souveraine. Parmi ceux qui ont vu leurs titres dévaluer drastiquement, se rangeaient des particuliers qui avaient acheté des obligations d’État, en y investissant pratiquement toutes leurs épargnes. La Cour a refusé d’examiner si cette mesure était appropriée et nécessaire et, malgré le fait que presque la moitié de ses membres ont formulé une opinion dissidente, a rejeté les recours en annulation.
[31] En effet, ni l’art. 45, disposant que « Le président de la République est le chef des forces armées du pays, dont le commandement est exercé par le gouvernement, ainsi qu’il est prescrit par la loi », ni les dispositions des art. 23 et 29, interdisant la grève et toute manifestation de quelque nature que ce soit, pour ou contre un parti politique, de la part de personnels des forces armées ou des corps de sécurité, ne déterminent la substance de l’État.
[32] Lucius Quinctius Cincinatus, homme politique romain (v. 520 av. J.-C – v. 430 av. J.-C). Il se distingua par son refus des signes d’honneurs et des privilèges à la suite des ses succès militaires en tant dictateur à deux reprises (458 et 439) préférant se retirer pour labourer ses terres – d’où sa renommée en tant que « laboureur et dictateur » (ndr).