J’ai écrit cette tribune pour le Journal espagnol El pais paru le lendemain des deux décisions rendues par le Conseil constitutionnel rendues le 14 avril 2023, sur la loi opérant une réforme du régime des retraites et sur la demande de référendum d’initiative partagée.

Elle est parue en espagnol (voir visuel ci-dessous avec le lien ici)…

… Et la voici ci-dessous en version française

En rendant deux décisions hier 14 avril, le conseil constitutionnel n’a pas, comme on pouvait s’y attendre, satisfait les aspirations sociales qui s’élèvent dans le pays depuis plusieurs semaines. Il valide l’essentiel de la loi sur les retraites et rejette la proposition consistant à demander que la procédure pouvant conduire à l’organisation d’un référendum sur l’âge légal de départ à la retraite soit organisé.

La première chose à voir sans cette décision est le fait que tous les membres du Conseil constitutionnel ont siégé. Or, parmi les neuf qui le composent, au moins deux peuvent être considérés comme ne donnant pas les apparences de l’impartialité. En effet, Jacqueline Gourault, ancienne ministre, avait porté le premier projet de réforme du système des retraites lorsqu’elle était ministre du Gouvernement d’Edouard Philippe, sous la présidence d’Emmanuel Macron en 2019, et Alain Juppé, ancien Premier ministre, a lui-même porté un projet de réforme ayant entraîné un conflit social important en France en 1995. Le fait qu’ils aient participé à la délibération sur le texte portant réforme des retraites est donc contraire au principe selon lequel un juge, même de la constitutionnalité des lois, ne doit pas être juge et partie, et, au moins, ne doit pas en donner les apparences. Mais ce problème est récurrent s’agissant du Conseil constitutionnel, puisqu’il est très majoritairement composé d’anciennes personnalités politiques, les mêmes qu’il s’agit de juger.

La seconde chose à observer est la manière dont il répond aux différents arguments qui lui ont été présentés.  En effet, ce qu’il a décidé correspond, en bien des points, aux arguments avancés par le gouvernement français, qui leur confère ainsi une valeur constitutionnelle. Pour une fois, le Conseil avait décidé d’entendre les parlementaires qui attaquaient la loi, mais sans entrer dans le même type de dialogue que celui qu’il entretient depuis toujours avec le Gouvernement, les autres « intérêts » étant peu ou pas représentés. Est ainsi d’abord rejeté l’arguments selon lequel la procédure utilisée (l’article 47-1 de la Constitution) était inadaptée aux changements sociaux envisagés, principalement parce qu’il n’y aurait pas eu urgence à recourir à une procédure privative d’un droit de délibération du Parlement et parce que, à proprement parler, il ne s’agissait pas de rectifier, pour l’année en cours, les modalités de financement de la Sécurité sociale. Est également celui des conditions de présentation du projet, qui n’auraient pas permis aux parlementaires de se prononcer en toute connaissance de cause (principe de sincérité et de clarté des débats).

Dans les deux cas, le Conseil constitutionnel, comme il l’a toujours fait par le passé, a balayé ces arguments par des déclarations très sommaires, voire, discutables. Il considère ainsi par exemple que, les « estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues » (§ 65 de la décision n°2023-849). Autrement dit, dès lors que les insuffisances du gouvernement ont été mises au jour pendant la délibération, elles perdent en quelque sorte leur caractère problématique.

A l’inverse, les dispositions que le Conseil constitutionnel censure, au nombre de six, ont un goût amer, à un double titre : évidemment parce que certaines d’entre elles avaient pour objet de tempérer l’aspect froidement économique de la réforme (comme le CDI Sénior), mais aussi parce qu’elles valident, a contrario, le fait qu’il est admis que l’on puisse se passer d’une véritable délibération parlementaire dès lors qu’il s’agit de mesures qui ont un « impact financier ». Le Conseil assimile donc « financement » et « impact financier », et créé, pour l’avenir, un précédent dont les conséquences sur la démocratie parlementaire risquent d’être immenses. La déclaration d’inconstitutionnalité de la proposition de recourir ultimement à un référendum pour statuer sur l’âge légal de la retraite en vertu de l’article 11 de la Constitution (décision n° 2023-4 RIP), renforce l’interprétation résolument non sociale de la Constitution que livre le Conseil constitutionnel depuis tant d’années. Ses décisions font droit, mais pas certain que les conditions dans lesquelles elles ont été rendues satisfassent les conditions premières d’un Etat de droit démocratique.

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