Les droits de la défense devant la Cour pénale internationale
Publication de Maria Stefania Cataleta
L’Harmattan – avril 2016
Avant-Propos d’Alain Pellet
Préface de Lauréline Fontaine.
Je reproduits ici le texte de ma préface, en renvoyant aussi à l’entretien que j’ai réalisé le 29 février 2016 avec Bruno Cotte, ancien juge à la Cour pénale Internationale et mise en ligne en même temps que cette préface.
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Quelle est la signification profonde, philosophique, humaine, des droits et procédures qui sont et ont été mis en place dans l’histoire des sociétés ? Le travail de Maria Stefania Cataleta nous invite à une telle réflexion, en ne se bornant pas à un travail descriptif des différents mécanismes et procédures juridiques qui sont pourtant son terrain d’analyse. Elle considère son sujet de manière humaine, ce qui n’est aujourd’hui hélas pas banal pour des travaux universitaires de ce type. Ce travail humain est permis par une très fine connaissance et une brillante utilisation de l’analyse juridique, qui ne se dissout pas dans la volonté de dire un peu plus que cela. C’est à ce type de travail que devrait tendre toute entreprise universitaire, mais cela reste aujourd’hui encore une exception. Pour l’anecdote, j’ai rencontré Maria Stefania Cataleta de manière « anonyme », alors qu’elle proposait à l’avis du conseil scientifique de la Journée de la Jeune Recherche en droit Constitutionnel une contribution. Sa contribution, à l’époque, portait sur une fiction : que répondrait la Cour européenne des Droits de l’homme si elle était saisie du cas d’une personne dont l’assassinat – qui advint – pouvait être considéré comme particulièrement prévisible et dont l’Etat italien ne s’était semble-t-il qu’insuffisamment préoccupé ? La Cour pourrait-elle condamner l’Italie au titre de ses obligations positives découlant de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ? La contribution de Maria Stefania Cataleta reposait sur une utilisation saisissante du droit à partir de l’examen extrêmement minutieux des faits de l’affaire, qui rendait fondamentalement compréhensible la question de droit qu’elle se posait. Sélectionnée pour la Journée de la Jeune Recherche, elle obtint finalement le prix convoité, et elle publia quelques temps plus tard son article à la Revue du Droit Public[1]. Voilà bien le talent de Maria Stefania Cataleta qui s’expose encore dans cet ouvrage issu de son travail de doctorat soutenu à la fin de l’année 2014 sous la direction de Anne-Sophie Millet-Devalle (Nice) et Leopoldo Nuti (Roma Tre). Il est construit à la fois comme un décorticage chirurgical des fait et règles en cause dans la question des droits de la défense, et comme un récit, celui des idées et de leurs évolutions, aboutissant à la reconnaissance de tel ou tel type de normes. Malgré un exposé que l’on pourrait parfois considérer proche de l’inventaire, non seulement Maria Stefania Cataleta livre un vrai « mode d’emploi » des règles, mais aussi comment les penser et les évaluer. Elle revient sur les fondamentaux de toutes les questions abordées, de la notion et conception de la peine à celle de sécurité juridique en passant par la question de la vérité et du mensonge. Elle le fait toujours de manière simple, incisive, sans fioritures. Comme il se devait s’agissant de règles issues d’une histoire au sein de la communauté internationale, ses sources d’analyse sont larges s’agissant de la doctrine juridique, et elle se permet quelques références à Poe, Lévi-Strauss, Arendt ou Pirandello. Elle cherche aussi des conceptualisations neuves, comme celle qui lui permet de distinguer la « défense factuelle » de la « défense technique », entre lesquelles elle intercale celle de « défense pré-factuelle », toujours dans le but de rendre compte de manière heuristique des règles qu’elle analyse. En bref, il s’agit d’une thèse qui envisage son sujet à la fois de manière large – presque tous les aspects de la défense, même indirects- sont envisagés, et de manière « serrée », car il n’y a aucun débordement littéraire : elle va toujours à l’essentiel et ne se perd pas en vaines conjectures qui pourraient pourtant parfois séduire le lecteur friand d’analyse juridique. Arrivée presqu’au terme de son analyse, elle se demande par exemple si la défense judiciaire est « la défense du vrai » ? Elle répond alors qu’il existe bien deux aspects à considérer de la défense au procès : celui, dans une perspective factuelle, de la recherche de la vérité, et celui, dans une perspective formelle, indépendant de la vérité, et même « qui ignore la vérité ». Elle insiste sur ce deuxième aspect, qui constitue un corpus de règles, « patrimoine de l’homme avant de l’être de l’accusé ». Elle peut ainsi en conclure que le statut de la Cour Pénale Internationale est « l’enveloppe normative qui contient le patrimoine de ces droits inhérents à l’individu, et, en même temps, le texte normatif de garantie sur lequel se fonde le consensus de la communauté des Etats en ce qui concerne la nécessité de combattre l’impunité selon les règles démocratiques du vivre social et de juger et punir selon les règles propres à l’Etat de droit universellement reconnues ». La thèse est donc celle d’une croyante à ces idées, celles de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme. Sans que cela lui inspire des illusions sur la réalité du droit, elle préfère juger celui-ci au regard de ces aspirations. On peut la comprendre. La dimension critique de ce travail est donc importante, qui contribue grandement à sa qualité. Il s’agit bien de penser les règles au regard à la fois de la philosophie profonde qui les anime et des conséquences qui peuvent en résulter, parfois impensées. Elle conclue ainsi que si le temps n’est plus du tout à la justice sommaire dans le cadre du droit international pénal, il reste néanmoins quelques chemins à parcourir. La thèse de Maria Stefania Cataleta est en tous les cas une contribution à penser les droits de la défense dans leur entière dimension et dans leur simple humanité, tels qu’ils résultent de ce que les Etats ont institué avec la Cour Pénale Internationale.
Lauréline FONTAINE
janvier 2016
[1] « La protection d’un droit supérieur, le droit à la vie, obligation positive des Etats (affaire Lea Garofalo) », R.D.P. n°1-2015.
Lien vers le document comprenant les 30 premières pages de l’ouvrage (et donc également l’avant-propos d’Alain Pellet)