Analyser le droit : pourquoi faire ?
Quelques réflexions autour de deux contributions et de l’actualité en droit du travail
Analyser ce qui se passe en droit avec une grille de valeurs a me semble-t-il plus d’intérêt que penser théoriquement le droit avec des outils prétendument sans valeurs. L’affirmation des valeurs heurtent la raison scientifique commune, mais elle ne doit pourtant pas effrayer. Les interrogations suscitées il y a peu par ce qui a été analysé comme un renversement spectaculaire de l’idéologie de l’un des membres de la commission Badinter sont là pour l’illustrer. Comment en effet peut-on défendre les intérêts du travail et des travailleurs pendant des années, pour admettre si facilement des années plus tard, et semblant céder à la litanie serinée de toutes parts selon laquelle le code du travail lui-même – entendez ce qui reste de protection sociale des travailleurs – serait la cause d’un « marché » de l’emploi délétère, et que donc, pour sauver l’emploi, il faut dégrader les conditions de travail ? Si évidemment je ne peux répondre à la question de ce qui est ainsi observé comme un étonnant renversement, je peux en revanche proposer, conformément au thème du Droit de la Fontaine, un site de réflexion sur la pensée juridique et politique contemporaine, qu’elle soit éclairée par un focus sur la manière dont les normes juridiques sont analysées par les chercheurs en droit. Dans cette analyse, la place des valeurs est une question centrale, pourtant très peu discutée, en raison du recours à une idée simpliste selon laquelle la « science » ne s’occupe pas des valeurs et ne porte en elle-même aucune valeur. Cette idée, simpliste je le répète, permet que les chercheurs s’auto-adoubent en quelque sorte, en prétendant livrer une analyse purgée de toute considération axiologique. Ce discours est pourtant concomitant avec le constat que, dans presque tous les différents secteurs du droit, il y a bien différents « courants » de pensée, qui se manifestent souvent d’ailleurs par la terminologie de leurs auteurs : il y a ainsi le « droit du travail » et le « droit social », le « droit de la régulation économique public », le « droit public économique » et le « droit économique public » etc. Les auteurs ont, qu’ils en soient parfaitement conscients ou non, une « vision », pas seulement des normes qu’ils analysent, mais aussi des relations économiques, sociales et culturelles, qui leur permet de présenter les normes d’une certaine manière. La « neutralité », lorsqu’elle est revendiquée, n’est souvent rien d’autre qu’une forme d’adhésion aux valeurs que les normes elles-mêmes véhiculent, mais c’est parfois une forme de suicide intellectuel.
La lecture de deux articles publiés à une petite décennie d’intervalle ouvre à cette réflexion sur ce qu’on entend dire en analysant et présentant le droit. Il s’agit de deux articles dont on peut d’emblée dire que, tout en parlant de la même chose, ils ne voient vraiment pas les choses de la même manière : lire en effet « Le droit du travail bradé sur le marché des normes », publié par Alain Supiot à la Revue du Droit Social en 2005 d’une part, et « Existe-t-il un marché des systèmes juridiques ?» publié en 2014 par Hugues Bouthinon-Dumas dans l’ouvrage collectif dirigé par Ruth Sefton-Green sur La concurrence normative. Mythes et réalités (publication de la Société de législation comparée) d’autre part, invite à essayer de faire le point sur ce qu’on veut faire lorsqu’on se livre à des analyses savantes du droit.
A titre liminaire, je constate que les deux auteurs n’ont rien de commun dans leur situation institutionnelle : l’un est professeur au Collège de France et est l’auteur d’une œuvre singulière en droit social, l’autre est chercheur et « professeur associé » à l’Essec, qui n’est pas une école de droit, mais dirige l’Association des professeurs de droit des grandes écoles. On notera l’insinuation de cette dénomination « Professeurs de droit des Grandes Ecoles », qui, pour le plus grand nombre, donne un meilleur titre que celui de Professeur de droit des Universités, là où, dans la plupart des cas, il s’agit d’un usage abusif du titre de « professeur de droit » donné par les Grandes Ecoles, puisque ses titulaires n’ont en réalité pas obtenu le titre national[1]. C’est là une manifestation de plus d’un processus général de dévalorisation de ce qui, dans l’espace social, est censé en avoir une, de valeur, au profit, très souvent, d’activités plus médiocres[2].
De manière « formelle », les deux auteurs livrent cependant, dans les articles examinés, une analyse dont le statut académique est a priori identique : l’un publie dans une revue scientifique reconnue, l’autre dans un ouvrage collectif chez un éditeur qui publie également des travaux scientifiques universitaires (La société de législation comparée). Enfin, dernière remarque destinée à « poser le décor », il n’y a pas de continuité scientifique intellectuelle entre les deux études, qui peut déjà être aperçue par ce fait notable que la seconde, en dépit du thème, ne cite pas la première. Si j’ai pourtant estimé qu’une lecture croisée de ces deux études était opportune, c’est bien parce que, si je suis infiniment plus sensible à l’une qu’à l’autre, cet autre justement est le reflet d’une littérature très abondante (sur la notion notamment de performance des normes) et le reflet d’une conception très communément répandue du droit, aussi bien chez des juristes que, précisément, des non juristes, nombreux, qui sortent des « grandes écoles » et qui propagent une forme d’idéologie sur le droit, en s’appuyant donc, comme dans l’article examiné, sur une analyse savante et apparemment dépourvue de valeurs. Il me paraissait donc important de mettre en lumière que l’affirmation de valeurs dans une analyse du droit peut-être la garantie d’une étude « honnête » qui ouvre légitimement à la discussion, tandis que l’apparente scientificité d’une étude sans valeurs, qui a plutôt vocation à fermer la discussion, est la garantie que s’instille une idéologie tout à fait déterminée.
Quelques mots donc sur le propos de chacune de ces deux études. Le propos d’Alain Supiot est de comprendre ce qui fait que des normes sont adoptées, révisées, abrogées. En matière sociale, il s’intéresse donc à la « politique » du législateur, clé de lecture des normes. Naturellement, il ne s’en tient pas aux intentions « affichées », c’est-à-dire aux discours de justification des normes, mais décrypte plus largement de quel type de doctrine, de philosophie, d’idéologie et tout simplement de vision du monde elles sont la traduction ou la conséquence. Le propos qui en résulte est d’une très grande clarté. Autrement dit, Alain Supiot nous dit vraiment ce qu’une norme veut dire : « le législateur continue (…) de rechercher dans la réduction des protections attachées à l’emploi les clés du retour à l’emploi » (p.1088). Il peut par la suite apprécier la portée des normes effectivement adoptées par rapport à cet objectif repéré : « Depuis 30 ans, et au fil des alternances politiques, les emplois ont été précarisés, partagés, subventionnés, sans effet majeur sur le niveau d’emploi » (p.1089). La chose est entendue. Pour illustrer le propos et mettre son analyse au niveau où elle doit être s’agissant des normes juridiques, des normes dont les sujets sont bien des individus, il prend un exemple qui n’a rien d’un cas d’école : « Que pouvait-on encore ôter comme sécurité à une jeune mère isolée candidate à un emploi de caissière dans une supérette ? Elle pouvait déjà être recrutée par CDD, mise à temps partiel, employée selon des horaires « modulés ». La réponse est donnée par le « contrat nouvel embauche » : on pourra désormais la licencier sans motif. Difficile de voir là-dedans quoi que ce soit de nouveau ? » (p.1089). Mais le propos ne s’arrête pas là, car son analyse, à la fois des normes prises individuellement et des normes formant système, lui permet de repérer ce qui selon lui est en réalité à l’œuvre dans le droit qu’il observe. Il énumère aussi tout un ensemble de dispositifs mis en place (mesures d’ « accompagnements » notamment, à l’égard des étrangers des jeunes ou des faiblement qualifiés), qui traduisent une « reféodalisation du lien social » (p.1090), qui font des personnes visées des « bénéficiaires » et non des « titulaires de droits » : « Le droit de l’emploi touche peut-être avec cette étrange terminologie une sorte de fond. Voir dans le travail un bienfait accordé au travailleur et non un bienfait dispensé par le travailleur est proprement renversant. Renversement qui consiste à traiter le travail non pas comme la cause mais comme un effet de la richesse» (je souligne) (pp.1089/1090).
Cherchant la cause, Alain Supiot estime que les normes de droit du travail sont adoptées conformément à « la doctrine des organisations économiques internationales, qui ne cessent d’inviter les pays de la « vieille Europe » à « flexibiliser » leurs marchés du travail » (p.1088), et il rappelle la formulation de l’article 145 du TFUE (alors 125 TCE) qui dispose que « les États membres et l’Union s’attachent à élaborer une stratégie coordonnée pour l’emploi et en particulier à promouvoir une main-d’œuvre qualifiée, formée et susceptible de s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie, en vue d’atteindre les objectifs énoncés à l’article 3 du traité sur l’Union européenne » (je souligne). Il analyse cette disposition comme opérant un renversement par rapport à ce qui avait été inscrit dans la Constitution de l’Organisation Internationale du Travail sur l’obligation d’apprécier les mesures prises dans le domaine économique et financier au regard de l’objectif fondamental de la poursuite du « progrès matériel et du développement spirituel des êtres humains dans la liberté et la dignité ». « Là où on devrait évaluer l’impact de la libéralisation du commerce sur la sécurité économique des hommes, on s’emploie partout au contraire à mesurer l’impact de cette sécurité sur la compétitivité économique, qui n’est plus envisagée comme un moyen mais comme une fin, à laquelle les hommes doivent être « adaptés » (p.1091).
Ce que je qualifie de « rationalisation » de cette vision, passe par la classification des différentes mesures législatives en matière sociale selon leur impact sur cette efficacité économique : cette classification, le rappelle Alain Supiot, est opérée au niveau mondial comme l’illustrent les rapports Doing Business de la Banque mondiale, résultant de théories qu’il attribue à une forme d’anarcho-capitalisme issue d’idéologies communistes (il cite notamment David Friedman). Les rapports en question éclairent les investisseurs internationaux « dans leur recherche des « environnements juridiques » les plus propices à la réalisation de profits élevés » et engagent les Etats « dans une compétition visant à l’augmentation générale de ces profits » (p.1092). En bref, l’idée véhiculée par le titre de l’étude, « Le droit du travail bradé sur le marché des normes », est que les réglementations nationales du travail font l’objet d’une « compétition » telle que les entreprises sont amenées à « choisir » lesquelles protègent et renforcent leurs intérêts, de telle sorte que les réglementations sont modifiées pour correspondre au « marché » qui ainsi se constitue.
Et c’est là que le propos d’Alain est encore plus original dans le milieu du droit, car, alors qu’il a auparavant examiné le cas de cette jeune mère isolée, et qu’il a déterminé d’où venait que certaines normes étaient adoptées, par l’effet d’une certaine vision du monde, il envisage quels autres types de conséquences cette vision est susceptible de porter : « faire ainsi de la compétition le seul principe universel d’organisation du monde conduit aux mêmes impasses que les totalitarismes du XXème siècle, dont le trait commun fut justement l’asservissement de la forme juridique aux lois supposées de la compétition entre les races ou les classes » (p.1092/1093). « La représentation chiffrée du monde, ajoute-t-il, qui gouverne aujourd’hui la gestion des affaires publiques et privées, enferme les organisations internationales, les Etats et les entreprises dans un autisme de la quantification qui les coupe de plus en plus de la réalité de la vie des peuples »[3].
Cette question peut être discutée, et c’est là tout l’intérêt du propos, qui ne laisse pas supposer un accord universel sur le droit. Comme il le dit lui-même, « pour juger de la réalité, il faut pouvoir la rapporter à un système de valeurs qui lui est extérieur. Et réciproquement, pour remettre en question un système de valeurs, il faut admettre qu’il n’est pas inhérent à la nature et se prête à délibération ou contestation » (p.1093).
Alain Supiot rappelle selon moi cette évidence que « la libre circulation des marchandises et des capitaux n’est pas un objectif en soi. Elle n’a de valeur que dans la mesure où elle sert réellement l’amélioration du sort des hommes. C’est au droit qu’il incombe d’élargir ou de restreindre le jeu du libre-échange, selon qu’il sert à fertiliser le travail des hommes et à les arracher à la misère ou au contraire à priver les hommes de travail et à les plonger dans la misère » (p.1095).
Le propos est donc dense, invite beaucoup à la réflexion, à la recherche et à la discussion. D’une certaine manière, il contraste avec celui de la seconde étude ici envisagée, pourtant très « populaire », si cette expression est permise ici, dans un autre mais assez large cercle d’acteurs, juristes et non juristes.
Le propos de Hugues Bouthinon-Dumas, « Existe-t-il un marché des systèmes juridiques ?», est de partir à la recherche de l’existence de ce concept de « marché des systèmes juridiques », et il se place dans une perspective que je dirais exclusivement théorique. En effet, il s’agit pour lui de voir si ce qu’on qualifie théoriquement de « marché » en sciences économiques est bien applicable à la situation visée par les tenants de l’idée d’un « marché » des systèmes juridiques. A ce sujet déjà, je formule une première remarque : la recherche s’avère difficile car n’importe quel observateur des sciences économiques peut dire que pas un seul concept de cette discipline n’est défini et délimité de manière unanime : il y a presque autant de courants que de spécialistes de la question, ce qui donne déjà une certaine mesure de la stérilité de la recherche (que saura-t-on finalement puisque le concept n’existe pas « en lui-même » ?), sauf s’il s’agit de dire en quoi le concept, et une certaine manière de le définir, paraît ou non le mieux à même de saisir une certaine réalité. Mais cette démarche appelle nécessairement un choix assumé par son auteur. De tout cela, Hugues Bouthinon-Dumas n’en fait pas mention. Il part donc à la recherche d’un concept dont on devrait donc croire qu’il existe « en soi ». La discussion n’est donc pas ouverte alors qu’elle devrait avoir lieu, nécessairement. La lecture de l’étude opère donc une sorte de fermeture savante, qui, de surcroît, n’est pas loin de porter l’idéologie mise en lumière par Alain Supiot, et qui, comme il sied pour ce type d’idéologie, n’entend pas se discuter elle-même. D’ailleurs, à aucun moment, Hugues Bouthinon-Dumas n’envisage très clairement que de parler de « marché des systèmes juridiques » entend être soit un vœu, soit au contraire la critique de ce vœu ou de la pratique qui l’aurait réalisé en partie. De ce point de vue, l’étude n’est pas à la hauteur des enjeux. Il en résulte dans un premier temps une analyse plutôt « hors du temps » de la question. Il est ainsi dit que si « on peut en effet observer qu’il existe simultanément une offre de droit et une demande de droit et qu’elles peuvent se rencontrer car les utilisateurs des droits peuvent de plus en plus choisir leur droit » (p.53), « les acteurs ne réalisent pas véritablement un échange commutatif entre deux biens. Il faut en effet souligner avec force qu’un marché repose toujours sur l’échange d’un bien contre un autre bien » (p.60). Point de commentaire véritable de l’auteur sur cette constatation, quand je dirai moi qu’il vient d’exposer finalement que, en effet, on n’est peut-être déjà plus sur un marché parce que ce qu’il décrit s’apparente à un simple racket ! Et effectivement, l’auteur poursuit en disant que, « il s’avère pourtant qu’il n’existe pas un marché des systèmes juridiques, principalement parce que les demandeurs de droit peuvent choisir tel ou tel corps de règles offert par les Etats sans rien avoir à donner en contrepartie » (je souligne) (p.63). Il fallait s’y attendre. L’analyse de Hugues Bouthinon-Dumas contraste vraiment avec l’étude d’Alain Supiot en ce qu’elle ne se place jamais sur la signification de ce qui est dit en termes de conception du monde, alors que la science ne trouve aucun autre intérêt que dans son décryptage… La problématique n’est donc pas seulement que Hugues Bouthinon-Dumas se place hors du débat – c’est son choix – c’est surtout qu’il l’occulte et lui donne ainsi encore plus d’importance. Se placer hors d’un débat signifie qu’on doive en connaître les termes et expliquer en quoi on se situe en dehors de lui. Ici, Hugues Bouthinon-Dumas donne tout simplement prise à une idéologie particulière, au prétexte d’être savant et implicitement neutre, en disqualifiant l’usage du terme de « marché » pour parler des systèmes juridiques. On pourrait ainsi en conclure que toute l’analyse d’Alain Supiot est invalide, au motif qu’il a utilisé le terme de « marché », et que donc, le « darwinisme normatif » qu’il dénonce n’a pas de réalité. Et cela, tour de force, sans discuter du fond de la question, et parce que de toutes les façons, l’étude en question n’est pas même citée par le second auteur.
On ne fera pas insulte à Hugues Bouthinon-Dumas en disant qu’il n’a pas vu ce qui était en jeu. En effet, il sait bien que, comme il l’indique, « la théorie du marché appliquée aux droits nationaux pourrait ainsi nourrir une réflexion non seulement sur ce qui est, mais aussi sur ce qui devrait être » (p.46). Et d’ajouter un peu plus loin qu’il sera d’autant plus facile de concevoir une régulation appropriée que l’idée d’un marché des systèmes juridiques sera elle-même admise » (p.49). Cette dernière phrase montre, s’il le fallait, que sa démonstration « hors sol » (comme d’ailleurs, un type d’agriculture qu’Alain Supiot décrit pour montrer comment une activité exclusivement réglée par le droit du commerce international, sans règlementation du travail véritable, a abouti à une catastrophe sur le plan du travail et du niveau de vie, et a par ailleurs des conséquences sanitaires importantes) a en réalité un grain idéologique. On est pourtant interrogé par l’ambiguïté de cette « régulation appropriée » dont Hugues Bouthinon-Dumas parle, surtout lorsqu’on la rapproche de la manière dont il avait plus tôt posé la question : « la question est de savoir si le système juridique mondial n’est pas lui aussi en train d’être saisi par la logique du marché, de sorte qu’il serait pertinent de lui appliquer, comme à tout marché, les outils d’analyse élaborés par les économistes » (p.41). Rapporté à l’ensemble de la démonstration, l’auteur semble insinuer qu’il fait œuvre salutaire en coupant l’herbe sous le pied des économistes qui ne sauraient s’approprier les normes juridiques (ce qui est plutôt étrange si on considère que c’est fait depuis longtemps avec la puissante école d’analyse économique du droit), parce que celles-ci ne constitueraient pas un marché. Cela fait non seulement montre d’un cloisonnement disciplinaire tout à fait conformiste pour la France mais, au surplus, masque finalement la réalité, à savoir que l’enjeu est dans la science qui, au nom de concepts théoriques boiteux – ici le marché – ne s’approprie pas une réalité qu’il s’agit d’observer et d’analyser.
L.F. Février 2016
[1] Ce que je veux dire ici, c’est que si on ne juge pas de la qualité au seul titre, c’est bien ce qui est fait par cette association qui, tout justement, en fait un usage abusif.
[2] Ce processus est visible aussi par exemple chez des universitaires, Maîtres de Conférences ou Professeurs des Universités qui, pour signer un article dans un support de presse généraliste, préfèrent choisir le tire de « maître de conférences à Science Po », plus bas niveau de l’enseignement à Sciences Po, censé ainsi être meilleur que le plus haut niveau de l’Université, à savoir celui de Professeur (quand bien même on admet que tout cela reste parfois de la théorie).
[3] Ce thème de la gouvernance chiffrée est cher à Alain Supiot, qui en a fait un ouvrage paru chez Fayard en 2014, La gouvernance par les nombres (voir ma très brève présentation de cet ouvrage : http://www.ledroitdelafontaine.fr/lectures/). On doit à ce propos noter l’existence d’une nouvelle revue, « Les cahiers du chiffre et du droit », dont le premier numéro est paru en 2013, avec le propos introductif suivant de sa rédactrice en chef, Yvonne Muller : « En dominant les pratiques humaines, notamment la représentation de l’action économique, les concepts d’intérêt et d’utilité ont progressivement opéré, à partir du XIIIè siècle, « une grande mutation mentale et intellectuelle en Occident » (Ch. Laval, L’homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, NRF Essais Gallimard, 2009, p.27). Ils devaient introduire la quantification, le calcul, le chiffre dans le rapport humain inscrivant ce dernier dans une nouvelle réalité sociale, laquelle est aujourd’hui, plus que jamais, dominée par l’évaluation de la performance et la mesure de la richesse (…). Parce qu’ils sont le marqueur d’une transformation des liens sociaux, le Chiffre et le Droit sont au cœur de la société, de ses institutions et des valeurs qu’elle véhicule. Si leur association est censée poser les repères d’un homme occidental devenu exclusivement calculateur, on ne saurait exclure qu’elle permette également une prise en compte de l’altérité ».